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Rester en France, mais déménager pour fuir l'insécurité: l'"aliyah interne" de juifs franciliens

Rester en France, mais déménager pour fuir l'insécurité: l'"aliyah interne" de juifs franciliens

 

 

Le Raincy (France) (AFP) - Un jour d'été, Alain Benhamou retrouve son logement cambriolé pour la seconde fois. Sur un mur, une insulte: "Sale juif". Les mots de trop: il décide de partir. Comme lui, des juifs déménagent en nombre pour fuir l'insécurité, une "aliyah interne" à l'Île-de-France qui interpelle.

La France compte la plus importante communauté juive d'Europe, avec un demi-million de personnes. La moitié vit en région parisienne où les chercheurs constatent une "forte mobilité géographique d'une partie de cette population", globalement de l'Est vers l'Ouest parisien, explique à l'AFP Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l'Ifop.

Ce mouvement s'ajoute aux chiffres déjà spectaculaires de l'"aliyah", l'émigration juive vers Israël, qui a atteint près de 8.000 départs en 2015. Sans compter les installations dans d'autres pays, comme la Grande-Bretagne, les États-Unis ou le Canada, à un niveau comparable à celui de l'aliyah.

En Île-de-France, "sur une quinzaine d'années, des effectifs de populations ou de familles juives se sont effondrés dans toute une série de communes de Seine-Saint-Denis", relève le politologue. "A Aulnay-sous-Bois, le nombre de familles de confession juive est ainsi passé de 600 à 100, au Blanc-Mesnil de 300 à 100, à Clichy-sous-bois de 400 à 80 et à La Courneuve de 300 à 80", recense-t-il dans son ouvrage "L'an prochain à Jérusalem", se basant sur des données communautaires.

Le phénomène commence lors de la seconde Intifada, en 2000. Le conflit israélo-palestinien s'exporte alors dans la métropole, avec "une multiplication exponentielle des actes et menaces antisémites, qui rendent la vie quotidienne très difficile dans un certain nombre de quartiers".

- "Territoires perdus" -

Une évolution ressentie par Alain Benhamou, 71 ans dont plus de 40 passés à Bondy, dans le "9-3": "Jusqu'aux années 2000-2005, la ville était paisible et agréable, avec 250 à 300 familles juives, des synagogues remplies pour shabbat. A l'heure actuelle, il n'y subsiste qu'une centaine de familles juives".

Lui a considéré "qu'après un deuxième cambriolage en l'espace de deux mois et demi, qui plus est à caractère antisémite, notre place n'était plus à Bondy". Il coule désormais une retraite tranquille à Villemomble, près du Raincy, le "Neuilly de l'Est parisien".

Mais il ne cache pas son pessimisme quant à l'avenir de ses coreligionnaires dans ce qu'il nomme "les territoires perdus de la République": "La communauté juive est appelée à y disparaître".

"Rabbin heureux" au Raincy, Moché Lewin partage cette inquiétude. "Ce qui me dérange, dit-il, c'est que dans des communes de France, des juifs ne peuvent plus vivre de manière apaisée, qu'à cinq minutes de chez moi certains sont obligés de cacher leur kippa ou leur étoile de David".

Certains n'hésitent plus à chercher un abri ailleurs. "Des gens de la communauté nous appellent au secours", raconte le maire socialiste de Sarcelles François Pupponi. Témoignant d'un "sentiment d'insécurité", mais "aussi d'actes", "des femmes et des enfants frappés, des croix gammées sur la porte d'entrée... Des situations extrêmement violentes. On a été obligés de les reloger en catastrophe".

L'édile dit avoir pris conscience de ce "phénomène d'aliyah interne" il y a "cinq, six ans, et il s'aggrave": "Les gens victimes d'antisémitisme ont tendance à se regrouper. L'exemple le plus criant c'est la femme du rabbin Sandler, tué à Toulouse" par Mohamed Merah en 2012, "qui s'est installée à Sarcelles".

Les nouveaux habitants trouvent "une présence policière et institutionnelle beaucoup plus forte qu'ailleurs car il y a une grosse communauté. Ils peuvent vivre leur judaïsme en toute sécurité", analyse-t-il.

Mais pour Robert, interrogé en marge d'une cérémonie de brit milah (circoncision), "c'est plutôt le XVIIe qu'on appelle la +petite Jérusalem+, ce n'est plus Sarcelles". Ce sexagénaire s'est installé il y a dix ans dans cet arrondissement parisien prisé par la communauté, qui y trouve pléthore de commerces casher, du fabricant de dragées au restaurant de sushis.

"Puisque l'antisémitisme grandit, on essaye de se regrouper pour l'éviter", explique cet homme, qui a déménagé grâce à l'"ascension sociale": "Je viens d'une famille pauvre, à force de travail j'ai pu venir ici".

- "Ghettos" -

De l'autre côté de la capitale, à Saint-Mandé, le vent a en revanche tourné. Jadis "terre promise" avec sa crèche confessionnelle et ses deux synagogues, la ville limitrophe de Paris reste marquée par l'attentat à l'Hyper Cacher, en janvier 2015. "Il y avait 12 ou 13 Saint-Mandéens" parmi la vingtaine d'otages, rappelle le maire Patrick Beaudouin (Les Républicains).

"Ça a eu un impact psychologique très important." Depuis, l'édile déplore le départ de "plusieurs dizaines de familles".

Des signes tangibles ont confirmé l'impression de voir s'échapper ses administrés: "un surcroît d'appartements à vendre", "127 inscriptions d'enfants en moins que prévu dans les écoles". Selon lui, "des personnes de la communauté se sont dit qu'il fallait peut-être se disperser, être moins visible".

Or, tous ces mouvements ne sont pas sans poser problème.

"On crée des ghettos, on est conscients de tout ça", commente François Pupponi. "La solution, ce serait la mixité sociale et d'origines dans tous les quartiers, mais ça fait 30 ans que la France essaye et n'y arrive pas."

Le Consistoire israélite a en tout cas pris acte du déplacement du centre de gravité de la communauté juive en construisant, pour une ouverture prévue en 2017, un "centre européen du judaïsme" dans le XVIIe arrondissement.

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