Lettre ouverte à Khalil, de Gaza
Salut, Khalil,
Sais-tu pourquoi nous nous ressemblons, toi et moi ? Nous avons tous les deux 30 ans, nous avons tous les deux une fille de 7 ans
Tous les deux, avant d'aller dormir ce soir avec les femmes que nous aimons, nous irons embrasser nos filles et nous les recouvrirons, car il commence à faire froid.
Tous les deux, nous embrasserons nos filles sur le front avant d'aller au lit et nous embrasserons nos femmes; toi à Gaza et moi à Tel-Aviv.
Avant de nous endormir, nous penserons tous les deux à la semaine suivante, au travail qui nous attend et à la lourde responsabilité de nourrir nos familles, d'apporter à manger à nos enfants.
Nos femmes savent que nous sommes des Hommes, n'est-ce pas, Khalil ?
Nous allons tous les deux sans doute penser au sexe et, une fois de plus, nous endormir en y pensant encore. On se ressemble, Khalil, mais il y a pourtant quelque chose de différent.
Cette nuit, ta fille va mourir.
Tu ne l'apprendras que demain matin. Tu te réveilleras après une explosion assourdissante. Les murs de ta maison trembleront et une partie du plafond te tombera sur la tête.
Tu te précipiteras dans la chambre de ta fille et tu verras que tout le mur côté nord aura disparu. Ta fille sera là, gisant à terre, un petit corps calciné.
Mais ne t'inquiète pas, Khalil mon vieux; elle n'a pas brûlé vive. Le choc l'a tuée sur le coup, avant qu'elle ne prenne feu. Ça te soulage, non ?
Ensuite, un type va venir et se présenter comme Jamil, et il va commencer à la prendre en photo.
Alors, maintenant, avant de maudire ces salauds de sionistes qui ont tué ton enfant, parlons plutôt un peu d’Imad, ton voisin.
Te souviens-tu lorsqu'il était venu chez toi pour te demander un prêt, il y a un an ?
Ouais, je sais que tu lui aurais donné l'argent si tu en avais.
Mais ne t'inquiète pas, il s'est arrangé autrement.
Quelqu'un lui a proposé 2000 shekels par mois pour lui louer une des pièces de sa maison.
C'est comme ça que l'année dernière, sans que tu le saches, une pièce dans l'appartement d’Imad a commencé à se remplir de roquettes Kassam.
Tu sais, ces tubes de deux mètres de long qui contiennent environ 10 kilogrammes d'explosifs ?
Donc, dans cette pièce, il y avait 50 roquettes comme celles là. Et c'est cette pièce, Khalil, qui avait une cloison avec la chambre de ta fille. Cela veut dire que tous les soirs, elle a posé sa tête sur un oreiller à côté d'une demi-tonne d'explosifs. Comment as-tu pu dormir tranquillement la nuit ?
Quoi ? Imad ne t'avait rien dit ?
Mais attends, ne lui en veux pas à Imad, ne t'énerve pas.
Il avait des problèmes d'argent et tout ce qu'il voulait c'était donner à manger à ses enfants. Il était désespéré.
Et c'est Jamil, le gars qui paie le loyer, qui l'a convaincu que la chambre servirait juste d'entrepôt, et que personne n'utiliserait les roquettes.
Donc, oublie Imad. Parlons plutôt de ces roquettes et essayons de comprendre.
C'est quoi ces roquettes, Khalil ? C'est comme une balle. Où que tu vises, c'est là qu'elle frappe.
Seulement, à la différence d'un fusil, c'est un engin qui brûle tout sur son passage. Le Kassam, par exemple, peut avoir une portée d'environ 20 kilomètres.
Avec cette arme, tu voudrais viser une cible à 20 kilomètres ? Non, tu ne peux pas.
Tu touches approximativement, et pour t'assurer que tu vas bien atteindre ta cible, tu tires 10 roquettes en même temps. On appelle ça un "volley". Tu lances les roquettes sans te soucier où elles vont tomber.
T'envoies une rafale sur une ville en espérant que quelque chose va bien finir par frapper un jardin d'enfants. C'est ce qu'on appelle «terrorisme». Et les Israéliens n'aiment pas le terrorisme. T'as qu'à nous traiter de dingues, mais on veut protéger nos civils.
Donc, on dépense des millions de dollars pour des missiles, ce sont des sortes de roquettes, mais c'est plus précis et ça nous permet de toucher les entrepôts pleins de roquettes et de lanceurs.
On pourrait bien tirer des roquettes et des obus directement sur ces cibles mais alors on risquerait de toucher beaucoup de vos civils. Et ça, on ne le veut pas.
Nous avons donc lancé des missiles très chers et très précis dans vos entrepôts de roquettes. Et, malheureusement, il arrive que les petites filles dorment, leurs têtes collées tout près de ces entrepôts.
Mais attends !
Avant de maudire les missiles des salauds sionistes qui ont tué ta fille, parlons un peu de Jamil.
Jamil est un activiste du Hamas. Son rôle est de localiser les "entrepôts" comme celui d'Imad, et de veiller à ce que les roquettes y soient bien stockées.
C'est tout. On appelle ça un "officier de la logistique», mais ici, c'est un peu différent.
Jamil a reçu des instructions spéciales: premièrement, que les entrepôts ne soient pas proches les uns des autres.
Deuxièmement, qu'ils se trouvent dans des quartiers résidentiels. Près des jardins d'enfants. Près des hôpitaux et des maisons de retraite.
Adjacents au mur de ta fille.
Et tu sais pourquoi ? Parce que Jamil s'en fiche si ta fille meurt.
En réalité, ce sera lui le premier qui se rendra sur les lieux et qui filmera son corps calciné avec son Iphone.
Ensuite ce sera mis sur YouTube. Exactement comme les premiers jours de l'opération "Pilier de Défense".
Maintenant tu peux t'énerver, oui, contre Jamil.
Mais Khalil, mon ami, il ne suffit pas d'être en colère contre Jamil. Tu dois être en colère contre le Hamas.
C'est lui ton gouvernement souverain, et c'est lui qui a décidé d'utiliser cette stratégie. Le Hamas investit la plupart de ses ressources pour la militarisation. Dans des entrepôts à côté de ta maison.
Dans des lance-roquettes à côté de l'hôpital. Et fait tout pour que des civils meurent. Aussi bien pour toi que pour nous, le Hamas doit tomber.
Alors comment se mettre en colère contre le Hamas ?
Pense à Internet. Pense à tes amis. Pense aux manifestations. Pense aux contestations. Pense à la critique. Pense à l'organisation. Pense à un blog.
Pense à des interviews dans les médias.
Pense que le Hamas doit tomber et que vous méritez un gouvernement qui voit comme des priorités absolues, ton travail, ton avenir et ta fille.
Pense à ta fille. Pense à la paix.
Je t'assure que, lorsque vous cesserez de viser des armes contre nous et qu'au contraire vous tendrez la main pour coopérer, ce sera le matin où ta fille se réveillera sur un jour qui bâtira son avenir.
Et ça, ça commence avec toi, Khalil. Bonne nuit.
© Traduction Estelle Anaton
Si l'auteur se reconnaît, merci de prendre contact avec Primo.
Ce texte a circulé sur Internet la semaine dernière. Primo remercie l’auteur, un citoyen israélien de Tel Aviv, et Estelle Anaton pour sa traduction.
http://www.primo-info.eu/selection.php?numdoc=Ed-626174844
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