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Les matches de volley des après-midi tunisiennes, par Jose Boublil

Les matches de volley des après-midi tunisiennes

 

Un peu sonné de ma longue sieste kherredinoise à 45° à l'ombre, je me redresse lentement pour enfiler mon short de sport.

Puis, encore hagard, je trouve un T-shirt suffisamment large pour permettre à mon bras de "circuler" librement dans l'air.

Enfin, je passe des chaussettes blanches en coton, la fournaise me permettant au mieux ce doux tissu. Plus chaud que ça, c'est la gangrène assurée. Et mes pompes "Stan Smith" blanches, très élégantes et adaptées au combat de tout à l'heure: les matches de volley des après-midi tunisiennes.

16h30 , je traine encore un peu dans l'appartement. Un café "bondin" chauffe sur le gaz , pendant que je sors les pâtisseries énergisantes. En effet, il faut mettre toutes les chances de mon côté: les boulous ou les croquants pour les sucres lents, deux voire trois sucres dans mon café-verre pour les sucres rapides, et une citronnade maison-merci Mongia! -pour la Vitamine C. Tout ce rituel quotidien était accompagné d'un arrosage vif de mon visage et des poignets à l'eau très glacée du robinet rouillé.

16h50. Me voilà sorti en direction du terrain Olympique kherredinois: la maison de Claude, Guy et Sydney Saal, et de Monsoieur et Madame Saal z"l, des hôtes adorables , qui supportaient les cris ininterrompus des volleyeurs TOUS leurs étés, du dimanche au samedi durant trois mois: juillet, août, septembre.

A 16h55 nous sommes devant le perron, et nous piétinons comme des mômes de 5 ans, tant nous sommes chauds de vice.

Mais nous connaissons la règle: personne ne dérange avant 17h00. Et tout le monde, même les mal élevés la respectent, car les Saal forcent le respect par leur gentillesse.

Ca y est, 17h00, toute la bande se rue dans le grand jardin. Déjà près de la moitié des combattants sont là. Pour des tunes, être aussi ponctuels, ça met tout de suite la barre très haut sur la motivation, l'excitation, l'envie de gagner, qui anime les dingues ici présents.

Au fur et à mesure, les autres arrivent. Une bande de clowns , grimés, déguisés, de toutes les couleurs. Shorts blancs, bleus, rouges, verts,  maillots de bain; T-shirt ou torse nu; Chaussettes ou sans; pieds nus, savatte ou vraies chaussures de sport. Une équipe de pieds nickelés, évidemment avec des formats allant de 1m50 à 1m95. Et des niveaux depuis la maternelle du volley, jusqu'à des internationaux encore en activité.

De plus, le terrain est d'environ 4m sur 4 m de chaque côté, entouré de quelques ronces et palmiers très piquants. Cela pour faciliter les termes de l'accord avec le marchand de ballons: on en crève un par après-midi et tu nous fais une réduc de 25%!

La règle est simple: tout ressemble aux matches officiels, sauf la règle du filet: à Kherredine, si on le touche il n'y a pas faute.

Et même, comme la plupart du temps, si vous partez avec pour votre pêche au mulet le point est pour vous si le ballon touche le sol du caré adverse.

Sans faire la liste exhaustive des participants, il me faut rappeler ceux sans qui les matches n'auraient eu aucun piquant.

Les Saal pour commencer, Sydney ex-joueur de compétition à la retraite de 1m80 ; et deux frères meilleurs dentistes que volleyeurs, Mon ami Claude, et son frérot Guy. En gros, il vaut mieux pour leurs patients qu'ils soient meilleurs dentistes quand même. A moins qu'on parle de soigner le "chat de la voisine".

Carlo Madar z"l. 15 ans de plus que la plupart des excités. Mais beaucoup plus excité que toute l'équipe prise ensemble. Un caractère de lion, un rare charisme, et plein d'humour. C'était l'ami de tous, jeunes et vieux, et celui avec qui on avait plus de chances de gagner tant sa culture de la "gagne" était ancrée en lui.

Les rares après-midi où Carlo n'était pas là (en raison d'un foot plus prenant, ou d'une ballade à cheval avec son jeune fils Fabio), les parties perdaient de leur piment.

Gilles Namer z"l. 1m65 , mais la force et l'énergie d'un taureau. Celui qui a, sans aucun doute, le plus été ami avec le filet (je le soupçonne même d'avoir instauré cette règle de ne pas tenir compte des fautes de filet). Gilles était dans tous les coups. Les paris, les cris, les embrassades, la "chouâ", les bagarres(gentilles).

Je crois qu'il devait jouer toutes les parties, tellement sa présence était imposante. Et pourtant ce n'était pas du volley académique, ce jeu, mais "Nameresque"!

Son complice de déconnage intégral, de cris encore plus fort, de "chouâ" au stade international , c'était Laurent Bes(Laurent Besnainou pour les parisiens de passage ). Laurent était l'un de ces rares cas , que la science aurait dû examiner plus sérieusement, dont l'intelligence était modestement 70% à 80% au-dessus de la moyenne, dont les dons sportifs étaient inversement proportionnels à sa taille, 1m60,et son gabarit, légèrement rond. C'était le meilleur ou presque dans TOUS les sports: Foot, volley, ping-pong, ski nautique, tennis(hors vrais compétiteurs).Donc au volley, Laurent était chouchouté par tous pour sa qualité, et son vice, but ultime des parties .Il fallait, dans ce Dallas amical, gagner mais surtout énerver l'adversaire, par un cri qui paralyse, par une "carotte" frustrante, par une insulte très a propos juste après le point .

Il y avait les vrais joueurs: d'abord mon ami Guitou Cohen z"l, pur esthète de ce sport, pur gentleman dans tous ses faits et gestes. Une crème d'homme et un partenaire rêvé, à savoir excellent, et jamais critique avec son équipe. Michel et Gilbert ses frères , également de sérieux numéros. Denis Pariente z"l, que j'ai rééllement connu lors de mes premiers contacts avec ce sport, quand j'avais 11 ou 12 ans. Il était alors le leader de cette équipe poussin de juifs tunes, qui commençait ses premières compétitions. Serge Chiche médecin de son état, à la retraite très anticipée, devenu vendeur de chaussures. 1m85 . Un des joueurs efficaces et moins esthétiques. Et encore bien d'autres.

Enfin, les vrais cracks: Sydney Lellouche, dit Coplan en référence au beau gosse blond des films de OSS 117 . Sydney avait été international en Tunisie, et attaquant de pointe de l'équipe de La Goulette. C'était probablement l'un des meilleurs et des plus doués attaquants qu'il y ait jamais eu. D'un "calme" magnifique, Sydney pouvait sans doute casser les piliers du filet en cas de point contesté. Ou taper la balle sur le sol pour la faire rebondir de l'autre côté de l'avenue. Un vrai bristish en somme.

En revanche, lorsqu'il gagnait il avait une belle expression pour chauffer ses adversaires, déjà furieux: "avec la langue, je te la mets"..Oui, il mettait les points "avec sa langue"!

Bebert Siméoni: le joueur complet par excellence. Lui aussi avait été un des meilleurs internationaux de l'équipe tunisienne. Il savait tous faire: d'abord une passe de rêve. Un smatch dans toutes les positions, malgré une taille handicapante à ce niveau-environ 1m75- et une très grande finesse: carottes à la pelle, attaque en première, contre très efficace, etc...Inutile d'expliquer que chez les Saal, il était spécialement avantagé.

Le troisième larron: Raouf Bahri, l'attaquant numéro un de l'espérance pendant des années. Ancien internationnal fabuleux également, Raouf avait l'un des plus beaux gestes que j'ai vu , capable de frapper de tous les postes avec une rare élégance. En plus, il était d'un fair-play que j'admire chez certains grands sportifs. Et surtout, à la ville, il tenait une crèperie géniale, à deux pas d'une des boîtes de nuits à la mode de La Marsa, qui nous permettait d'alterner drague, danse, et restautation innovante (mais "pas très "casher !).

Et puis, le plus excité de tous, c'était moi. D'une taille immense par rapport à certains. Moins grand que Syney Lellouche ou Raouf Bahri. Compensé (un peu) par une détente travaillée à la maison pendant des mois, au détriment de quelques matières importantes. Plus nerveux que Carlo et Sydney L réunis. Plus vicieux que Laurent Bes(et ce n'est pas peu dire).

Le volley était pour moi une religion: deux entraînements par semaine, plus un match le dimanche. Sans ce match, j'organisais même avec les autres mabouls(Gilles N, Laurent, Serge Chiche, Charles Tibi, etc...)à Paris des paris de volley au jardin d'acclimatation; parfois à 0°, parfois sous une pluie diluvienne.

Les parties commencent. Toutes doivent d'abord prévoir le montant du pari, puisque on n'est pas là pour rigoler. C'est bien à la place du poker ou, au moins, de la belote que se situent ces parties. Cela met du sel, prépare aux influences, à l'énervement, met en condition de chaleur intense tous les opposants.

Hurlements à droite. Entorse. Descente du filet par "agrippage". coup de poing "involontaire".Pari gagné. Ne veut pas payer. Triche. Elimination de joueurs.

Tout va bien, l'ambiance est là, une fois de plus. Les smatches claquent sur le sol, et rebondissent sur certaines têtes, ou sur le palmier....pchchchch!!!!

Puis, on reforme les équipes, en fonction des précédents matches. Et le tournoi nous met en transe à 40° vers 19h! A 19h30, extinction des feux chez les Saal. Direction la plage, pour un petit bain d'un quart d'heure-une demi-heure. Le kif absolu. Nirvana de "chez tunis"! Trente ou quarante personnes dans une mer tiede

laissée à l'abandon au profit de ses meilleurs clients. Boujenah a parlé des "magnifiques" qu'il ne connaissait pas vraiment.Mais pour nous il aurait fallu inventer un vocabulaire entier pour décrire cette génération débridée et géniale. Cette équipe de fous qui ont réinventé les plaisirs du monde, qui ont permis , pendant un court moment , à la Tunisie d'être plus important que l'Amérique. D'être le modèle de l'intelligence et des jeux réunis.

Prenez par exemple Laurent. Dans un pays "normal", un environnement "normal", Laurent aurait pu avoir un CAP de tourneur. Mais, boosté par son 6è sens tunisien, qui permet de se dépasser sans toutefois en faire le moins possible, il est dentiste (et très loin de son seuil d'incompétence).

Le volley fut, parmi tant d'autres jeux d'excités, un laboratoire de mesure de l'énergie, la volonté, et même le vice de la génération.

 

Jose Boublil

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Bravo pour votre site, je crois qu’il dépanne beaucoup de personnes, moi en tout cas il m’est très utile, continuez comme cela et bon courage !!!!

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