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L'invention de nos vies, de Karine Tuil

L'invention de nos vies, de Karine Tuil

 

 

 

 

Avec son neuvième roman, L'invention de nos vies, sélectionné pour le prix Goncourt, Karine Tuil livre un joli pavé sur le mensonge, l'identité, la réussite sociale et l'amour. Il lui fallait bien cinq cents pages pour entremêler les destins de Samir, Samuel et Nina, et les faire souffrir.

"On devinait la prédation chez ce fils d’immigrés tunisiens, on devinait la hargne, nourrie par un si fort sentiment d’humiliation qu’il était impossible de déterminer ce qui, dans son histoire personnelle, dans ses rapports empreints de méfiance, avait pu l’entretenir si longtemps et avec tant de vigueur."

Samir Tahar a changé deux toutes petites lettres à son prénom pour devenir un avocat d’affaires très en vue à New York et le gendre d’un puissant patron juif américain. Volé son histoire à son ami d’enfance, Samuel, un écrivain raté qui a emporté le cœur de la belle Nina –"ce qu’il a obtenu de mieux dans la vie"- en menaçant de se suicider, certes, mais il l'a ravie à Samir ; elle est devenue mannequin pour la grande distribution tandis qu'il rêve de "faire de sa souffrance mentale la matière d’un grand livre".

Au faîte de la gloire, Samir est rattrapé par le passé, par ce tout petit mensonge devenu une énorme imposture. Il récupère Nina mais perd tout le reste, et c’est sa descente aux enfers que Karine Tuil raconte, sans s'essouffler, au fil des cinq cents pages que dure L’invention de nos vies. La romancière se permet quelques audaces, énumérations jonchées de /, notes de bas de page touffues qui documentent la biographie des personnages secondaires ; le style est vif, l'histoire s'emballe et emporte le lecteur.

Le roman s’ouvre sur une cicatrice, celle qui marque le cou de Samir et lui rappelle d’où il vient ; il se referme sur une blessure, un abîme. Car personne ne sort vainqueur de ce roman de la chute, de la violence sociale, amoureuse, qui est aussi, et avant tout, un roman du roman.

 "Ecrire c'est avoir les mains sales" comprend Samuel.

"Le problème avec les écrivains, c'est qu'ils sont égocentriques, narcissiques et manipulateurs", lui lance un Samir désespéré. Et plus loin: "L’écriture n’est qu’une façon comme une autre de conquérir et de conserver une place sociale" affirme-t-il à son ex-meilleur ami.  Qui de son côté savoure cette phrase de Witold Gombrowicz: “L’art est une entreprise tragique”. La vie aussi, pour les personnages de ce roman de Karine Tuil.

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