Les Tunes, ces etres merveilleux, par Jose Boublil
Ca fait mille fois qu'on m'interroge sur les tunisiens. Pourquoi êtes-vous donc si dégourdis, sympathiques, bons vivants, etc...
Cette question ne m'a pas été posée une seule fois mais mille, dans les trente dernières années. Par des gens qui, manifestement, ont beaucoup d'amis tunisiens, et d'autres qui s'offusquent de cette spécificité comme s'il s'agissait d'un combat .
A mon ami qui s'étonnait récemment, et qui est un homme formidable, je voudrais répondre.
La première chose, essentielle, est de rappeler que dans chaque communauté il y a des gens merveilleux , cultivés, amusants, brillants . Mais évidemment il y a des éléments récurrents de certains groupes juifs, liés à la culture locale : leur situation géographique (ceux de Tchernobyl sont forcément moins enjoints à déconner que ceux de La Goulette... Que peut-on faire?), les affres de l'antisémitisme local -violent ou détendu- , le climat, la beauté des sites, les mélanges d'individus, etc...
Il est important de rappeler que dire une chose positive sur une communauté ne veut pas dire dénigrer les autres.
Enfin, pour que les choses soient encore plus claires, parmi les 10 personnes que j'admire le plus au monde, en dehors de mes parents, les tunisiens n'auraient pas la majorité.
La Tunisie fut peuplée par les juifs essentiellement à l'époque de la destruction du premier Temple, puis de l'inquisition, et au 19 è siècle pour ce qui est des Livournais. Ils vivaient essentiellement dans les grandes villes, Tunis, Sousse, Sfax, Djerba .
Et quelques familles à Nabeul, Gabès, Le Kef, notamment. Quant à Kairouan, cette ville fut habitée par les plus grandes sommités religieuses , pour être ensuite interdite par les envahisseurs arabes vers le 11è siècle.
Passons aux choses vraiment utiles .Je rappelle que la découpe même des côtes tunisiennes, et la position du pays avec son avancée vers la mer , ont facilité son statut exceptionnel de carrefour pour le commerce . Ainsi , depuis plus de 2000 ans, le pays a vu débarquer tous les peuples qui commerçaient en méditerranée (phéniciens, grecs, romains, ..). Cette situation a permis aux tunisiens de tous horizons, juifs, arabes , berbères, ou chrétiens, de s'ouvrir au monde, et de ne pas se replier sur soi. C'est d'ailleurs pour cette raison probablement, que l'orthodoxie religieuse n'a pas été très développée chez les juifs , sauf à Djerba , à partir du 19è siècle et l'arrivée des derniers colonisateurs, les français.
Lorsqu'on regarde les enfants à Tunis, dès l'émancipation intellectuelle amenée par les français, l'échange entre cultures se poursuivait merveilleusement bien: autour d'un ballon de foot, ou d'un sac de billes, il y avait -je m'en souviens parfaitement bien dans le champ situé en face de chez moi, ou sur la place Jeanne d'Arc- des juifs, des arabes, des yougoslaves, des italiens (qui nous apprenaient les premières vulgarités) , des maltais , etc..Chacun avait sa place dans le groupe, et apportait quelques phrases du langage imagé, et la poésie de sa culture exotique pour nous. On peut toujours dire qu'il y avait des tensions , entre tel et tel, telle ou telle culture.
Mais la réalité c'est que cela permettait de nous préparer à une faculté d'adaptation rare . Et même à permettre à nos oreilles gutturalisées de pouvoir apprendre bien plus aisément les langues étrangères. Cela pourrait sembler dérisoire, ridicule, mais nos jeux d'enfants ont largement construit certaines de nos facultés de compréhension des autres.
L'autre élément qui me semble considérable, et dont nos parents par leur éducation sont forcément les instigateurs, est que dans les groupes, les bandes, avant tout il y avait des enfants de tous les milieux, au moins de ce qui est de Tunis. Je sais aujourd'hui avec précision qui étaient les enfants de familles riches, et ceux de famille modestes. A aucun moment ces différences n'étaient mises en avant. De la même manière il n'y avait pas de ségrégation religieuse , puisque nos potes , dans les classes de Carnot, étaient
de toutes origines.
Ce creuset fut notre berceau culturel; et malgré le refus de toute lecture non illustrée par des dessins, sauf le martinet du papa ce qui était plutôt très rare dans nos contrées, le petit "tune" réussit à être plutôt cultivé. Ceci étant renforcé par la télé italienne, surtout allumée pour les match de foot. Et puis, il faut reconnaître que Zembla, Blek le roc, Mandrake , ou Spirou, alliaient des informations très intéressantes sur la jungle, le conflit anglo-américain, ou encore l'imagination la plus fertile. Sur le plan de l'apprentissage financier, les négociations des BD d'occasion avec les revendeurs nous obligeaient à devenir plus futés , et à comprendre en un quart de seconde comment faire une affaire ou se faire "bananer".
Puis vint l'âge adulte ; moment où les jeux sont très variés mais seront la rampe de lancement d'une vie. Je ne peux pas parler pour ceux qui dormaient au lieu de jouer. Pour ma part, j'ai cru être en prépa, en fait j'étais en prépa poker. Les jeux c'était tout ce qui est possible d'inventer pour prendre des risque, et gagner ou perdre beaucoup d'argent.
Quand les gens me demandent si je sais jouer à la belote, je n'ose pas dire la folie des belotes sanglantes auxquelles j'ai jouées. Des écarts sur une nuit permettant à l'un de gagner une mustang, et à l'autre de se pendre. Il y avait donc le poker toutes catégories,
y compris un certain "nullo", la belote également toutes catégories , le tarot, la scopa .
La moyenne des fiches de temps individuelles étaient de près de 8 h par jour, avec des pointes à 12/15 heures. A ces jeux d'argent, il faut ajouter les kifs sportifs: football, volley, tennis, surtout.
Tout ça construisait la personnalité d'un jeune, et révélait rapidement les gens biens et moins bien, ceux de mauvaise foi, les mauvais perdants, les gens fair play, etc..Mais en tous cas, les jeunes prenaient de chacun de ces jeux à l'excès des morceaux de personnalité assez originale, et de s'obliger à prendre du recul, à accepter la défaite ou à etre un gagnant élégant.
Enfin, à Tunis, les filles n'étaient pas de reste. Ni timides, ni filles à papa. Les jeunes n'avaient pas beaucoup de mal à s'émanciper tous terrains . Sujet sensible mais ne pas rester coincé trop longtemps donne aux gens une certaine facilité également sur les sujets intellectuels. Certes les tune moyen n'est pas "toujours" dans la recherche fondamentale, il préfère l'expérimentation. Au fond, d'une vie sympa de la plupart des jeunes juifs, les tunes ont bénéficié d'une vie complexe, à faire mille choses, à expérimenter la vie à travers des échanges culturels sur le terrain de foot, le sang froid et l'analyse au poker, les hurlements de lions pour gagner un point au volley, et tout ça en respectant les gens si différents.
J'espère avoir fait un résumé suffisant pour mon futur Nobel !!!
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