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Les dinosaures étaient-ils casher ?

Les dinosaures étaient-ils casher ?

 

Quand un article scientifique s’intitule « Jurassique porc : que pourrait manger un juif voyageant dans le temps ? », le chroniqueur de la science improbable n’a pas le choix. Il sait qu’il ne trouvera pas le repos tant qu’il n’aura pas rendu compte de ce travail signé par trois facétieux paléontologues nord-américains et réellement publié, le 24 septembre, dans la revue Evolution: ­Education and Outreach.

Comme ces chercheurs le racontent en introduction, tout est parti d’un de leurs collègues à qui un étudiant avait demandé si les brachiopodes, coquillages très présents dans les couches fossilifères, étaient casher ou pas (la réponse est non, comme tous les fruits de mer). Tant qu’on y était, pourquoi ne pas élargir la question à tous les animaux aujourd’hui disparus et imaginer les dilemmes d’un voyageur dans le temps très à cheval sur la casherout, le code qui régit ce que peuvent manger les juifs ?

Les études de paléontologie ont plus l’habitude de citer Darwin que l’Ancien Testament, volontiers abandonné aux créationnistes, mais ­devant ce cas de force majeure il a été nécessaire d’ouvrir le Lévitique et le Deutéronome. Lesquels disent ­notamment que, dans le cas des mammifères, peut être consommé tout animal qui a « le pied fourchu et qui rumine », ce qui exclut par exemple le cheval, dont le sabot n’est pas fendu, mais aussi le porc qui, s’il a bien le pied fourchu, ne rumine pas.

Quant aux animaux vivant dans les eaux, peuvent finir dans l’assiette « tous ceux qui ont des nageoires et des écailles », ce qui ne laisse de côté que certains poissons. Pour tout le reste du règne animal, les auteurs de l’Ancien Testament – qui n’avaient visiblement pas pris option SVT ­au lycée et classent ainsi les chauves-souris parmi les oiseaux – ont des ­règles presque aussi complexes que la Kabbale, certains oiseaux et insectes (oui, les juifs peuvent manger des ­sauterelles, comme tout le monde) étant admis, d’autres pas. Au point que notre trio de paléontologues est allé demander conseil et assistance à deux rabbins !

Déguster du mégalocéros

Puis les chercheurs sont retournés à ce qu’ils connaissaient le mieux, leurs chers fossiles, pour s’apercevoir que la tâche de leur hypothétique voyageur temporel juif ne serait pas aisée. Autant il est facile de repérer nageoires et écailles sur certains fossiles ou bien des sabots fendus, autant les organes mous permettant de différencier un ruminant d’un non-ruminant ont la fâcheuse habitude de ne pas résister aux outrages des millions d’années… Il a donc fallu utiliser la classification phylogénétique, cet arbre généalogique qui établit la parenté entre les espèces, éteintes ou pas. On ne rigole pas avec la casherout.

Au bout du compte, l’enfant d’Israël qui retournerait dans le passé aurait le droit de déguster de l’aurochs ou du mégalocéros (un cerf géant) avant la dernière ère glaciaire. En revanche, il y a 52 millions d’années, il devrait se passer de viande rouge, les ruminants n’étant pas encore nés. Mais c’est l’époque des dinosaures qui lui poserait le plus de problèmes : pourrait-il ou non manger du tyrannosaure (à condition que l’inverse ne se soit pas produit avant) ? Puisque certains des dinosaures actuels (les oiseaux…) sont casher, la question n’est pas sotte.

Néanmoins, comme seuls sont autorisés les oiseaux qui ne se nourrissent pas d’autres vertébrés et possèdent un hallux, sorte de serre tournée vers l’arrière, aucun des géants du crétacé ne pourrait servir de pitance à notre voyageur juif. Le steak de T-rex, ce sera pour un autre.

Pierre Barthélémy 
Journaliste au Monde

http://lemonde.fr/sciences/article/2015/10/19/les-dinosaures-etaient-ils-casher_4792546_1650684.html

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