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Paris-Miami, l'échappée belle

Paris-Miami, l'échappée belle

 

Par Maurin Picard

En Floride, les exilés français, séduits par le dynamisme de cette ville jeune et cosmopolite, se comptent par dizaines de milliers. Un phénomène qui s'accélère.

Un chapelet d'îlots paradisiaques, cernés d'eaux bleu lagon, défile sous les ailes du Boeing. Lovée dans son écrin aquatique, Miami, l'envoûtante et ensorceleuse ville deFloride, resplendit au soleil de novembre. Pour les exilés climatiques fuyant les frimas du Vieux Continent, le coup de foudre est immédiat. Le cliché d'une cité avachie, à l'indolence toute caribéenne, vole en éclats au premier regard. De downtown surgit une forêt de gratte-ciel scintillants bordée de palmiers, étonnamment hospitalière et traversée par une brise légère venue de la baie de Biscayne.

Les Français adorent. De Paris, les vols affichent complet. Dans le flot, les habituels touristes côtoient, c'est nouveau, les candidats discrets mais toujours plus nombreux à l'émigration en bonne et due forme. «Depuis deux ans, cela dépasse l'entendement», observe Elizabeth Gazay, de l'agence immobilière Barnes, surprise par cet afflux massif de compatriotes.

Combien sont-ils à sauter le pas? Difficile à dire. Il y aurait 30.000 à 40.000 Français à Miami, pour seulement 11.000 inscrits au consulat de France. Cette échappée belle traverse tous les courants de la société: entrepreneurs, médecins, ingénieurs, galeristes d'art, collectionneurs, restaurateurs, artistes, couples et familles de plus en plus jeunes, attirés par le soleil, un ciel uniformément bleu et l'énergie vitale d'une ville en pleine expansion, au carrefour de l'Amérique du Nord, du Sud et de la Caraïbe.

«Miami, c'est la France du Second Empire: il y a une euphorie immobilière, financière, culturelle», avance Hélène Lamarque, directrice d'une galerie d'art dans Wynwood, quartier arty aux fresques murales spectaculaires, symbole du renouveau de Miami, bouillonnant chantier à ciel ouvert avec ses 171  projets de tours futuristes.

L'engouement français pour la belle ambitieuse de Floride, lui, s'est accru avec la pression fiscale dans l'Hexagone. La campagne présidentielle de 2012, et son haro sur les plus aisés, a laissé des traces parmi les entrepreneurs, stigmatisés pour leur aptitude à «faire de l'argent», relève Bernard Paran, de l'agence immobilière Col­lin's. Le ras-le-bol croissant de la conjoncture économiqueet du climat politique a accouché d'une envie franche et massive d'aller voir ailleurs. «Il y a une volonté de changer d'air, opine Elizabeth Gazay, de vivre quelque chose de nouveau et de découvrir le monde avec ses enfants.»

«La France, c'est stressant», renchérissent Shannon et Gabriel Castrec, un couple franco-américain, qui a choisi de quitter Nantes pour s'installer à Miami. Fatigués des tensions permanentes, des bâtons dans les roues, de la bureaucratie hexagonale et de ses petites bassesses et munis de leur seule bonne volonté, ils ont fait le pari d'ouvrir un restaurant dans le quartier de Coral Gables. Ouvert début 2012, le Frenchie's American Diner ne désemplit plus, comme les avions d'Air France, par la grâce d'une cuisine simple et excellente et de critiques dithyrambiques. «Ici, on peut vivre comme on veut, travailler aux heures que l'on veut, on ne risque plus de se faire regarder de travers si l'on réussit», sourit Gabriel, conquis et ravi d'avoir sauté le pas.

La magie opère sur les plus récalcitrants et fait tomber les préjugés vis-à-vis d'un coin d'Amérique que l'on disait livré aux retraités. Surprise, là encore. Miami est une ville jeune et cosmopolite: «La maquette du monde du futur», confirme Hélène Lamarque.

Où donc vivent ces Français si heureux et si libres d'entreprendre? Pas de jaloux au paradis: tous les quartiers sont concernés, des plus historiques aux plus récents, de la luxuriante Coconut Grove, au sud, à la très tendance Buena Vista plus au nord, en passant par les luxueux condos de downtown et les belles propriétés de Miami Beach.

Et, surprise, les Français sont plutôt appréciés. Dans cette ville à forte coloration hispanique, cela tient pour partie à ces élites sud-américaines, qui ont jadis fréquenté les lycées français de leur pays d'origine et en ont conservé une francophilie sincère. Avec leurs rendez-vous culturels et gastronomiques, les French Weeks, organisées pour la sixième année consécutive par la chambre de commerce franco-américaine de Floride (FACC), ont fait le plein de visiteurs en novembre. À Buena Vista, le Bistro et le Deli des restaurateurs Claude Postel et Corentin Finot drainent une clientèle croissante, attirée tout autant par les réalisations du premier, truculent maître chocolatier à l'inimitable accent frenchy, que par la chaleur proverbiale du second. «C'est la French touch qui plaît aux Américains, et qui les fidélise», explique Corentin, tout occupé à saluer les habitués du lieu entre deux livraisons de victuailles.

« Miami, c'est la Francedu Second Empire : il y a une euphorie immobilière, financière, culturelle »

Hélène Lamarque, directrice d'une galerie d'art dans Wynwood

À deux pas de là, un quartier entier sort de terre entièrement dédié au luxe et appelé de ses vœux par LVMH. «L'émergence du Design District (c'est son nom), comme celle du port encore modeste de Miami, va hâter la métamorphose de la ville», prédit Isabelle Hudina, représentante du maroquinier Longchamp, autre symbole du «chic» à la française. Le «made in France» reste un produit vendeur, comme l'illustre l'émergence d'une chaîne de télévision francophone, Canal Bleu, fondée par Charly Nestor, ex-animateur du PAF lui aussi établi sous les cocotiers.

De lycée français, en revanche, point de trace, ce qui a parfois le don d'interloquer les nouveaux arrivants, certains de pouvoir scolariser leurs enfants dans un de ces établissements de renom. L'offre scolaire francophone «a fait un bond remarquable», corrige volontiers Sophie Jamet, présidente de l'association Fipa (French International Program Association), qui oriente les familles vers les quatre écoles établissements publics dispensant un enseignement en français. 800 enfants en bénéficient à l'heure actuelle, dont 450 petits Français. Et les places sont chères: victimes de leur succès, toutes ces écoles refusent désormais du monde à l'entrée.

Les chausse-trapes, en outre, sont nombreuses pour les plus naïfs ou les plus présomptueux, c'est selon, dans leurs aspirations immobilières ou leur quête de la sacro-sainte carte verte, faute de projet professionnel bien ficelé ou de reins suffisamment solides financièrement. «200.000 dollars ne garantissent plus un superbe appartement avec vue sur la mer», précise Marie-Charlotte Piro, de l'agence MC2 Realty. Avec ses pairs, elle vient de fonder la Fédération des professionnels de l'immobilier de Miami (FPIM), qui se donne pour ambition d'accompagner les candidats à l'implantation et de les avertir des pièges nombreux liés à l'inflation grandissante. Mieux vaut soupeser sa décision avant le grand départ.

Miami, ville-monde vorace et pressée, digère des vagues d'immigration, douche les espoirs des plus fragiles, fait et défait les fortunes, comme New York ou Dubaï avant elle. C'est aux nouveaux arrivants, Français et consorts, de comprendre les règles du jeu. «L'enjeu en vaut la chandelle, sourit Hélène Lamarque. C'est le moment ou jamais de venir.»

Thibault de Saint Vincent, président de Barnes Immobilier

«Miami est une ville où personne ne vous attend; sauf pour prendre vos dollars. Si vous arrivez avec l'intention de placer votre argent et de dormir tranquille au soleil, c'est raté. En revanche, si vous avez envie de bosser comme un malade, le rêve américain est à votre portée.» Tout juste quinquagénaire, président de la société immobilière Barnes, Thibault de Saint Vincent a débarqué ici il y a dix ans. Séduit par la douceur enchanteresse de l'île de Key Biscayne, cet entrepreneur dans l'âme a réalisé un rêve de jeunesse en s'y installant avec sa femme et ses quatre enfants. Après avoir passé sa licence d'agent immobilier -«il faut continuer à faire ce que l'on sait faire»-, cet ex-étudiant de Dauphine dirige aujourd'hui une équipe d'une trentaine de collaborateurs. Lucide sur les dangers de ce paradis ensoleillé aux allures de Far West, il conseille les nombreux Français qui traversent aujourd'hui l'Atlantique. Sa clientèle compte autant de jeunes dynamiques que de retraités assagis. Après une crise terrible en 2006, le marché immobilier s'est repris depuis mi-2011.  Une maison les pieds dans l'eau qui valait un million de dollars en vaut désormais  le double; pour un appartement, comptez environ 7000 dollars le mètre carré. Selon le dirigeant de Barnes, le mouvement devrait s'amplifier.»

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