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Les Juifs et la Bible, par Jean-Christophe Attias

 

Les Juifs et la Bible, par Jean-Christophe Attias

 

 

 

Directeur d'études à l'EPHE, spécialiste de la pensée juive, Jean-Christophe Attias nous propose ici un essai vif et stimulant sur les rapports ambigus et complexes des Juifs avec « leur » Livre, la Bible. Un livre qui est en fait une bibliothèque, ou plutôt un assemblage composite de textes, comme l'indique le terme hébraïque Sifrei ha Kodesh (les livres saints), ou l'acronyme TaNaKh, pour Torah, Nevi'im, Ketuvim : la Loi, les Prophètes, les Écrits. Pour la critique biblique moderne – bien entendu, catégoriquement rejetée par les orthodoxes de toutes les confessions judéo-chrétiennes – la Bible est une compilation tardive, parfois maladroite, parfois fautive, de documents de provenances et de dates variées, dont le texte ne sera définitivement fixé qu'en... 1525, par l'imprimeur (chrétien) Daniel Bomberg. Mais, observe l'auteur, la puissance même de la Bible tient peut-être à l'ambiguïté irréductible du texte, et à son infinie polysémie, qui a permis au cours des siècles une multiplicité d'interprétations, qui le décomposent et recomposent selon les circonstances et les besoins. L'exégèse juive est une culture du commentaire et du surcommentaire, à son tour commenté, dont l'exemple parfait est la Bible rabbinique dite Mikra'at Gedolot (Grandes Lectures), où chaque paragraphe est entouré de documents exégétiques de diverses époques : le texte biblique se trouve littéralement écrasé par la masse des commentaires, submergé par la mer immense des interprétations.

 

L'auteur se plaît à mettre en évidence les paradoxes du rapport des Juifs à la Bible. Les croyants s'entourent de passages de l'Écriture mis en boîtes (tefillin), ou cloués à l'entrée des maisons (mezuzah), mais lisent rarement les passages en question et n'ont qu'une idée fort approximative de leur contenu ; quant aux rouleaux de la Torah, parchemins soigneusement gardés et vénérés, ceux qui les lisent lors des liturgies à la synagogue ne comprennent pas – ou rarement – le texte hébreu. Pendant des siècles, notamment en pays ashkénaze, le Livre par excellence lu et étudié par des générations de Juifs croyants n'était pas du tout la Bible, mais le Talmud : l'Écriture était reléguée aux marges. Paradoxalement, c'est dans la modernité, à partir de la traduction – en allemand – par Moses Mendelssohn à la fin du xviiie siècle, que la Bible redevient le centre de l'identité juive ; assimilée aux valeurs universelles de la Révolution française par le franco-judaïsme (J. Salvador, J. Darmesteter). Elle devient, selon le poète Henri Heine, la « patrie portative » des Juifs. Et cela, malgré le travail de sape de la critique historiciste, depuis Spinoza et les protestants du xviie siècle jusqu'à Julius Wellhausen (1844-1918) qui littéralement dissolvait l'unité du Texte en distinguant plusieurs « strates » superposées dans le Pentateuque (le Jehowiste, le Deuteronomiste et le Sacerdotal).

 

Parmi les lectures modernes, l'interprétation littéraire fera fortune, à partir des travaux de Erich Auerbach – qui compare la Bible à Homère – jusqu'au roman juif contemporain. Mais la réinterprétation la plus efficace politiquement sera celle des sionistes, qui feront de la Bible sécularisée le manifeste national du retour à la terre ; contre la culture diasporique, la Bible devient ainsi « le livre saint du sionisme laïque ». Le dernier avatar politique de la Bible est un retour à la théologie : son utilisation par les fondamentalistes du Bloc de la Foi pour justifier l'annexion des territoires occupés de la Cisjordanie...

 

Pour J.-C. Attias, l'ultime commentaire « juif » moderne de la Bible estL'Homme Moïse et la Religion Monothéiste (1934) de Sigmund Freud. C'est une sorte de midrash (interprétation) moderne, sacrilège, de l'Écriture, qu'on peut considérer comme la pointe extrême, au xxe siècle, de la tradition exégétique juive.

 

Un large appareil de notes, une bibliographie, un glossaire et un index général complètent utilement cet ouvrage, qui n'a rien d'une « Somme » exhaustive, mais relève plutôt de l'art de l'essai... exégétique.

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