Peut-on encore espérer de la révolution tunisienne?
Maher Haffani écrit – Il ne suffit pas aux partis modernistes de se réunir car le nombre n’a jamais fait la décision. Le plus important est de retenir les leçons de l’échec, de s’organiser et de se structurer.
Révolution dîtes-vous ? Encore faut-il en connaître la définition.
Une révolution est tout changement ou innovation qui modifie l’ordre établi dans un domaine quelconque. De par cette définition, nous ne pouvons, et en aucune manière, considérer qu’il y a eu ou qu’il y aura le moindre changement dans les caractéristiques culturelles, sociales, éducationnelles, idéologiques et même éthiques dans la société tunisienne. Même les signes ostentatoires et provocateurs grandissant (comme le niqab, le qamis et la barbe de cent ans), qui se veulent culturels, restent l’expression d’une minorité adepte d’un certain islam politique, et ne sont de ce fait que négligeables.
Révolution ou holdup politique ?
Dès lors, la révolution tunisienne peut être considérée comme étant soit purement avortée ou au mieux non accomplie, voire en gestation. A mon sens, il serait juste de la considérer comme étant en gestation et pouvant être avortée à tout moment.
C’est la principale raison qui doit pousser, d’une part, les acteurs de la société civile et, d’autre part, les différents partis non conservateurs à une vigilance extrême afin de protéger pendant les mois, voire les années à venir, l’embryon de cette révolution des forces contre-révolutionnaires qui ont tout intérêt à contenir la dynamique révolutionnaire naissante et l’instrumentaliser au profit de leurs intérêts.
Le cas échéant, il s’agira alors du holdup du siècle organisé par une bande d’opportunistes sournois sans aucun masque autre que celui de la religion et agissant pour le profit et sous la bénédiction du plus puissant policier dans le monde. Quelle ironie du sort que celui réservé à cette révolution !
N’étant ni une révolution politique, ni une révolution libertaire et encore moins une révolution religieuse, la révolution tunisienne s’apparente plutôt aux révolutions sociales avec une atypie dans le scénario.
En effet, si les révolutions sociales se caractérisent par de vastes changements des hiérarchies sociales ou de l’organisation de la société, du fait d’un soulèvement de la population, ou d’une partie de celle-ci, contre l’ordre établi, la révolution tunisienne se distingue par une aversion aux dérives mafieuses des responsables au pouvoir, par une réclamation justifiée du respect de la dignité humaine, ainsi que par l’exigence du droit à l’emploi.
Echec de la politique moderniste et réformiste
De ce point de vue, il est crucial de noter que toute idéologie ou tout autre événement extérieur à cette dynamique révolutionnaire sociale particulière ne peut être considéré que comme une tentative de récupération et de manipulation de la révolution tunisienne. Celle-ci a été menée par une population restée et retenue longtemps dans un niveau de vie minimal, contrastant avec une émancipation sociale et moderniste qui n’a ciblé qu’une frange citadine et bourgeoise de la Tunisie.
La politique bourguibienne moderniste et réformiste, qui reste dans la continuité de la lignée des réformateurs émanant du premier destour tunisien et à leur tête Khair-Eddine Pacha, a longtemps été prometteuse pour le Tunisien malgré son attachement à sa double identité religieuse et ethnique.
Surfant sur la déception de cette large frange de la population tunisienne déçue de ne jamais avoir pu tirer le moindre profit de cette modernité que se sont accaparées les élites bourgeoises, le parti Ennahdha a su rentabiliser à son profit le mécontentement de cette population qui n’avait d’autre recours que l’attachement à sa culture musulmane et accusant la modernité de tous les maux.
Ainsi, cette modernité est devenue synonyme de corruption, d’athéisme et de tout autre vice rappelant les exactions de la période benalienne.
Retenir les leçons de l’échec
La cuisante et récente défaite des partis progressistes modernistes face à leur adversaire conservateur et anti-réformiste, ne peut être interprétée que d’une seule manière. Celle de la reconnaissance du gouffre qui sépare ces deux franges de la société tunisienne. Pour que le rapprochement de ces deux catégories de la société tunisienne soit réel, l’effort effectif ne peut être consenti que par la classe citadine. Elle doit impérativement accepter de tendre la main et partager tous ses acquis avec la frange de notre société laissée pour compte et qui se trouve être majoritaire en nombre. Ce n’est qu’au prix de cet effort que la réconciliation nationale (parce que c’en est une) pourra être envisagée et c’est ce chemin, et aucun autre à mon sens, qui pourra sauver les acquis réformistes et modernistes de notre nation.
Pour finir, je dirai que retenir les leçons de l’échec c’est bien mais encore faut-il savoir traduire les messages de ces leçons et de surcroît bien les assimiler. Il ne suffit pas aux partis modernistes de se réunir car le nombre n’a jamais fait la décision (rappelez-vous la défaite des Vandales contre Justinien à Médès ou la Surat de la Baqara verset 249 : «Que de fois n’a-t-on pas vu un petit groupe triompher d’une grande armée, par la grâce du Seigneur, car Dieu est avec ceux qui savent s’armer de patience !»), mais le plus important est de s’organiser et de se structurer. Ce n’est qu’à ce prix qu’ils pourront acquérir ce que la discipline et la ruse de leur adversaire politique lui ont permis d’accomplir lors des dernières élections.
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