Le service militaire reste inconcevable pour les ultraorthodoxes israéliens
Par Véronique Falez
C'est bientôt l'heure de la prière et dans le quartier juif ultraorthodoxe de Ramot, dans le nord de Jérusalem, les hommes en costume noir, chemise blanche et chapeau noir à large bord se pressent vers la synagogue. Yitzhak, 21 ans, vit à Ramot avec son épouse. Il étudie huit à neuf heures par jour à la yeshiva, l'école religieuse, et se destine à devenir rabbin.
Le grand débat du service militaire pour les juifs ultraorthodoxes, qui agite Israël depuis plusieurs semaines, le touche personnellement puisqu'il vient de recevoir son ordre d'incorporation dans un délai de deux mois. Un avenir inconcevable. "Ça ne me fait pas peur, assure-t-il. Nous sommes 50 000 étudiants religieux dans mon cas, ils ne vont pas tous venir nous chercher."
Qui peut dire à ce jour ce que risque un jeune religieux "refuznik" ? La loi Tal, qui exemptait les étudiants des yeshivot de service militaire, a expiré le 31 juillet. La Cour suprême israélienne l'a jugée contraire aux lois fondamentales. Dès lors, le dossier chemine dans un inconfortable entre-deux : les membres du gouvernement n'ont pas encore trouvé d'accord sur une nouvelle législation. L'enrôlement redevient donc, théoriquement, obligatoire pour tous les Israéliens de 18 ans.
"Il faut une armée - il y en a toujours eu, même dans la Bible - mais il faut aussi un front spirituel, plaide Yitzhak. Etudier à la yeshiva à plein-temps, c'est beaucoup plus difficile que de faire l'armée." Le jeune homme ne conçoit pas de partager le temps qu'il consacre à l'étude de la Torah et du Talmud. "Faire son service militaire, même si on continue à étudier en même temps, c'est dangereux, ça montre que l'étude ne serait finalement pas si importante, justifie-t-il. Un orthodoxe qui part faire l'armée, ça provoque l'étonnement. Une jeune fille élevée dans un milieu très religieux ne voudra pas se marier avec quelqu'un comme ça, il faut qu'elle épouse un homme qui étudie."
"L'ARMÉE FAIT PESER UN RISQUE SUR LA SPIRITUALITÉ"
Derrière sa caisse d'une boutique de Mea Shearim, le quartier historique des ultraorthodoxes de Jérusalem, Essji confirme ce tabou. "Ici, un homme qui sert dans l'armée, c'est un déshonneur pour sa famille. L'entourage ne peut pas l'accepter et, le plus souvent, il prend ses distances." Dans les rues calmes se croisent des haredim (des "craignants Dieu"), de différents courants, Hassidim ou Mitnagdim, vêtus de caftans et de chapeaux propres à leur groupe. Personne ne circule en uniforme.
"Ils se réfèrent à la pensée du Hason Ish, guide spirituel du judaïsme orthodoxe, selon laquelle les jeunes ne doivent pas faire l'armée, explique Essji, lui-même orthodoxe, venu des Etats-Unis. Parmi la nouvelle génération, certains voudraient avoir une vie meilleure, gagner un peu d'argent, mais les employeurs israéliens n'embauchent pas ceux qui n'ont pas fait l'armée. En Amérique, c'est différent : les ultraorthodoxes travaillent tout en étudiant à la yeshiva."
Pour le rabbin Mordekhai Bitton, penché sur une édition reliée du Talmud, le refus de s'enrôler s'explique par l'histoire du peuple juif. "Nous sommes dans une période de transition, estime l'érudit. Après la Shoah, il n'y avait plus d'orthodoxes pour étudier la Torah. Or, partout où l'étude de la Torah s'est arrêtée, le peuple juif a disparu. Nous devons former des étudiants et, dans les familles, on s'y met à cinq pour financer une formation : les parents, l'épouse et les beaux-parents."
Surtout, l'armée, considérée comme le fer de lance du monde laïc, fait peur. "L'étude de la Torah, c'est un choix fragile. Un enfant n'a que ses émotions, il choisit ce qu'il y a de plus confortable, il faut le protéger sur le modèle des trois 20 : jusqu'à 20 ans, on lui bâtit une muraille haute de 20 mètres et large de 20 mètres, sourit le rabbin Bitton. L'armée, même dans les bataillons ultraorthodoxes, fait peser un risque sur la spiritualité, alors quel parent peut prendre ce risque ?"
"LA BIBLE, IL FAUT PASSER SES JOURS ET SES NUITS À L'ÉTUDIER"
Tsahal, les Forces de défense israéliennes, cherchent en effet à intégrer les haredim dans des bataillons spécialisés. Les conditions sont adaptées pour permettre un temps d'étude quotidien, l'accès à un rabbin militaire, une nourriture strictement cacher et un contact limité avec les femmes soldats. "En 2011, près de 1 200 soldats ultraorthodoxes ont commencé leur service militaire, détaille un porte-parole de l'armée. D'ici à 2015, ce sont 2 400 soldats qui devraient s'enrôler chaque année dans les différents programmes destinés au public ultraorthodoxe."
Si les effectifs progressent, ils restent très modestes. Les rabbins orthodoxes affirment que l'armée n'a d'ailleurs pas besoin d'eux, à l'heure des guerres ultra-sophistiquées et du renseignement technologique. "Pourquoi Israël n'évolue pas comme les autres pays vers une armée de métier... tout serait réglé !", lance le rabbin Henri Kahn, qui dirige la revue ultraorthodoxe Kountrass. Pour le rabbin Kahn, la sécurité d'Israël, "un peuple de 5 millions de juifs entouré d'un petit milliard d'ennemis" repose avant tout sur "les miracles" et "la providence divine ". "Que faut-il faire pour y avoir droit ? Tout est écrit dans la Bible. C'est un code, et il faut passer ses jours et ses nuits à l'étudier."
Malgré la fin de la loi Tal, les rabbins haredim restent sereins. Le refus de l'armée est pour eux non négociable, et ils se sentent porter la nouvelle vigueur du judaïsme orthodoxe. "Nous savons que l'Etat ne peut rien faire, et certainement pas jeter 50 000 jeunes en prison. Le gouvernement sera obligé de noyer le poisson", prédit le rabbin Kahn.
Commentaires
Le rabbin Khan a raison , le gouvernement ne peut mettre en prison 50.000 feneants qui vivent aux crochets de la societé , mais le gouvernement peut tout simplement noyé ces 50.000 feneants qui vivent aux crochet de la societé .
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