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Le vote de l’UNESCO : un événement total, par Shmuel Trigano

Le vote de l’UNESCO : un événement total

Shmuel Trigano

 

 

De la même façon que le sociologue Marcel Mauss parlait d’un « fait social total », le vote récent de l’UNESCO est un « événement total », c’est à dire une manifestation de la réalité dans laquelle se retrouveraient toutes les strates de la socialité et se miroiteraient de multiples perspectives (politique, religieuse, économique, juridique…). Comme si la situation globale se donnait à lire dans un événement singulier.

1) Le fait le plus puissant et le plus « irradiant » que cet événement donne à voir concerne la condition juive. Le verdict de ce tribunal inique prétend annuler, par la force de son verbe, 30 siècles d’histoire juive, qu’il réécrit entièrement à l’avantage de la vision ethnocentrique de l’islam , au déni – faut-il le rajouter – de l’histoire chrétienne de l’Occident.

Le récit de la réalité historique et politique qu’il tente d’imposer dénie aux Juifs leurs droits religieux les plus fondamentaux et implique que les assertions du judaïsme quant aux lieux et au contenu de son histoire ne sont que des mensonges. C’est une agression symbolique de la personne juive dans toutes ses dimensions, une délégitimation qui porte en puissance une violence totale à son égard. Elle ne vise pas seulement la sécurité des Juifs: elle concerne l’essence de l’existence juive.

2) Qu’une institution censée défendre « le patrimoine de l’humanité » se prête à une telle forfaiture dévoile la corruption profonde de la pseudo « communauté internationale ». Elle montre que nous sommes dans une jungle où tout peut arriver. C’est la figure de Sodome qui y montre son rictus, Sodome où les principes de la justice étaient invoqués pour perpétrer le crime. L’UNESCO n’agit ainsi pas autrement que l’Etat islamique à Palmyre et les islamistes devant les Bouddhas de Bamian.

3) Plus grave: qu’une institution politique et culturelle réécrive l’histoire de façon révisionniste au mépris le plus clair des faits historiques est le signe d’une nouvelle période noire pour l’intelligence humaine.

Nous y sommes depuis une vingtaine d’années, concernant le peuple juif et le judaïsme, objets, jusque dans les études juives, d’une réécriture de son histoire et de sa réalité, sur la foi de modes idéologiques qui, toutes, émargent à l’idéologie dominante de notre temps, le postmodernisme, un post-marxisme propre à l’âge de décomposition de l’Occident dans lequel nous sommes entrés.

Cette réécriture est devenue une vérité officielle assénée au plus haut niveau par les institutions réputées « académiques », dont les représentants entendent bien faire respecter leur loi exclusive et donc imposer le silence ou l’exclusion à ceux qui contreviendraient à cet ordre de pouvoir. Arrive un temps ou la science et l’idéologie se confondront.

3) Que la résolution ait été portée par des pays arabes qui, à l’exception de l’Algérie, sont réputés « modérés », donne la mesure du profond ressentiment envers le peuple juif qui hante le monde musulman, et de l’intolérance qui y sévit. Qu’élever une prière sur le Mont du Temple ou s’y prosterner devant un Dieu qui est censé être le Dieu révéré par toutes les religions soient perçus par les musulmans comme une provocation et un sacrilège pose question.

Qu’Israël, semble-t-il, collabore en sous mains avec plusieurs de ces pays contre l’impérialisme iranien, fait douter de la reconnaissance et du respect qu’implique cette coopération du côté des puissances musulmanes sunnites. Le déni de l’être juif reste intact.

4) Que la France ait voté pour cette résolution implique une atteinte aux droits religieux des Juifs français, le droit de se rendre sur leurs lieux saints et de voir respectée leur identité historique. Que ce vote favorise l’islam et son récit théologique à l’encontre des autres religions, conduit à se demander, comme l’archevèque Lustiger il y a quelques années, si l’islam occupe objectivement en France le statut d’une religion d’Etat, ce que le discours du gouvernement socialiste illustre dans les faits, quand il pose des affirmations au nom de cette religion. Dès lors il apparaît que la seule « reconnaissance » dont les Juifs jouissent concerne la ‘victimitude’ liée à la Shoah et non leur identité historique.

5) Peu se sont rendus compte que ce ne fut pas seulement la sécurité des Juifs qui a été visée depuis le début des années 2000 mais aussi le judaïsme lui même, dans ses symboles et ses aspects les plus cruciaux, et ceci dans l’arène culturelle et intellectuelle, alors que l’islam occupa toutes les scènes et fut à l’abri d’une censure répercutée par tous les médias et les discours politiques et intellectuels.

Le vote de la France, comme l’existence même d’une telle résolution de l’UNESCO, montre que ces jugements sur l’histoire juive ont une portée politique très concrète dans la réalité. La menace dont les Juifs sont l’objet, en France et en Europe de l’Ouest, de la part de milieux islamiques n’a ainsi aucune chance d’être reconnue pour ce qu’elle est et donc d’être combattue efficacement. L’Union européenne n’est pas capable d’autre chose que de compassion pour des Juifs voués à n’être que des victimes (passées).

6) Cette évolution de la France s’inscrit dans une évolution stratégique de l’Union européenne, depuis une vingtaine d’années et plus exactement depuis le premier choc pétrolier.

L’institution du « Dialogue Euro-arabe » a instauré un marchandage sous le signe du pétrole contre de l’immigration et de la « tranquillité » en Europe, sur le plan du terrorisme palestinien – alors seul terrorisme islamique à l’œuvre -, contre la reconnaissance diplomatique de l’OLP.

Quand le Marché commun devînt l’Union européenne, un autre « échange » prit la suite de ce « marché », sous l’égide de l’Organisation de la Conférence Islamique (OCI) et son programme « Alliance des civilisations » dont l’objectif était entre autres de réécrire l’histoire de l’Europe pour y assurer la part belle à l’islam et à l’arabité.

L’évolution des choses dans le rapport de l’UE à Israël (souvent mené par la France) n’est donc pas le fait du hasard mais d’une politique clairement définie, que les « commissions » de l’UE appliquent systématiquement aux pays membres et dont nous connaissons toutes les « directives ».

7) Cette évolution politique est travestie sous le masque d’une Europe qui a la prétention d’incarner les droits de l’homme et de devenir le tribunal de la planète sur la foi de sa contrition pour la Shoah, alors que, depuis plus de vingt ans, on y assiste au déferlement de l’antisionisme, de l’antisémitisme et, on le voit, avec l’UNESCO, de l’anti-judaïsme.

Le destin de l’Etat d’Israël est devenu l’objet d’une obsession malsaine de la politique européenne. L’Union européenne a laissé s’installer des discours et proliférer des milieux, des idéologies qui prônaient la haine des Juifs sous couvert de la haine d’Israël, sans réagir durant de longues années: depuis la soi-disant « deuxième intifada ».

8) Le parti socialiste a démontré, sur tous les plans, à quelle relégation il vouait les Juifs de France : depuis le gouvernement Jospin qui a occulté, pendant un an et demi (2000-2002), à l’échelle de toute une société, des centaines d’actes antisémites pour finir par les travestir sous le signe de « tensions intercommunautaires », jusqu’au dévouement de ses avatars successifs à la cause palestinienne, qui ne réserve à Israël que le choix entre la soumission à un diktat et la mise au ban mondiale, mais aussi sa dégradation symbolique dans toutes les arènes internationales.

Ce que l’Etat « hollandais » prépare dans les mois qui viennent, avant de quitter le pouvoir (pour longtemps!), en sera l’apothéose. Sans doute espère-t-il ainsi faire la différence en gagnant l’électorat musulman français à sa cause. La scandaleuse lettre de Pascal Boniface recommandant au Parti socialiste, au début des années 2000, de « lâcher » les Juifs pour séduire l’électorat musulman, a bien été mise en œuvre. On est en droit de se demander si depuis ces années ne s’est pas installé un « antisionisme d’Etat », qui vire, gravement aujourd’hui, à l’anti-judaïsme.

Cet antisionisme n’est pas uniquement le revers de la « politique arabe » de la France, ou plutôt du Quai d’Orsay, qui pratique effectivement une politique résolument anti-israélienne, il est diffus dans l’opinion et sur la scène publique, relayé par l’AFP, agence quasi-étatique, qui contribue à dépeindre Israël dans des traits idéologiques qui accentue le ressentiment des milieux hostiles aux Juifs… français, etc.

9) L’événement démontre la faillite de la politique des institutions juives. Le président du CRIF a protesté, le grand rabbin est allé voir le ministre des affaires étrangères et chacun est rentré chez soi, bien gentillement. Rien ne s’est passé : le signe juif est désormais vide d’intérêt pour les politiciens après que les Juifs officiels aient contribué à le vider de tout contenu. Le silence des rabbins censés être sensibles à cette atteinte est d’ailleurs assourdissant. On n’a vu aucun des intellectuels juifs courtisés par les médias se manifester.

Les institutions juives récoltent les résultats de leurs politiques défaillantes.

Elles ont été instrumentalisées au maximum pour accréditer le slogan creux du « vivre ensemble », le contraire de l' »être ensemble », pour substituer une gestion ecclésiastique (le « dialogue des religions ») à une prise en mains gouvernementale du problème, avant tout politique et sécuritaire, que pose l’islam.

Le gouvernement a cherché à socialiser l’islam dans la société française par l’intermédiaire d’une pseudo pacification judéo-musulmane là où il fallait engager l’islam à se réformer pour rattraper son retard par rapport aux autres religions entrées dans le pacte républicain.

Cette démarche n’a pu que rétrograder le judaïsme qui, lui, n’a aucun de ces problèmes. Le dispositif idéologique du « pas d’amalgame » a dispensé la communauté musulmane de faire le clair sur l’antisémitisme qui règne dans ses rangs. Il a éteint la lutte contre l’antisémitisme islamiste au nom d’une lutte contre l' »islamophobie ». Enfin, la responsabilité des gouvernements successifs, dans les années décisives où il aurait fallu lutter contre l’antisémitisme et le djihadisme, a été trop vite recouverte du voile de la compassion, comme c’est le cas (seulement) depuis Charlie Hebdo.

10) Où sont les fruits du dialogue avec les musulmans auquel les institutions juives ont consacré tant d’énergie (sans doute sur demande gouvernementale) ? Les autorités de l’islam, sauf exception rarissime – et à un niveau faible d’autorité de la chaire – ni l’opinion réputée modérée de la communauté musulmane n’ont jamais clairement condamné les actes antisémites. Le chef du Conseil pour la Fatwa de l’Europe, l’imam Qaradawi est au contraire à tête de l’antisémitisme islamique.

11) Comment les Juifs pourraient-ils demander quoi que ce soit aux Européens sur la question d’Israël et la reconnaissance des droits religieux des Juifs? Leurs institutions se sont identifiées à JCall ou JStreet, deux groupuscules minoritaires qui poussent les Occidentaux à imposer une politique à Israël et soutiennent le mensonge palestinien tout résumé dans le mantra: « Deux peuples, deux Etats. » Les promoteurs de gauche israéliens de cette politique sont restés significativement remarquablement silencieux sur le terrorisme islamique palestinien et les derniers développement de la réécriture de l’histoire de leur (?) peuple et Etat…

12) Israël expérimente à travers cet événement l’échec monumental de sa politique depuis les Accords d’Oslo. C’est en effet l’Autorité palestinienne, le « partenaire de paix », qui est à l’origine de la résolution de l’UNESCO comme de la campagne antisémite mondiale du BDS dont le cerveau est à Ramallah. La défaillance est en vérité bien plus grande car elle remonte aux premières heures de la « Guerre des 6 jours », quand, après la conquête de la Vieille Ville, résultat – rappelons-le – d’une guerrre d’annihilation des Juifs lancée par la Jordanie, l’Egypte, la Syrie et alors que Jérusalem était occupée par la première depuis la guerre de 1948, le général Moshé Dayan a remis les clefs du Mont du Temple au Wakf islamique.

La leçon de l’histoire

Cette incapacité d’Israël à assumer sa stature historique, ce que j’appelle l' »éternité d’Israël » est au fond à la racine de l’événement total que j’ai tenté d’analyser.

Les Palestiniens de l’Autorité palestinienne comme ceux qui sont institutionnellement des citoyens d’Israël ont compris que c’était là la faille symbolique et stratégique de la souveraineté israélienne – faille morale, interne, subjective – et ils ont occupé cette faille de sorte que le Mont du Temple est, sur le plan de la « légitimité », sous souveraineté palestinienne comme le montrent l’incitation à la guerre sainte venue du mouvement islamiste israélien (sic!) et de la Liste Arabe Unifiée représentée à la Knesset autant que du Fatah et de Ramallah, sans parler du Hamas.

La résolution de l’UNESCO la confirme sur le plan international. Au cœur d’Israël, les Palestiniens détiennent ainsi un levier de pouvoir qui rayonne sur le plan islamique et mondial avec une puissance considérable.

Conséquence du fait qu’Israël fut incapable d’assumer avec responsabilité sa victoire justifiée de 1967. La souveraineté israélienne sur le Mont du Temple aurait au moins assuré la tolérance religieuse, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui sous la tutelle de fait palestinienne.

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