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SOUVENIR DE LA VILLE ARABE DE SFAX EN 1956, par Victor Jean Claude Cohen

SOUVENIR DE LA VILLE ARABE DE SFAX EN 1956

par Victor Jean Claude Cohen

 

Notre appartement avait une grande terrasse, avec une magnifique vue sur les remparts de la ville arabe de Sfax.

On pouvait apercevoir au bas de l’immeuble coté terrasse un magnifique boulevard bordé de palmiers tout le long des trottoirs.

Les odeurs agréables des jasmins, pois de senteurs et des œillets plantés sur les abords des remparts de la ville arabe envahissaient notre terrasse.

Ces odeurs, pourtant familières, aiguisaient à chaque fois mes sensations olfactives, je les respirais à pleins poumons sans jamais être rassasiés.

Notre terrasse était éloignée d’à peine trois cent mètres des remparts de la ville arabe, qui était le théâtre quotidien des effervescences de la ville.

Mais ce qui m’impressionnait le plus, c’était la maison ou j’habitais, à la rue d’Athènes, un immeuble unique en son genre dans cette ville de Sfax, dotée d’une architecture baroque, méconnue dans cette ville.

La façade était truffée de corniches, de statues représentants des chérubins, des dragons, des gros volatiles, des bustes de personnages étonnants, de couronnes de fleurs et plantes, le tout sculpté dans la pierre ou moulé dans la matière.

Cet immeuble appartenait à une famille d’origine maltaise, la famille SPITERI, famille, apparemment bourgeoise et certainement aisée, en tous cas de très braves gens.

Certainement que cet immeuble a été construit par les aïeux de cette famille, car j’ai aperçu lors d’un voyage a La Valette a Malte, quelques immeubles de ce style.

Sfax est la capitale du sud de la Tunisie, s’y dresse de hauts et imposants remparts semblants rassurés les habitants, ces murailles témoignent d’une ancienne fortification contre les pirates.

La ville européenne cité moderne à l’extérieure des remparts fut gagnée petit à petit sur la mer de par de gravois des chantiers et des démolitions sur le littoral, et aussi, de par un glissement de terrain lent et naturel des terres vers la mer.

L’intérieur des remparts est appelé « ville arabe », nom dû aux nombreux souks qui s’y trouvent, mais aussi à sa grande mosquée et à ses habitants en majorité arabes musulmans.

Dans l’antiquité la ville était appelée Taparoura, les romains changèrent le nom en Syphax et plus tard, elle prit le nom de Sfax.

Le soleil y brille en permanence presque toute l’année donnant une forte clarté à cette ville aux couleurs claires.

Son grand port sert surtout, à l’exportation de l’huile d’olive, car les alentours de cette ville, sont dotés a plusieurs kilométrés a la ronde d'innombrables arbres d'oliviers, mais aussi au phosphate venant de la ville voisine de Gafsa, située à l’intérieur des terres ou s'y trouve plusieurs mines de ce fertilisant.

Cette ville possède du coté européen, des grands boulevards bordés de palmiers, une gare desservant les principales villes telles que Gafsa, Gabes, Sousse et Tunis.

Il y à dans cette ville aussi quelques immeubles disséminés ça et là, qui ont une l’architecture orientale unique en son genre et très typique.

Leurs façades géométriques sont construites d’un mélange de pierres de tailles de couleurs vieux rose, centrés sur des pourtours de murs blancs immaculés à la chaux qui contrastent subtilement avec des touches de tuiles de terre cuite empaillés en vert émeraude posées au dessus des corniches bordant les hauts de murs des enceintes des immeubles.

Cette architecture est typique à la ville de Sfax, les plus fameux bâtiments archétypes sont, la municipalité avec son horloge au clocher inspiré des minarets de mosquées, son immeuble voisin le palais Ben-Ramdane et ses fameuses arcades ainsi que le marché central de la ville.

Cette ville de bord de mer, dégage en permanence des odeurs, dans les différents endroits ou l’on s’y trouve ; ces fragrances se déplacent aux grès des vents se déployant par rapport aux temps et aux saisons tels que, les jasmins dégageant leurs odeurs en fin d’après midi, ou celle de l’iode venants des produits marins à sécher, étalés sur le sol des terres pleins des bords de mers par les pécheurs, tel que les poulpes et les éponges de mer.

Il y règne une nuée de parfums des fleurs présentent en permanence de partout, les pois de senteurs, les œillets ou celle des roses aux subtiles et différentes arômes des multiples variétés.

On y sent aussi, les grasses odeurs des huiles d’olives et des grignons d’olives quand on n’est pas loin des usines à huile ou à savon.

Au souk de la ville arabe avec son éternel air de fête, les odeurs des épices exotiques sur les étals colorés vous enivrent, il y à des gros tas en pyramide de cumin, du henné, de la cannelle, du carvi, du curcuma, de la muscade, du macis, de l’anis, du fenouil, des clous de girofle, de la cardamome, du safran, de la nigelle, des graines de pavot, les différents poivre en grains ou moulu, les couronnes de piments rouges séchés et encore beaucoup d’autres épices dont uniquement les initiés connaissent leurs vertus.

Tous ces produits odorants et multicolores, s’exposent-en vrac dans des couffins tressés avec des feuilles de palmiers, posés sur les dessertes des marchands créant une atmosphère d’air de fête dans les souks de la ville.

La ville arabe de SFAX commence par la plus connue des portes, celle de BEB-DIWAN, grande porte a double battant faisant, face a un large boulevard commençant par la municipalité à l’est et terminant par Beb-Diwan a l’ouest ; il y a plusieurs portes d’entrées possibles tout autour des remparts qui composent cette ville arabe, les plus usuelles portes de la ville arabe, sont BEB-EL-KASBAH, BEB-EJEBLI, BEB-EL-GHORBI sans oublier BEB-EDROUJ menant au quartier de BORJ-ENNAR, célèbre pour être le quartier de tolérance de Sfax.

Cette ville dans la ville est une suite de multitudes de marchés orientaux dits « souks » en arabe et en jargon local.

Ce qui est intéressant à observer dans cet imbroglio de ruelles étroites aux plafonds voûtés, ou a ciel ouvert de la ville arabe, et dans tous les souks qui la composent, c’est une scène quotidienne où circule, s'active, foisonne une population colorée, bariolée, parée, étincelante, douce et « peut être » adulatrice de ce décor oriental unique.

Malgré le fait d’être sur une terre arabe, les juifs, les maltais, les grecs, les italiens et les français sont une partie intégrée et intégrante de cette ville bigarrée.

En fait il y à une multitude de variété de couleurs et de costumes différents par rapport aux multiples ethnies vivant dans cette ville ou se mélange allégrement plusieurs races, de différentes religions et d’horizons distincts.

Les costumes sont d’une gaieté, et reflète la joie de vivre de cette population. Il faut souligner qu’il y à abondamment de couleurs, beaucoup de goût et d’allégresse.

L’imagination des créateurs de ces costumes est très inventive.

En observant bien, on s’aperçoit que les coloris des costumes des ethnies différentes vivants à Sfax sont faits de tons violents, ou au contraire faits de nuances tendres, douces et harmonieuses.

Un festin des yeux pour ceux qui savent observer.

Les jebbas, les Burnous et les Guedroun, toutes ces sortes de tuniques masculines et orientales en gros lainage ou en cotonnade, qu’elles soient de coloris sombres ou claires se mélangent allégrement aux costumes européens.

Ces vestes, ces gilets, ces costumes, ces khaïks (vestes orientales cintrés) brodés de fils d’or et d’argent ou de fils multicolores d’un brillant soyeux, ces sefsaris, (voile islamique de couleur blanche qui est typique à la Tunisie et qui enveloppe la femme du haut de la tète jusqu’aux chevilles) ces chéchias rouge grenats avec ou sans leurs pompons de soie noir pendants à l’arrière de ces « bonnets de laines» que portent la majorité des hommes.

Toutes les couleurs de ces accoutrements se croisent, se mêlent et se superposent en camaïeux, des plus fines couleurs en passant par les plus ardentes qui entrelacent les plus douces.

Les bleus, les blancs, les roses, les verts d'eau, les verts Nil, les marines, les noirs, les terra cota, les saumon, les orangés, les lilas, les gris, les bordeaux et beaucoup d’autres teintes encore, semblent donner un air de défilé de mode féerique et un interminable spectacle de rues.

Malgré toute cette multitude de teintes, il ne semble pas du tout qu’il s’agisse d’un décor criard aux notes dures, au contraire tous ces presque-décors semblent fins, doux, délicats et précieux.

La confusion ne semble pas gâter ce décor panaché qui caresse les yeux de tous ceux qui sont partie prenante de ce spectacle coloré.

Les haillons que portent les mendiants ou ceux qui sont dans la misère, font partie de la scène, sans eux, il manquerait certainement quelque chose au décor.

Les marchands accroupis devant leurs étals et au milieu de leurs marchandises, les mendigots assis, pare terre, affichant aux yeux de la foule leur handicap ou leur misère, les passants nonchalants ou pressés, se bousculant, oscillants, laissant passer de temps en temps des charrettes tirées par une paire de bras vigoureux, demandant une priorité de passage avec des mots incompréhensibles.

Dans ces galeries sombres et ces ruelles tortueuses s’entrecroisent les marchands, par leurs différents métiers, assis ou debout au milieu de leurs marchandises dans des minuscules boutiques ; il y a ceux qui interpellent les passants, ou ceux qui restent immobiles comme des pantins dans ces échoppes bourrés de marchandises, on aperçoit des pièces de tissus gerbés en piles de toutes les couleurs, de tas de sacs en cuir accrochés a travers leurs anses, de séries de valises superposées comme des poupées russes, des piles de vêtements accrochés à des barres fixes le long des murs, des montagnes de bijoux, des matelas de tapis, des chaussures et des babouches tapissant les murs, de parfums aux couleurs pastels, dans d’énormes bouteilles de verres munis d’un petit robinet, des longues bougies a la grandeur démesurée accrochés aux plafonds des boutiques , etc.

En fait, il y a une succession de souks que l’on découvre au fil des rues et des impasses et chaque petit souk ou ruelle à sa propre corporation de commerçants ou d’artisans.
Et ce, tout au long de galeries ; séparés par des cloisons ou des murets, les travailleurs d’un même métier œuvrent avec les mêmes gestes et produisent des sons différents.

Le souk des tailleurs et le souk des bijoutiers sont totalement juifs, ces deux métiers sont exclusivement tenus par eux.

D’ailleurs les jours de samedi, les deux souks sont complètement déserts car c’est shabbat (jour de sabbat) jour férié pour les juifs.

Dans ces souks c'est un va-et-vient incessant d'Arabes, de juifs et d’autres, qui se bousculent, cherchant à se frayer un passage à travers la mêlée.

Au nord est de la ville arabe il y a aussi le quartier des prostituées, très fréquenté par les nombreux marins en visite qui travaillent dans les bateaux étrangers venants de tous les coins du monde, accostants dans le port de Sfax.

La plupart des tenancières de ces maisons de tolérance sont d’origine maltaise, mais les occupantes sont de toutes les ethnies locales confondues.

J’avais entendu dire qu’avant l’abolition de l’esclavage en 1846 il y avait même le souk des esclaves dans cette ville arabe.

Sans oublier les petits cireurs de chaussures qui déambulent dans toutes les rues et proposent leurs services.

Ils ont un petite boite en bois ou a l’intérieur il y les brosses et les boites de cirages, il vous place les pieds un a un sur la boite et assis parterre ils accomplissent leurs besogne.

Un peu plus loin un autre souk de vêtements d'occasion pour femmes ou se vend entres autres des sarouals (pantalons) aux entrejambes bouffantes, des vestes en velours brodés aux couleurs tendres, des kaftans au coloris pastel, etc.

Les forgerons, les parfumeurs, les bijoutiers, les tailleurs, les épiciers, les marchands d’épices, sans oublier les pâtissiers vendant, les gâteaux au miel, étalant aussi leurs divers sirops de fruits dans des grosse bouteilles en verre.
Les marchands de légumes, les bouchers, les marchands de fruits secs, amandes, pistaches, glibettes, pois chiche, cacahuètes, etc. chauds, tous frais grillés.

Le souk couvert et très sombre des pécheurs kerkeniens, a Beb Ejebli, habillés en Guedroun traditionnel sont accroupis et vendent les poissons a la criée, dans des corbeilles assemblées en tiges de dattes ou dans des couffins tressés dans des feuilles de palmiers ; sbares, loups de mer, mulets, mellou, daurades, rougets, mérous, crevettes.etc.

Il y a aussi les minuscules échoppes de fabricants d’ustensiles en bois taillés a la main par des artisans chevronnés travaillant assis a même le sol, sans oublier les innombrables camelots et marchands ambulants proposant diverses marchandises et comestibles....

L'activité, les couleurs, la gaieté des souks, sont impossible à décrire, il faudrait énoncer simultanément les actions, le timbre ainsi que l’ambiance.

Des odeurs fortes, de mille et un parfums d’Orient, d'encens et d'épices flottent dans tous les passages et les ruelles des souks et des bazars.

De temps en temps on entend les muezzins du haut de leurs hauts minarets rappelant mélodieusement aux fidèles musulmans qu’il est l’heure de la prière.

Dés quatre heures de l’après midi, les marchands de jasmins apparaissent et vendent des "meshmoum", petits bouquets de jasmins très odorants.

Le marchand de jasmin se déplace sur les terrasses des cafés, interpelle les passants ou rentre dans les magasins, tenant d’une main un "meshmoum" et de l’autre un plateau d’alfa ou de feuille de palmier tressé sur lequel plusieurs rangées de petits bouquets de jasmin ou de boutons de fleurs d’oranger sont exposées à la vente ambulante.

Ces bouquets sont préparés artisanalement, les façonniers qui les fabriquent piquent un a un ces boutons de fleurs non éclos sur de fines tiges végétales d’une longueur de quinze à vingt centimètres environ.

Une cinquantaine de ces tiges garnis de leurs boutons de fleurs sont assemblées entres elles avec du fil à coudre, ce qui forment un fuselage à l’extrémité supérieure conique formant un petit bouquet qui ressemble a une fleur.

Ces bouquets très odorants, dit " meshmoum" en jargon local sont achetés par les hommes qui les offrent à leurs femmes le soir en rentrant a la maison.

Mais en attendant, en bons et loyaux sfaxiens, pour en profiter aussi, ils les placent derrière une de leurs oreilles et les portent de temps en temps au niveau du nez pour respirer le parfum frais et subtil du jasmin ou de la fleur d’oranger.

En effet, le jasmin commence à dégager le maximum de son odeur en milieu d’après midi, après la forte chaleur que dégage le soleil quand il est à son zénith.

L’odeur du jasmin se maintien a travers ce petit bouquet, toute la nuit et jusqu’au petit matin.

Cette tradition d’offrir du jasmin aux femmes est typiquement orientale, mais elle est surtout caractéristique à la Tunisie.

Le soir, dés la tombée de la nuit, petit à petit les souks deviennent déserts, après la grande cohue de la journée, les ruelles des souks de la ville arabe vidés de leurs chalands et de leurs badauds semblent êtres devenues les couloirs d'une ville inoccupée, figée dans la pénombre et le silence.

VICTOR COHEN 

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J-C Cohen,dans son envolée lyrique, notamment sur les fragrances de la Ville Arabe semble oublier les odeurs d'urine et autres excréments humains le long de ces remparts comme d'ailleurs sur les terrains vagues face au Petit Chenal en particulier...je peux en témoigner!
Un natif de Sfax!

Merci Monsieur Cohen pour ce beau récit  ! !.........Quel beau voyage ! Le coeur reste jeune ! ..... et la beauté et les senteurs nous enivrent par-delà le temps ! ......

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