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Peut-on être juif et socialiste ? par Patrick Klugman

Peut-on être juif et socialiste ?

 

Adresse aux (vrais et faux) amis d’Israël

Ce qui m’arrive est singulier.

Dans la torpeur de l’été, la décision d’accueillir Tel-Aviv à Paris-Plage devint l’un des sujets plus commentés dans la presse et sur les réseaux sociaux. Tous les fanatiques désirant rayer Israël des cartes et des esprits, ceux qui s’affirment pro-palestiniens mais dont le seul militantisme est d’être anti-israélien s’étaient découverts un nouvel ennemi dans la ville de Paris et en la personne de « l’adjoint sioniste d’Anne Hidalgo ». Plusieurs jours durant l’indicateur de notifications de Twitter me cracha chaque matin le lot de messages écrits durant la nuit où je me voyais désigné comme « Crifard » et où il était réclamé ma démission du Conseil de Paris.

Le fait que l’on nous demandât de renoncer à une opération avec Tel-Aviv, ville séculaire et progressiste, au motif de « punir » le gouvernement israélien démontrait sans aucun doute possible que l’entreprise recherchée était une éradication de la réalité, de la complexité et de l’idée d’Israël.

Ces chaises longues et parasols siglés au nom de Tel-Aviv, nous les avons maintenus envers et contre tous pour des raisons qui tiennent à l’honneur et aux principes : la légitimité de l’existence d’Israël et le refus de céder à l’intimidation. Si Tel-Aviv sur Seine fut finalement un succès, ma surprise fut grande de ne recevoir alors quasiment aucun soutien de ceux qui font habituellement profession ou commerce de la défense d’Israël, qu’il s’agisse d’une partie de la droite parisienne ou de la frange la plus bruyante de la communauté juive.

Le 28 septembre 2015 se tint le Conseil de Paris de rentrée. Par vengeance, bêtise ou dépit, les silencieux de l’été décidèrent de s’octroyer une session de rattrapage. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle prenne la forme d’un attentat à l’encontre de la vérité et du bon sens.

De quoi s’agit-il ?

La droite parisienne décida de proposer un vœu (délibération non contraignante soumise au Conseil) demandant à la Ville de Paris de condamner le boycott d’Israël et ses principaux promoteurs regroupés sous l’étiquette BDS. Le vœu était de par sa propre rédaction inutile – et de ce fait irrecevable – puisqu’il mentionnait que le boycott était déjà condamné depuis de nombreuses années par la Maire de Paris. Deux jours plus tôt, la Ville avait encore publié un communiqué où elle rappelait son « opposition constante au boycott illégal d’Israël ».

Si j’ai appelé à voter contre ce vœu, c’est uniquement pour dénoncer une tentative de récupération politicienne consistant à demander à la ville de Paris de condamner ce qu’elle a toujours condamné, après avoir gardé le silence durant tout l’été. Mes propos filmés en séance attestent de ce que j’ai évidemment distingué la posture du fond ; et tout en condamnant la première, je n’ai pas manqué de rappeler mon opposition constante et radicale à toute forme de bannissement d’Israël.

Chacun restera libre de son appréciation et on pourra bien me reprocher d’avoir répondu à une manœuvre par une autre. Peu me chaut. La vérité mérite aussi quelques égards : j’ai beau être un fervent partisan de la paix entre Israéliens et Palestiniens, un promoteur de l’Etat Palestinien, j’ai combattu le boycott d’Israël durant toute ma vie et l’on ne trouvera pas un seul mot de ma part qui traduirait une autre opinion, y compris en tant qu’élu.

Ma seconde surprise, et non des moindres, fut de me trouver la cible d’une campagne en tous points similaires, utilisation de comptes anonymes Twitter comprise, à celle subie quelques semaines plus tôt à ceci près que l’adjectif « sioniste » me concernant fut substitué par celui de « traître ».

Le sionisme de certains consista alors à déformer mon image, salir ma famille, transformer mes propos, occulter mes actions et m’inventer des méfaits. Une pétition issue d’une organisation que nul ne connaît réclama avec fracas mon départ du CRIF. Une autre, que je connais bien pour lui avoir rendu service, a été jusqu’à me prêter le pouvoir d’avoir autorisé des actions de BDS dont je n’ai jamais entendu parler. La même organisation entreprit la diffusion de mon « réquisitoire  contre Israël » au Conseil de Paris qui heureusement ou malheureusement, démontre l’inverse de ce qu’ils affirment. L’ont-ils seulement visionné ?

J’ai vu une meute, prétendument juive, s’agiter avec mon nom au milieu des crocs sur tous les réseaux sociaux, au moment où la tradition réclame au contraire de partager ses repas sous le toit d’une cabane – souccah – pour symboliser l’unité et la diversité du Peuple juif. Les circonstances ont voulu que concomitamment la situation se dégradât en Israël avec l’assassinat de la famille Henkin sous les yeux de leurs enfants, suivi de plusieurs autres meurtres cruels. Ni les textes Saints, ni la tragédie en Israël ne détournèrent mes zélotes de leur entreprise de désinformation. Cela, je le confesse, excède ma capacité d’entendement.

Je peux citer cent noms de juifs d’extrême droite et cent noms de juifs d’extrême gauche. Les premiers ont la haine de tout ce qui n’est pas juif, les seconds de tout ce qui est juif en eux. Je n’en connais aucun parmi eux qui a vu s’élever avec tant d’énergie et de constance une entreprise haineuse à leur égard.

Je sais bien comme l’a joliment écrit Actualités Juives dans sa dernière livraison que « c’est tout ce que  j’incarne qui excite » et de préciser que je suis un « Juif, de gauche, adjoint de la Maire de Paris chargé des relations internationales et membre du Comité directeur du CRIF ». Mais tout de même. S’agissant de la lutte contre l’antisémitisme et l’antisionisme, j’ai davantage d’états de service que d’états d’âme à faire valoir: les tournées sur le sionisme dans les universités, la dénonciation du boycott universitaire, les procès contre Dieudonné et plus récemment Soral, la défense de Guilad Shalit, la mise en cause de BFMTV pour leur traitement de l’attentat contre Hypercacher et tant d’autres aventures que je ne veux pas relater ici.

En tout état de cause, il faut bien constater que l’entreprise de mes calomniateurs a connu en tous points une faillite remarquable.

D’abord, la politique de la Ville de Paris est inchangée à l’endroit du boycott illégal d’Israël qui demeure condamnable et condamné. Tout ceci n’aura donc été qu’une vaste agitation dépourvue de sens… En revanche d’avoir mis tant de fureur à tenter de démontrer l’inverse, des imbéciles ont offert au BDS une tribune qu’il n’espérait pas et une victoire d’attention qu’il n’attendait pas. C’est la première faillite et aussi la plus triste.

La seconde faillite est plus heureuse. L’attaque me concernant a été à ce point hideuse qu’elle a suscité des réactions indignées très au-delà du cercle de mes « camarades » ou même de mes amis. Mes contempteurs auraient voulu m’attacher un large courant de sympathies, qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement. J’ai reçu alors tant de témoignages d’amitié et de solidarité de personnes juives ou non juives, illustres ou inconnues, engagées ou pas, que je ne saurai les restituer sans les trahir.

Aucune institution de la communauté juive n’a émis à mon endroit la moindre réprimande et les seuls qui ont pris la parole, l’ont fait pour me réitérer publiquement leur confiance. Je dois noter également que pas une personne ayant une position officielle ou un début d’autorité en Israël ne m’a mis en cause. A l’inverse, des personnages aussi illustres qu’Ygal Palmor, ancien porte-parole du ministère des affaires étrangères, ou Danny Shek, ancien ambassadeur d’Israël, ont justement dénoncé dans mes contempteurs, les idiots utiles de l’antisionisme qu’ils sont. Je souhaite tout de même à tous ceux qui seront confrontés dans leur vie à l’épreuve de l’injure, de trouver sur leur chemin un homme de la valeur de François Heilbronn. En s’exposant à la horde sans autre motif que la noblesse d’âme et de cœur, il m’a gratifié de mots que je m’efforcerai jusqu’à la fin de mes jours de mériter.

La troisième et dernière faillite est de loin la plus grave. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai souhaité prendre le temps d’écrire ces lignes. Les mots, les insultes et les menaces reçues ne changeront rien à ma vie. J’ai été dans cette affaire au mieux un prétexte. Simplement, je dois déplorer que rien de ce j’ai pu voir ou recevoir ne ressemble à la vie juive que je conçois et dans laquelle j’ai grandi.

Vingt ans après l’assassinat de Y. Rabin, la violence de la vie politique israélienne ne s’est pas totalement apaisée. Elle s’exporte maintenant sous différentes formes dans les différentes diasporas à commencer par la France. Ce n’est pas sans raison. Une part de cette violence vient précisément de certains francophones d’Israël qui voudraient imposer un agenda aux juifs de France qui n’est pas forcément le leur au terme d’une ligne univoque qui est aussi furieuse que confuse.

On ne cesse de célébrer la démocratie israélienne et on voudrait, à rebours d’une tradition millénaire, proscrire la moindre forme de débat à son sujet. On dénonce, souvent à juste titre, les ennemis du peuple juif, et on emploie à l’encontre des juifs, si ce n’est pas les mêmes arguments du moins les mêmes armes. Il arrive parfois que l’on rappelle les nombreuses persécutions dont nous avons fait l’objet sans un égard pour ceux qui aujourd’hui souffrent et sont persécutés, sans être juifs. Si l’alyah est un droit fondamental et merveilleux, il est tout aussi fondamental qu’elle reste une option librement consentie plutôt qu’une contrainte ou un diktat.

Je pourrai reprendre à propos de la communauté juive,  mot pour mot ce que j’écrivis voici deux ans, ici, à La Règle du jeu, s’agissant de l’infâme campagne faite à Christiane Taubira :« Les calomniateurs ne sont pas légion, c’est vrai ; ils sont loin d’être une majorité, c’est certain. Mais ils ont eu libre cours. La question n’est pas tant leur force que notre faiblesse ».

Le temps est venu pour tous ceux qui se reconnaissent sous le vocable de communauté juive, de défendre cette maison commune pour qu’elle reste ouverte sur l’extérieur et accueillante en son sein de la diversité des opinions qui la composent. Le temps est venu surtout, d’affirmer que l’on ne peut défendre Israël ou le judaïsme avec des préceptes ou des imprécations qui sont à ce point éloignées de l’éthique juive. Si les flétrissures reçues auront pu faire que cet appel soit entendu, au moins auront-elles eu quelques vertus.

Je suis né publiquement dans la communauté juive il y a vingt ans. Malgré les années, ma carrière professionnelle, l’établissement de mon foyer, mon engagement en politique, je ne m’en suis jamais détourné. La contribution que je livre ici prouve l’attachement indéfectible qui je nourris à son égard. A bien regarder l’ensemble comme le détail de mon parcours, j’ai bien conscience d’avoir commis des erreurs, y compris dans la période récente. Je suis perclus de doutes, plus que de certitudes mais je puis au moins affirmer ceci : s’agissant du judaïsme comme d’autres sujets, ma ligne est peut-être de gauche, au moins est-t-elle droite !

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