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Papous-juifs ou Juifs-papous ?

Papous-juifs ou Juifs-papous ?

Par Sandra Ores ©Metula News Agency

 

 

 

 

L’enregistrement vidéo d’une communauté de Papouasie-Nouvelle-Guinée, chantant la prière juive Shema Israël – « Ecoute Israël », la prière fondamentale du judaïsme –, dans leur accoutrement traditionnel papou, avait récemment tourné sur Internet, provoquant une grande surprise chez ses spectateurs.

 

Epoustouflant, cette centaine d’hommes vêtus de paille et de plumes, lance à la main, louant le ciel à la manière des ancêtres hébreux, articulant des sonorités lointaines, dans une contrée aussi excentrée du Judaïsme que les îles d’Océanie !

 

Il s’avère que ces indigènes, faisant leur prière torse nu, appartiennent à la tribu des Gogodalas. Environ 25 000 individus, jurant descendre de l’une des dix tribus perdues de l’époque biblique. Ces chasseurs-cueilleurs vivent dans la province occidentale de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, sur le delta du fleuve Fly, qui se jette dans la mer de Corail. Ils se nourrissent, pour la plupart, de poissons, de kangourous et de plantes trouvés dans la nature, et ils sont majoritairement illettrés. Ces hommes revêtent toutefois des habits plus contemporains lorsqu’ils se rendent en ville.

 

Tony Waisa, officiellement « chef chercheur de la tribu », la personne chargée de fournir des explications sur son « histoire orale ou traditionnelle », possède toutefois un compte email sur Yahoo et parle anglais.

 

Ce chef papou découvrit un jour, sur Internet, les recherches biologiques effectuées par un scientifique de l’université des Etudes Orientales et Africaines de Londres, le Professeur Tudor Parfitt, sur une tribu du sud de l’Afrique, les Lembas. Les membres de cette communauté rurale, établie principalement au Zimbabwe, affirment eux aussi descendre d’une « tribu perdue » du royaume de Salomon.

 

Le but de l’étude de Parfitt résidait dans la mise en évidence d’un lien génétique avec le peuple juif (voir mon article : La science à l’appui du mythe Lemba). Les résultats s’étaient révélés positifs, établissant un lien génétique entre les Lembas, notamment les prêtres de la tribu, et le peuple juif, à travers l’existence d’un gène récurrent chez les populations juives, également identifié chez les Lembas.

 

Le chef Waisa contacta le scientifique londonien afin qu’il se prête aux mêmes tests sur ses congénères ; le Papou envoya à Londres des poignées de cheveux de membres de sa tribu, dont le professeur ne put faire usage.

 

Tudor Parfitt décida cependant de rendre visite à ces « Papous juifs », en 2003, rejoignant leurs villages en canoë – le moyen de locomotion principal des Gogodalas, ainsi qu’un objet central de leur culture, leur permettant d’emprunter les rivières lorsqu’ils chassent.

 

Tudor Parfitt fut accueilli de manière festive, ainsi qu’il me l’a confié au cours d’un long entretien - dans un parfait français - par des hommes à la peau brune, le front peint d’une étoile de David pour certains, le drapeau israélien dans la main pour d’autres, chantant des litanies juives…

 

J’ai également réussi à nouer un contact direct avec le chef Tony Waisa ; il a répondu aimablement à mes questions, m’envoyant également des documents Word et Excel, relatant le passé de son peuple.

 

A l’en croire, les ancêtres des Gogodalas auraient vécu en Israël, le long du Jourdain, que, dans leur tradition, ils nomment Tala ; la carte traditionnelle qu’il me fait parvenir est parsemée de noms à consonance non hébraïque : on y distingue un petit lac au nord du lac de Tibériade, qui pourrait figurer les anciens marais de la vallée de la Hula. Selon la carte de Waisa, cette étendue, que les Gogodalas considèrent, en outre, comme l’épicentre de leur existence, se situerait à mi-chemin entre Metula et Tibériade. Les Papous israélites l’appellent Kulumusu ; il est entouré de deux provinces : Mili, sur la rive occidentale, et Masé, à l’Est. La Galilée est devenue Gwailé, un vocable effectivement proche.

 

Selon leur tradition, les Gogodalas auraient quitté Israël, ce « lointain pays de l’Ouest », qu’ils nomment également Sa’loné ou Isalé (sonorité ressemblant effectivement à Israël). Un autre nom qu’ils donnent à Israël est Ya’bisaba, pour lequel ils ressentent une affection toute particulière. A les croire, ils seraient partis de la terre sainte environ 400 ans avant l’ère chrétienne, descendant la mer rouge avant de traverser le Pacifique.

 

Les tests génétiques effectués sur les Gogodalas, à l’inverse de ceux pratiqués sur les Lembas, n’ont pas permis de tirer des conclusions décisives quant à une éventuelle origine sémite. Tudor Parfitt de préciser : « nous n’avons pas non plus relevé de preuve qu’ils ne proviennent pas du Moyen-Orient ». Cela demeure toutefois historiquement peu probable, selon lui.

 

Ce qui n’ébranle pas le crédo de Tony Waisa, qui m’affirme que 90% des membres de sa tribu souhaitent s’installer en Israël. Le professeur anglais rapporte que les Gogodalas sont passionnés par leur judaïté ainsi que par Israël. Un amour authentique, selon le scientifique.

 

Le jour de Yom Ha’atzmaout, par exemple, lors duquel les Israéliens commémorent l’anniversaire de l’indépendance de leur Etat, le professeur relate que des milliers d’indigènes défilent dans les rues des grandes villes de leur région, notamment à Daru, la capitale de leur province, brandissant des drapeaux israéliens. Ils participent, festifs, à l’esprit du pays « de leurs ancêtres » qu’ils n’ont jamais vu.

 

Des Gogodalas se sont rendus en délégation en Israël, traversant, pour ce faire, la moitié de la planète, en 2007. Leur objectif premier consistait à venir offrir leur or pour le temple de Jérusalem. La volonté de rapprochement provient réellement de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, et non d’Israël ou de rabbins. Ce, pour le plus grand désarroi de Tony Waisa, qui souhaiterait accueillir des savants israéliens dans son territoire. Le gouvernement israélien ne s’ « intéresse cependant pas trop à leur sort », ce que regrette Parfitt, qui soutient, sans la moindre once d’humour britannique, que ces hommes « feraient des guerriers fantastiques » dans les rangs de Tsahal (sic !).

 

D’où peut bien provenir l’origine du lien entre cette tribu éloignée du Pacifique et la terre des Hébreux ? Les chercheurs s’accordent à penser que ces fables auraient pris naissance sous l’influence des missionnaires chrétiens, relatant « aux sauvages » l’histoire du Juif Jésus. Les moines étant arrivés dans cette région du Pacifique entre la Première et la Deuxième Guerre Mondiale.

 

Le professeur Bryant Allen, de l’Université Nationale Australienne, que j’ai également interrogé lors de mon enquête, explique que des officiers missionnaires australiens avaient jugé que certains indigènes « ressemblaient à des Juifs ». Ils en conclurent, peut-être hâtivement, que les Gogodalas descendaient des tribus perdues ; ce rapprochement reposait, selon lui, sur des stéréotypes physiques non avérés, relevant probablement d’une bonne dose d’antisémitisme, à la mode dans les années 30-40.

 

L’idée de provenir d’une tribu perdue s’avère apparemment assez commune dans les environs du Pacifique. C’est Lynda Newland, une conférencière auprès de l’Université du Sud Pacifique, dans les Iles Fiji, qui me le confie.

 

Elle me confirme que cette idée s’est propagée dans les îles par le biais de missionnaires chrétiens. Pas les mêmes que ceux mentionnés précédemment toutefois, puisque Lynda Newland fait précisément allusion aux missions chrétiennes présentes en Océanie dès le XIXème siècle.

 

Les missionnaires mettaient très souvent l’accent sur l’Ancien Testament dans leur enseignement, de même que sur les écritures hébraïques, à l’instar de l’Eglise Méthodique. La richesse des récits de l’Ancien Testament a probablement impacté l’imaginaire des indigènes, les invitant à s’identifier aux anciens Hébreux.

 

Les influences religieuses sur les tribus du Pacifiques peuvent être multiples. A l’instar de certains Gogodalas, qui sont capables de pratiquer à la lettre l’une des religions chrétiennes, et, simultanément, d’adopter des rituels issus du judaïsme ; à l’instar de la circoncision, de l’hygiène alimentaire préconisée dans la Bible et de la pâque juive.

 

Ces Papous étudient les prières, les symboles et les salutations juives ; par exemple ils se saluent en se souhaitant shalom. Les voyages de pasteurs gogodalas en Israël leur ont permis d’apprendre et de rapporter une partie de ces prières et de ces rites ; d’où l’origine de la vidéo des Papous psalmodiant le ShemaIsraël.

 

Le mythe de la descendance sémite est parfois si bien ancré dans les esprits, que Tudor Parfitt a pu rencontrer, lors d’une réunion de Gogodalas, une jolie jeune fille de la capitale, au grand-père maltais juif ayant fui lors de la Seconde Guerre mondiale en bateau, échoué en Papouasie puis marié à une Papoue, qui était en quête d’un mari juif.

 

Le professeur anglais note toutefois qu’ « il n’existe pas, à franchement parler, de judaïsme en Nouvelle Guinée ». La religion mosaïque s’y définit d’avantage comme « une ethnicité, un critère racial », datant de la moitié du XIXème siècle, servant à marquer une différence sociale entre les diverses communautés.

 

Lynda Newland dépeint une situation similaire dans les Iles Fiji : les mythes de la Bible auraient été exploités par l’Eglise Méthodique, ou Pentecôtiste, afin d’apporter une légitimité morale et spirituelle à certains groupes, leur permettant d’acquérir une position supérieure dans le jeu politique ou dans l’accès aux ressources économiques. L’identité « juive » d’une tribu figurerait ainsi davantage un genre de construction sociale, élaborée par les missionnaires chrétiens, qu’une réelle appartenance historique à celle-ci, voire un rapprochement intellecté avec le judaïsme.

 

Tony Waisa affirme, pour sa part, que son clan observait le Shabbat avant que les missionnaires chrétiens, en 1945, ne déplacent le jour férié hebdomadaire au dimanche. Cependant, le Pr. Parfitt émet des doutes quant à une quelconque pratique juive avant l’arrivée des Européens, soulignant toutefois l’absence de données pour vérifier ces prétentions.

 

Le professeur demeure sceptique quant à la véracité scientifique d’un lien historique des Papous avec les Juifs, mais il admet, dans le même souffle, que « rien n’est impossible », prenant notamment en compte, par exemple, l’éventualité de naufrages de navires transportant des passagers juifs.

 

Ces héritages coloniaux, politico-religieux, engendrent aujourd’hui des conséquences inattendues, notamment sur la perception qu’ont les Gogodalas du conflit israélo-arabe. Parfitt rapporte ainsi que ces Papous soutiennent totalement Israël, adoptant même des « positions farouches, d’extrême droite, et très antimusulmanes ».

 

Il s’agit d’une révélation intéressante, particulièrement lorsque l’on considère que la moitié occidentale de l’île de Nouvelle-Guinée, la Nouvelle-Guinée Occidentale, (la Papouasie-Nouvelle-Guinée constituant la moitié orientale de l’île) constitue un territoire indonésien musulman.

 

Des groupes papous de cette région souhaitent se détacher de l’Indonésie, qui a annexé cette partie de l’île en 1963, à la fin de la domination néerlandaise. Ces indépendantistes sont victimes d’une répression violente de l’armée indonésienne, force militaire du plus grand pays musulman de la planète.

 

L’islam, qui nourrit, quant à lui, l’ambition de s’implanter en Papouasie-Nouvelle-Guinée, et qui est déjà parvenu à convertir à la foi du prophète quelques milliers de chrétiens. La Commission des droits de l’Homme islamiques (organisation indépendante basée à Londres, possédant le statut consultatif auprès du Conseil Economique et Social des Nations Unies) indique sur son site Internet, en 1997, que la croissance de l’islam en Papouasie Nouvelle-Guinée a commencé dans les années 80, et que cette région du monde aurait besoin d’aide afin qu’on y enseigne les préceptes de l’islam.

 

On compte environ 4000 musulmans sur cette partie papouasienne de l’île, principalement à Port Moresby, la capitale du pays. Pour l’anecdote, le job de missionnaire, dans ces contrées éloignées, s’est révélé, au fil de l’histoire, une activité fort périlleuse : certaines tribus ayant découpé les VRP des religions afin de commercialiser leur chair. Ces pratiques semblent toutefois ne plus être d’actualité.

 

La colonisation européenne a, indéniablement, semé aux antipodes des germes qui prennent aujourd’hui des formes imprévisibles, diverses et variées. Le cas des Gogodalas et d’Israël démontre ainsi que l’Etat hébreu peut remplir la fonction d’identificateur nationaliste ou spirituel pour des tribus du Pacifique. Exactement de la même manière que la Palestine est utilisée comme symbole afin de doper les diverses aspirations de nombreux musulmans aux quatre coins de la planète.

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