Sophie Bessis: «De vraies menaces conservatrices menacent notre société»

Sophie Bessis: «De vraies menaces conservatrices menacent notre société»

Sophie Bessis est chercheure associée à l'IRIS (Institut de Relations Internationales et Stratégiques) et spécialiste de la coopération Nord/Sud, de la géopolitique du Tiers­ monde et des questions africaines. Ancienne collaboratrice de Jeune Afrique, elle est l’auteur d’une dizaine d’ouvrages traitant du Maghreb, des questions de développement ou encore des problématiques alimentaires dans les pays du Sud. Cette année, la Tunisie et la femme tunisienne célèbrent le soixantième anniversaire du code du statut personnel. Sophie Bessis qui a animé un débat sur le militantisme féminin en Tunisie, organisé par la voix de femmes de Nabeul, a bien voulu se confier à notre collaborateur

Carthgonews: Comment jugez-vous la situation des femmes tunisiennes ?

Je pense qu’il y a des acquis réels depuis 60 ans mais de nombreuses femmes savent que l’égalité n’est pas atteinte et qu’il faut continuer à se battre. Il y a d’autre part des menaces de régression car il y a une pression de la partie conservatrice de la société. Le meilleur exemple c’est le planning familial en Tunisie où de nombreux médecins refusent d’interrompre la grossesse. Donc il faut se battre contre ces régressions qui menacent notre société

Carthgonews: Pensez-vous que le code du statut personnel est dépassé ?

Le Code du statut personnel ﴾CSP﴿ fête ses 60 ans cette année. A l’époque de sa mise en place, il avait marqué une avancée énorme comme l’atteste l’abolition de la polygamie, le remplacement de la répudiation par le divorce judiciaire que les deux époux ont également la possibilité de réclamer, la suppression de l’institution malékite du tuteur matrimonial… Autant de changements qui ont permis à la femme tunisienne de s’émanciper. Aujourd’hui on pourrait penser que ce texte n’est plus très populaire et qu’il n’est plus d’actualité. Ce code n’est pas égalitaire. Il a donné des droits aux femmes et non une égalité. Il ne fait pas mention de l’égalité entre homme et femme. Il est injuste par exemple de demander aux femmes de contribuer à égalité sans leur permettre d’hériter à égalité et là on a besoin d’aller plus loin pour acquérir cette ’égalité.

Carthago news: La femme tunisienne est –elle sous représentée politiquement ?

C’est évident, les femmes tunisiennes sont majoritaires dans certains métiers. Elles constituent le quart de la main d’œuvre salariée. Mais elles sont sous représentées dans les instances de décision. Est-ce logique qu’il n’ y a pas aucune femme au sein de l’instance de l’UGTT ? Et pourtant notre constitution parle de parité !

Carthagonews: La modernité arabe est­-elle possible ?

Le monde arabe est à une croisée des chemins. Mais on ne sait encore vers quel côté il va basculer. Va-­t-­il basculer vers l’acceptation de tous les principes de la modernité, y compris le principe démocratique ? Ou bien va-­t-il passer un certain nombre d’années à patauger dans cette réclusion identitaire où le religieux tient une place centrale ce qui n’est pas un bien pour les femmes. On peut être sûr ni de l’un ni de l’autre. Aujourd’hui la contradiction réside dans le fait que l’on assiste incontestablement à des mutations extraordinaires qui se sont traduites par une sécularisation des pratiques sociales. Mais on ne veut toujours pas traduire ces changements fondamentaux dans les mentalités et les lois. Voilà la contradiction !

Carthagonews: Les femmes islamistes évoluent-elles en Tunisie ?

Difficilement. Elles ne sont pas traditionnelles. Elles sont conservatrices mais en même temps, elles sont dans le politique et le social. Elles sont les symboles d’une modernisation de la Tunisie mais qui n’ont pas rompu avec la norme conservatrice. Elles défendent des valeurs qui vont contre les intérêts des femmes en général.

K.B  http://carthagonews.com/fr/interviews/item/2264-sophie-bessis-%C2%ABde-vraies-menaces-conservatrices-menacent-notre-soci%C3%A9t%C3%A9%C2%BB.html