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Le retour du mythe Bourguiba en Tunisie

Le président Tunisien Foued Mebazaa devant la tombe d'Habib Bourguiba, le 6 avril 2011 à Monastir

 

Le retour du mythe Bourguiba en Tunisie

 

De Jacques LHUILLERY (AFP) 

TUNIS — L'ombre de la dictature de 23 ans de Zine El Abidine Ben Ali n'a pas fini de planer sur la Tunisie trois mois après sa chute que déjà le mythe d'Habib Bourguiba, méthodiquement "gommé" par son tombeur, refait surface, onze ans après le décès du père de l'indépendance.

Ben Ali avait pourtant tout fait pour effacer toute trace de l'homme qu'il avait déposé le 7 novembre 1987, jusqu'à sa statue équestre au coeur de Tunis.

Le jour de l'enterrement de Bourguiba, les gens attendaient une retransmission en direct. Ils n'ont eu droit qu'à des documentaires animaliers et des images de coucher de soleil.

Pour la première fois depuis 1987, les Tunisiens ont pu célébrer cette année librement le "Zaïm" dans sa ville de Monastir le 6 avril. Parallèlement aux cérémonies officielles empesées, des centaines de gens ordinaires ont déposé d'anonymes petits bouquets sur le tombeau de marbre blanc.

Le jour de l'indépendance, le 20 mars, la télévision nationale a diffusé un long documentaire hagiographique sur la vie de Bourguiba et dans les librairies de Tunis, à côté des premiers livres sur la révolution, trônent désormais des ouvrages avec le portrait du "combattant suprême", bouquet de jasmin à la main, la fleur symbole du pays.

Bourguiba, Ben Ali: la Tunisie n'a pas connu d'autre dirigeant depuis l'indépendance en 1956 et aujourd'hui, elle se cherche des repères et des valeurs. Dans les journaux fleurissent articles et tribunes enflammées pour ou contre l'héritage du père de la Tunisie moderne, les dérives autoritaires du "président à vie" ou l'utilité du "bourguibisme".

"Nos dirigeants provisoires font démarrer la dictature à Ben Ali. En fait, on peut la faire remonter à 1956, même si l'héritage de Bourguiba est sans commune mesure avec ce qu'a laissé Ben Ali", commente un journaliste politique.

"Pendant 55 ans, la marche de notre pays a été freinée par le despotisme et le manque de sagesse de son premier leader", juge sévèrement l'universitaire et opposant Dhiaddeine Souissi pour qui le "bourguibisme n'est pas la bonne adresse" pour la Tunisie d'aujourd'hui.

"Son cursus n'est certainement pas exempt de zones d'ombres mais globalement c'est un parcours très positif", rétorque le ministre de l'Education Taieb Baccouche. "Ce que l'histoire retiendra, dit-il à l'AFP, ce n'est pas son côté despotique mais un Etat ouvert, la généralisation de l'enseignement et le statut de la femme", unique dans le monde arabo-musulman.

"La politique éducative de Bourguiba a eu raison de son médiocre successeur. A un rythme vertigineux, l'histoire de son pays lui donne raison et retentit bien au-delà de ses frontières", abonde l'intellectuel Jalel Ben Abdallah.

Pour le neurologue Moncef Marzouki, opposant de toujours à Ben Ali, Bourguiba "croyait sincèrement à la nécessité de développer le pays" mais "dès le départ il a mis en place une police pour faire peur".

Les jeunes, qui n'ont connu que Ben Ali, sont tout aussi partagés. Pour Samir, 25 ans, diplômé universitaire, "Bourguiba est le père fondateur de la nation mais aussi celui du totalitarisme en Tunisie".

"Il ne représente rien pour moi. C'est un homme qui a combattu l'islam sous prétexte d'instaurer la liberté", juge Amine, un étudiant de 19 ans.

Noureddine, un commerçant de 35 ans, est plus lyrique: "c'était le père des Tunisiens et non leur président. Malgré ses erreurs, on ne peut pas nier qu'il se souciait vraiment de l'avenir de son pays et son peuple".

Dernier clin d'oeil de l'Histoire: à trois mois des premières élections démocratiques depuis l'indépendance en juillet, la Tunisie est dirigée provisoirement par le président Foued Mebazaa et le Premier ministre Bei Caïd Essebsi, deux octogénaires purs produits de l'ère Bourguiba.

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