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Les Tcherkesses : des Israéliens heureux

La légendaire beauté caucasienne n’est pas en voie de disparition Photo Sandra Ores © Metula News Agency

 

Les Tcherkesses : des Israéliens heureux  [Analyse]

Par Sandra Ores ©Metula News Agency

 

Le mont Hermon, même dans les mois les plus froids de l’hiver moyen-oriental, lorsque ses reliefs enneigés se détachent sur l’horizon, reste un petit-cousin fort éloigné des imposantes montagnes escarpées du Caucase.

 

Le spectacle des hauteurs israélo-syriennes offre toutefois un brin de compensation pour les quelques mille Tcherkesses établis sur les monts situés de l’autre côté de la vallée du Jourdain, dans le village de Rehaniya (la parfumée). Les Tcherkesses israéliens vivent éloignés de la patrie dont ils sont originaires, la région nord de la chaîne eurasienne s’élevant entre la mer Noire et la mer Caspienne.

 

Niché entre les monts de Naftali, au nord de Safed, en Galilée, à moins de cinq kilomètres de la frontière délimitant Israël et le Liban, cette petite agglomération se dresse, fièrement, au milieu des kibboutzim et des villages juifs, arabes et chrétiens environnants.

 

Les Tcherkesses ont survécu, en dépit des tragédies ayant tissé leur histoire

 

Les Tcherkesses, que l’on nomme également Circassiens, sont arrivés dans la région de la Palestine, alors sous domination ottomane, dès 1873, suite à la guerre russo-circassienne (1763-1864). Au cours de ce conflit, l’Empire russe a tenté de décimer cette peuplade autochtone, qui comptait quatre millions d’âmes à l’époque, afin de prendre le contrôle de son territoire, qu’il considérait comme stratégique.

 

Les habiles guerriers de cette ethnie, dont les premières traces remontent à la préhistoire, l’avaient défendu pendant des millénaires, notamment contre les attaques consécutives, entre autres, des Romains et des Grecs, des Mongols, des Huns et des Khazars. Mais ils ne purent résister devant la puissance de l’Empire russe, qui comptait alors près de cent trente millions d’habitants.

 

L’Empire ottoman leur offrit l’asile, mais à la condition stricte qu’ils se convertissent à l’islam ; contrainte à laquelle les Tcherkesses, chrétiens depuis l’influence de l’Empire byzantin au VIème siècle, se plièrent, plutôt que de "nourrir les poissons de la mer Noire", comme les anciens le rapportent aujourd’hui encore. Les Tcherkesses étaient déjà célèbres aux yeux des sultans turcs pour la beauté et la délicatesse de leurs femmes, dont la présence dans leurs harems les comblait.

 

Quatre mille cinq cents Tcherkesses vivent aujourd’hui en Israël, dans les deux villages de Rehaniya et de Kfar Kama, ce dernier, en basse Galilée, comptant trois mille cinq cents individus, tous tcherkesses.

 

Une minorité ethnique dans la société israélienne, qui a su conserver son héritage et qui reste fortement attachée à la préservation de son unité, sa culture et ses traditions.

 

Approximativement trois millions et demi de Tcherkesses vivraient aujourd’hui dans le monde. La majeure partie résidant en Turquie, où ils seraient environ deux millions. Un chiffre toutefois difficile à estimer, nombre d’entre eux s’étant fondus dans la population locale, du fait que, pendant la période d’Atatürk, revendiquer des origines non turques pouvait mener à une peine de prison.

 

Quelques six cent mille Caucasiens sont retournés dans leur région d’origine après avoir été longtemps exilés dans différentes contrées de Russie, jusqu’en Sibérie. Des communautés subsistent également en Jordanie, en Syrie, en Lybie, dans des pays occidentaux comme l’Allemagne ou les Etats-Unis, et également en France.

 

Les Tcherkesses israéliens n’ont pas coupé le contact avec leurs frères ; ils se rencontrent lors d’un congrès culturel organisé tous les deux ans, à l’occasion de grandes fêtes, tel le festival annuel tcherkesse en Israël, ou lors de mariages, pouvant rassembler mille à mille cinq cents invités.

 

L’exemple d’une belle réussite dans la société israélienne

 

Tranquillité, propreté, beauté ; trois qualités primordiales aux yeux des Tcherkesses, me confie Samir Heroun, le maire de Rehaniya, lorsque je le rencontre dans son bureau, lors de mon immersion, pendant deux jours, dans son village.

 

Un village en effet fort joli, bien tenu, où trônent de spacieuses demeures fleuries, et qui comporte tous les aménagements nécessaires à faire vivre la communauté : école primaire, jardin d’enfants, centre culturel, supérettes ainsi que plusieurs petits restaurants traditionnels.

 

Les Tcherkesses ne chôment pas : dès six heures et demi du matin, le village s’active, des voitures sortent de son enceinte, emmenant leurs passagers au travail, dans les villes avoisinantes, jusqu’à Safed, Kiryat Shmona, Karmiel ou même Haïfa. La majorité des Tcherkesses, hommes et femmes, détient des diplômes lui permettant d’occuper des postes intéressants : on compte parmi eux, en vrac, le chef de la police de Kiryat Shmona, des garagistes, des chercheurs dans le domaine médical, ou encore des couturières, spécialisées dans la confection des uniformes de Tsahal.

 

L’hygiène, l’organisation et la réussite de cette communauté contraste avec l’état du village voisin d’Alma, peuplé par des Juifs originaires de Lybie. Situé à quelques centaines de mètres à peine de Rehaniya, de l’autre côté de la route, il offre un tout autre spectacle : jardins délabrés, bâtisses construites sans goût, où la négligence et le laisser-aller ne peuvent échapper à l’œil du visiteur ; un mochav (village semi-communautaire) en faillite, l’un des plus pauvres d’Israël.

 

Cette antithèse constitue un exemple irréfutable de l’égalité des chances de réussite qu’offre l’Etat hébreu à tous ses citoyens, indépendamment de leur ethnicité ou de leur religion. Elle montre que, à l’opposé diamétral du mythe dont on accuse souvent la société israélienne, celle-ci ne fonctionne pas sur la base de discriminations ou de ségrégations entre Juifs et musulmans ; mais, au contraire, qu’elle offre à chacun un système basé sur le mérite et l’initiative personnelle.

 

 

Intégrés à la population israélienne, tout en conservant librement leurs spécificités et traditions

 

Seuls le vert-bleu perçant de leurs yeux, leur beauté intrigante et leur chevelure claire – souvent rousse ou blonde - permettent de distinguer les Tcherkesses de la plupart des autres Israéliens.

 

Si, dans l’enceinte de leur habitat, ils parlent la langue tcherkesse, l’adyguéen, ils s’expriment dans un hébreu parfait et sans accent.

 

Les Tcherkesses israéliens restent particulièrement attachés à leur culture et à leurs traditions, qu’ils perpétuent avec cœur et envie. Le respect représente une valeur morale centrale dans la manière dont ils conduisent leur vie, notamment au sein de la famille ou des relations entre les hommes et les femmes.

 

La majorité des jeunes gens se passionne en outre pour la danse folklorique, discipline essentielle de la culture tcherkesse. Un échantillon de cette pratique peut être apprécié au cours de leur festival annuel, dont la dernière occurrence a eu lieu le week-end dernier. Un soir de spectacle dans chacun des deux villages, suivi de ballets informels, au cours desquels les adolescents des deux sexes dansent ensemble et échangent des regards prudes. C’est au cours de ces évènements, de même que des mariages, qu’ils se rencontrent.

 

Car les Tcherkesses se marient entre eux. Mais jamais au sein d’une même famille ; si la dulcinée provient d’un autre village, voire d’un autre pays, c’est encore mieux. Ces mélanges et leurs règles auront certainement concouru à perpétuer la beauté du clan.

 

La communauté vit dans un monde différent de celui des autres Israéliens ; rien à voir avec celui des Juifs, ni celui des chrétiens, ni encore celui des musulmans sunnites. Les Tcherkesses entretiennent leur différence et sont fiers de leur ascendance. "Si on se fond dans la masse, on oublie d’où l’on vient, on n’est plus rien", m’indique Samir, le maire.

 

Le Caucase, aujourd’hui en Russie, représente pour certains, comme Shaouki, le fondateur du festival et conservateur du musée de l’héritage tcherkesse de Rehaniya, un paradis lointain qu’ils souhaiteraient, un jour futur, regagner. Mais, en attendant que ce rêve mythique se réalise, Israël, c’est bel et bien chez eux ; ils représentent la troisième ou la quatrième génération à s’être établie sur cette terre.

 

Un home sweet home dont ils apprécient la tolérance et la liberté qu’il leur accorde. Une société dans laquelle ils sont pleinement intégrés, tout en ayant la possibilité de garder leur propre mode de vie. De se rendre dans leurs écoles afin d’y apprendre la langue de leurs aïeux ; ou encore, d’afficher des signes extérieurs religieux sans rencontrer de discriminations, comme me le rappelle Khouria, éducatrice au jardin d’enfants, portant le voile blanc tcherkesse autour du visage.

 

Une chance dont ne bénéficient pas toutes les communautés tcherkesses à travers le monde, dans les pays où il ne fait pas bon afficher sa différence. Ainsi, en Jordanie, la communauté tcherkesse peine à éviter l’assimilation et la disparition de ses traditions, alors qu’elle se fond peu à peu dans la masse. Partageant, de plus, la même religion que le reste des citoyens, elle a du mal à perpétuer ses particularités.

 

D’ailleurs, à en croire Khouria, les autres Tcherkesses de l’étranger considèrent les ressortissants israéliens comme chanceux, soutenant qu’ils jouissent d’un bon cadre de vie. Israël, cet exemple le montre, participant d’un Etat tolérant la dissemblance, voire encourageant le maintien des patrimoines de ses diverses communautés, qui nourrissent la richesse culturelle du pays.

 

Cette manière de mener leur barque n’empêche pas les Tcherkesses de demeurer des gens avenants, ouverts sur l’extérieur, et dissertant avec plaisir sur leur culture.

 

Des liens et des amitiés, ils en entretiennent avec des membres de toutes les confessions alentours. Toutefois, ce sont des citoyens juifs qu’ils se sentent les plus proches, comme me l’indique Matilda, femme aux cheveux et teint clairs, d’âge mûr, en train de préparer sa maison pour l’arrivée de ses invités de Jordanie, qui participeront au festival. Similaires aux Juifs, du point de vue du mode de vie, de la mentalité, et de l’approche de la laïcité.

 

Les Tcherkesses sont musulmans depuis leur absorption dans l’Empire ottoman. Devenus, au fil des générations, fidèles croyants et heureux dans leur nouvelle foi, la pratique sérieuse des préceptes de Mahomet n’est suivie qu’après un âge avancé. Les jeunes mènent une vie totalement profane, et, dans les rues de Rehaniya, seules les femmes plus âgées, auxquelles se joignent quelques jeunes exceptions, portent le voile. Un voile blanc, particulier aux Tcherkesses, importé de Turquie, et bordé de perles de la même couleur.

 

A Kfar Kama, l’autre village tcherkesse de Galilée, les jeunes filles se tournent davantage vers la religion, et l’on peut en croiser certaines, la tête déjà couverte avant le mariage.

 

Une communauté loyale et patriote, depuis la création de l’Etat d’Israël

 

Les jolies jouvencelles tcherkesses, ainsi qu’il en va des jeunes filles druzes, par pudeur et afin de ne pas se trouver mélangées à des garçons dans des unités mixtes, ne sont pas contraintes au service militaire. A l’opposé des jeunes gars, qui s’y plient sans exception.

 

Au sein de Tsahal, ils intègrent souvent des unités d’élite, dans les garde-frontières ou l’armée de l’air. De par leur histoire, les Tcherkesses portent en eux la fibre des combattants courageux et honorables ; des qualités qui se reflètent dans le nombre particulièrement élevé d’officiers parmi les soldats issus de cette petite minorité.

 

Shaouki me rapporte que parmi ses six frères, cinq portent le grade d’officier ; mon interlocuteur poursuivant que l’on dénombre, dans l’armée, davantage d’officiers originaires de Rehaniya que des trente-trois autres villages avoisinants.

 

Des soldats musulmans, auxquels Israël accorde une confiance absolue, plaçant entre leurs mains la responsabilité des vies d’autres soldats et des civils. Dans l’Etat hébreu, la loyauté, au point de risquer sa vie afin de défendre la sécurité du pays, compte ainsi davantage que la confession.

 

C’est également au cours de ces années formatrices que les jeunes Tcherkesses tissent des liens d’amitié avec les autres Israéliens juifs, druzes et bédouins.

 

L’allégeance à Tsahal alimente la complexité de l’identité tcherkesse ; les membres de cette communauté se trouvant pris en tenaille entre leur fidélité à l’Etat hébreu et les adeptes de la religion musulmane, dont la majorité, et particulièrement ceux vivant au Moyen-Orient, considère que les musulmans devraient tous être solidaires dans la lutte contre Israël. Cette considération faisant des Tcherkesses des traîtres à leurs yeux.

 

Les Caucasiens ont cependant choisi de se ranger aux côtés des Juifs pour défendre la sécurité d’Israël contre les attaques arabes. Une prise de position qui remonte à la création de l’Etat en 1948, et même avant cela.

 

Ils débarquèrent en effet en Galilée en même temps que les premiers pionniers juifs ayant quitté l’Empire russe, à la fin du XIXème siècle ; la connaissance de la langue russe, ainsi que des origines géographiques voisines, ont rapproché les deux peuples.

 

A l’inverse, me rapporte Shaouki, la barrière de la langue les tenait à l’écart des Arabes, avec lesquels quelques conflits éclatèrent durant les premières années ; ces derniers, peu disposés à accepter la présence des nouveaux venus, cherchaient à les chasser ou à piller leurs campements.

 

Dès les premières années, les hommes tcherkesses furent d’ailleurs engagés par les Juifs pour défendre leurs villages des attaques locales arabes ; la défense, une matière dans laquelle les Juifs n’excellaient pas encore, au contraire des Caucasiens.

 

Aujourd’hui, les Tcherkesses, malgré le fait qu’ils ne soient pas israélites mais musulmans, représentent parfaitement l’Israélien moderne laïc, travailleur et patriote, l’idéal imaginé par Théodore Herzl lors de la création de l’Etat hébreu.

 

Une image à même de briser le mythe fallacieux d’un Israël raciste et ségrégationniste, écrasant ses minorités sous une culture unique et oppressante. En lieu et place, la qualité de vie de la communauté tcherkesse laisse entrevoir un esprit de tolérance et d’humanisme, une société centrée sur l’individu et non sur le dogme ou la religion, loin de s’inspirer d’une idéologie totalitaire au seul avantage des Juifs.

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