Moi Viviane, née Scemama. Souvenirs d’une judéo-tunisienne.
* 11 octobre 1977
Au centre de réadaptation fonctionnelle de la région lyonnaise dans lequel je me trouvais pour neuf jours, les convalescents de type européens, pour la majorité d’entre eux, se réunissaient autour du bibliothécaire letton qui disait venir de nulle part, du « para » unijambiste qui racontait, à qui voulait l’entendre, ses batailles perdues. Certains, plus taciturnes, se tenaient à l’écart, lisant et relisant le quotidien régional commandé la veille à l’amicale.
D’autres, encore plus isolés, regroupés dans leur solitude, les maghrébins, se retrouvaient dans une autre salle surnommée « le château ».
Là, Naceur, le photographe se projetait à haute voix son cinéma, Nourredine le silencieux, plein de son accent des misérables pentes de la Croix-Rousse et enfin, ceux plus âgés jouant aux cartes ou se prêtant à rêver d’un soleil imaginaire.
Ostensiblement, le plus naturellement du monde, je me dirigeais vers eux. Je préférais leur compagnie. J’aime tant « parler l’arabe », retrouver mes mots, nos proverbes, les histoires intraduisibles qui nous font partir d’un rire franc ?
Ainsi tous les soirs, je rejoignais mon ghetto judéo-arabe ; au départ, accompagnée d’une certaine appréhension, une certaine retenue que nous avaient imposé soixante-dix ans de protectorat français.
Cette fois-ci j’éclatais : je déclinais mon identité. Je suis juive, tunisienne et profondément orientale.
Nos conversations allaient dans tous les sens. Nous évoquions l’Algérie, celle de Boumedienne, mais Abdallah le vieux disait qu’il ne fallait pas y toucher. Je lui coupais la parole et lui demander si Monsieur Boumedienne lui a bien envoyé son mandat le mois dernier. Un gros éclat de rire s’ensuivit accompagné d’une tape amicale sur mon épaule.
Ali que l’on surnommait Bouddha à cause d’une barbichette insolite m’interpella un soir que je le croquais à la sanguine, me regarda fixement et s’exclama : « mais elle est d’Israël ! Elle a une étoile à son collier… » À la suite il me confia : « tu sais ici, il n’y a qu’une personne qui vient me voir, c’est mon ami Raymond, il est comme toi. On s’est toujours écrit depuis son départ d’Algérie et on s’est revu en France ».
Nourredine, le jeune tunisien, avait l’air d’un écorché vif au milieu de ses frères. Il aimait être en leur compagnie mais n’appréciait pas leur forme d’humour, leur ironie, notamment quand ils le traite de touriste. Je lui fis remarquer combien je regrettais qu’il s’éloigne des traditions, de ses origines et ce, tous les jours un peu plus.
Un soir je lui confiais : « entre nous, crois-tu que ta mère sera contente le jour où tu lui ramèneras à la maison une petite blonde, garanti bon teint, bien française, au lieu de faire le bonheur d’une fille du pays qui n’attend que çà ». Cela l’agaça et se sentait obligé de me répondre : « d’abord, la fille que je fréquente n’est pas française, elle est suédoise ! »
La fin de mon séjour approchait et je devais, encore une fois, quitter ma langue maternelle, mes voisins, mes amis de toujours. Le jour de mon départ, Abdallah, l’ami « intime » du Raïs Boumedienne m’interpella, jugeant qu’il était de son devoir de me tenir au courant des dernières nouvelles et me chuchote dans notre langue : « tu sais, ça va mal entre Golda Méïr et Moshé Dayan » comme s’il évoquait une histoire d’amour interrompue et il s’éclipsa dans un grand éclat de rire.
Pourquoi, aussitôt, me suis-je mis à penser à ce fameux bal de réveillon donné à Tunis, il y a vingt ans déjà, où jeunes gens juifs et arabes dansaient sur l’air de « Hava Naguila », tube israélien, mille fois bissé.
* Viviane Scemama Lesselbaum : « Le passage » de la Hara au Belvédère. Editions Cosmogone. 1999
Commentaires
de jean jacques de la rue beule no4 salut amani bamba de bastiano et makinot
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