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Mythes, rites, représentations, le sacré vu par Régis Debray

 

Mythes, rites, représentations, le sacré vu par Régis Debray

 

LE PLUS. Dans son dernier livre, "Jeunesse du sacré", Régis Debray s'attache à analyser la place du sacré dans nos sociétés à travers l'Histoire, qu'il soit religieux ou non. Michaël de Saint Cheron, auteur et chercheur à Paris 3-Sorbonne Nouvelle, analyse le travail du philosophe.

 
Par Michaël de Saint-Cheron Essayiste et écrivain

Edité par Hélène Decommer Auteur parrainé par Henri Guirchoun

Régis Debray, dans son nouveau livre "Jeunesse du sacré", entend tordre le cou aux gardiens des lieux sacrés mais il sait aussi qu’il n’y a pas qu’une sorte de lieux sacrés et propose de nous y introduire.

 

Il touche là une question terrible car nous savons qu’il y a des hordes des fanatiques de par le monde pour lesquelles un lieu de pierres est plus sacré que des hommes, et qu'ils peuvent tuer pour que des êtres humains qualifiés d’"impurs" n’en approchent point. Un sacré devenant blasphématoire. C’est ici que la superstition se substitue à la religion. Paul Valéry ne disait-il pas "la superstition est plus profonde que la religion" ?

 

Devant l’image d’un cimetière vandalisé, Debray prononce les mots de blasphème, de sacrilège. Il rappelle aussi que d’aucuns disaient "on n’a jamais gazé que des poux" !

 

Le stade comme temple par excellence du dieu du sport ou la Mecque représentent deux formes de sacré que la télévision a rendus planétaires. Debray les nomme "le carré". Ils ont en commun un pouvoir unificateur le temps d’une cérémonie, d’un pèlerinage, d’épreuves sportives mondiovisées, le pouvoir de faire "communier" des hommes et des femmes par dizaines de milliers, qui partagent en fait si peu.

 

Debray cherche sans doute moins à comprendre ce qui gouverne une foule, un ensemble de spectateurs, que le pourquoi de cette volonté universelle aussi ancienne que l’homme, de créer des espaces sacrés, sacramentels. Pourquoi faire corps, demande-t-il . "Parce qu’ils y retrouvent leur âme" faut-il croire.

 

Des musées aux salles de concert, des temples aux mémoriaux des guerres, des génocides, des catastrophes, il analyse les voies qui y conduisent ou les voix qui s’y font entendre. Il fait converger les psaumes davidiques et les hymnes nationaux vers une transcendance tantôt religieuse, tantôt patriotique. La patrie n’est pas la seule transcendance sans divin, nous le savons bien.

 

Sacralisation de la mémoire

 

Les morts, la mémoire génocidaire, sont de tout temps l’un des plus puissants ferments unificateurs. S’il y eut le communisme, le gaullisme, ou d’autres grandes causes "sacrées" hier, il y a aujourd’hui la sacralisation de la mémoire qu’interroge Régis Debray d’un bout à l’autre de son ouvrage avec en ligne de mire "la sacralisation de la Shoah".

 

Le philosophe engagé qui approfondit depuis des années les frontières entre la sphère laïque et la sphère religieuse, commet malgré tout (mais qui n’en commet pas ?) des approximations. J’en ai relevé quelques-unes.

 

S’il est tout à fait exact d’écrire "pas de juifs à El Aqsa", il est faux de dire que le Séder de Pessah, la Pâque juive, est fermé aux non-juifs. Combien de chrétiens ou de musulmans, ou de libres penseurs, ne furent-ils invités depuis des décennies à une table de juif observant ou orthodoxe ? Il n’est qu’à se souvenir des repas du séder auxquels fut invité tel président de la République par le grand rabbin de France. Mais plus simplement, dans l’intimité des familles, combien de non-juifs n’ont-ils pas été conviés chaque année ?

 

De même, dire que la Grande Chartreuse est fermée hermétiquement (le mot est de moi, mais le sens est de Debray) aux laïques, est aussi inexact. Combien de laïques en quête d’absolu n’y font-ils leur probation quelques semaines ou quelques mois durant, avant de s’apercevoir que cette vie n’est décidément pas pour eux ?

 

De même, dans les abbayes bénédictines (un certain nombre d’entre elles au moins), les hôtes accèdent au réfectoire des moines pour le repas de midi en traversant une partie du cloître, qui est sous clôture. Et combien de laïques et même de non chrétiens ont pu être guidés par un moine pour visiter son abbaye, qu’elle soit ou non monument historique ? Ces remarques n’ôtent rien au sens profond du discours de Debray affirmant "qu’il n’y a pas de sacralité sans pénalités". Alimentaires, vestimentaires et sexuelles bien sûr aussi.

 

Attachons-nous (parmi tant de questions débattues dans ce livre) à une dernière question touchant à l’interdit de la représentation et aux marques d’intolérance totalitaire dont ont fait preuve les ayatollah au moment des carricatures de Mahomet publiées dans le journal danois Jylland-Posten. Mais aussi des gropuscules surtout catholiques au moment de la sortie de films récents ou du spectacle "Sur le concept du visage du fils de Dieu" ces dernières années en France comme en Europe.

 

Ou encore ces rabbins ou religieux mus par une phallocratie extrémiste réprouvant que les femmes juives chantent dans des chœurs en Israël lors des cérémonies officielles (pour ne pas parler des fanatiques hindous ou même bouddhistes)... L’art et la liberté de l’artiste, du créateur comme de l’interprète, sont ici de plus en plus visés de façon intolérable.

 

Dans le même temps, certains de ces donneurs de leçons, ces donneurs-d’ordres-divins, peuvent sans complexe contester ou nier tel ou tel génocide (mémoire ô combien sacrée pour ceux qui la portent en eux !) et avoir une conduite contraire à leur propre religion.

 

En quête d'un idéal

 

Debray écrit justement que "le sacralisé est irrédentiste et jusqu’au-boutiste". Levinas intitula l’un de ses ouvrages Du sacré au saint et dans les premières pages de son livre, Régis Debray évoque et peut-être aussi invoque Malraux et "sa somptueuse Métamorphose des dieux" dans le but de prouver encore une fois que le sacré est un stade inférieur au spirituel, inférieur à la morale et à l’éthique, sans même parler de la sainteté qui a plutôt mauvaise presse ces temps-ci, tant elle est mal comprise.

 

Le sacré est souvent, sous une forme ou une autre de communion, la porte fermée à l’autre, à celui, à celle, qui n’est pas de "La communauté", alors que seule l’aspiration aux valeurs éthiques, à « l’amour sans concupiscence » (Pascal), à la responsabilité pour les autres, témoigne d’une vraie spiritualité.

 

Le constat du philosophe est sans appel "Chacun pour soi. Comme dans un naufrage". Il n’est pas certain que le constat soit pourtant si noir – bien qu’aucun optimisme béat ne soit de mise - car il faut compter aussi sur ces millions et ces millions d’êtres qui ont quitté le sacré et ses pompes au profit d’une éthique, voire d’une spiritualité, fondées sur un idéal auquel avec Régis Debray nous voulons encore croire.

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