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Syrie : Une guerre civile asymétrique - Par Gérard Fellous

Syrie : Une guerre civile asymétrique

 

Par Gérard Fellous

 

La Syrie est en proie, depuis plus de deux ans, à une guerre civile asymétrique qui a causé à ce jour plus de 110 000 morts, des centaines de milliers de blessés et plusieurs millions de déplacés dans les pays limitrophes : Un conflit entre une armée classique contrôlant l’espace aérien avec une aviation moderne et une artillerie lourde apte à protéger les grands axes du pays ; et une guérilla urbaine progressant dans des agglomérations encore surpeuplées, en prenant les populations civiles pour boucliers. Le pouvoir baasiste a fait appel à des groupes de contre-guérilla composés de quelques milliers de combattants urbains du Hezbollah libanais, encadrés par  des Gardiens de la révolution –pasdaran - venus d’Iran. La seconde caractéristique du conflit est qu’il s’agit d’une guerre de positions, dans laquelle les différents groupes de l’opposition prennent progressivement possession  d’axes de communications et de régions entières, sans réelle coordination.

« En cas d'intervention, l’échiquier politique intérieur syrien serait-il redistribué en faveur des extrémistes islamistes ? »

A la mi-août, l’enjeu était l’encerclement du cœur du pouvoir alaouite à Damas, c'est-à-dire le Palais présidentiel, la place des Omeyyades, la Parlement, le quartier général de la sécurité nationale et la Vieille ville, quartiers délimités par l’aéroport militaire de Mezze, au sud, et par l’avenue Hafez-el-Assad, à l’est. Au-delà, la résistance tient le quartier de Mouadhamiya et les quartiers de Zamalka et Ain Tarma (Chouta orientale),  deux quartiers populaires composés de ruelles, situés à moins de six kilomètres du centre névralgique de la capitale. La guérilla y était retranchée le 21 aout, lorsque le régime baasiste tenta de la  déloger en utilisant des roquettes d’artillerie portant des produits chimiques (sarin), provoquant une hécatombe dans la population civile.

 

Cette tactique antiguérilla de guerre chimique, qui avait été utilisée par Milosevic au Kosovo, est probablement d’inspiration russe. Condamnée universellement, car assimilée à l’usage de gaz de combat lors de la première guerre mondiale (14-18), puis de l’extermination des juifs d’Europe par les nazis, elle prend aujourd’hui une dimension nouvelle dans le cadre de la répression des soulèvements populaires contre des régimes dictatoriaux,  partout dans le monde, et singulièrement dans les pays arabes. A Damas, dans la dernière semaine du mois d’aout 2013, l’opposition armée, loin d’être affaiblie par l’attaque chimique du pouvoir baasiste, s’est très rapidement déplacée pour pilonner de nuit les quartiers alaouites et chrétiens, ainsi que nous l’ont révélé à Beyrouth, des témoins sur place. Ainsi, au-delà de la condamnation morale unanime de l’usage d’arme chimique, il s’avère que tactiquement cela est de faible résultat pour le régime du clan el-Assad.

 

Implications internationales

 

Ce conflit en Syrie aurait été circonscrit à une guerre interne , comme le fut durant plus de quinze ans la guerre civile libanaise qui avait abouti à un redécoupage ethnique et religieux du territoire et à l’arrivée du Hezbollah chiite dans le paysage politique local, si deux autres cercles concentriques extérieurs n’avaient pris pour cible la Syrie :

 

Le premier est d’influence régionale, opposant d’une part l’Iran chiite et ses deux alliés : le régime alaouite de Syrie et le Hezbollah libanais, d’autre part les sunnites menés par l’Arabie saoudite et le Qatar, en une prolongation moderne d’un conflit religieux ancestral. Il faut y ajouter la Turquie de l’AKP qui rêve de rétablir dans la région une influence perdue par l’Empire ottoman.

 

Pour sa part, le Liban multiconfessionnel et occidentalisé aspire à un rôle que tenait la Suisse neutre durant la Seconde guerre mondiale dans une Europe à feu et à sang. La différence est que le Liban de 2013, sans gouvernement depuis des semaines, est travaillé de l’intérieur par des communautés sommées de prendre parti.  Pour l’heure c’est la « loi du talion » qui prévaut entre chiites du Hezbollah et sunnites, au grès des échecs des uns et des autres en Syrie : un recul de l’opposition sunnite en Syrie entrainant une voiture piégée devant un quartier général du Hezbollah près de l’aéroport Rafik Hariri ; suivie de la destruction de deux mosquées sunnites à Tripoli (nord du Liban). Dans un Liban clanique, la guerre de Syrie est circonscrite à la tactique du « œil pour œil, dent pour dent », les régions druzes et chrétiennes étant épargnées. Mais un effondrement spectaculaire des alaouites en Syrie ne déclencherait-il pas un cycle de vengeances destructrices amorcé au Liban par l’Iran et le Herzbollah défaits ?

 

Enfin le troisième cercle concentrique syrien implique les grandes puissances : La première, la Russie de Poutine, voudrait rejoindre le club des Grands, à l’occasion prochaine du Sommet du G 20 de Moscou, en reprenant, dans la diplomatie internationale, le rôle perdu par l’URSS lors de la « guerre froide ». L’objectif immédiat serait l’obtention d’une présence militaire solide en méditerranée (Tartous en Syrie), et la constitution d’un axe Moscou-Téhéran.

 

Pour leur part, les opinions publique des Etats unis d’Amérique, échaudées par les aventures guerrières en Afghanistan et en Irak, et celles d’Europe, particulièrement de Grande Bretagne et de France, ne voient dans la guerre civile syrienne qu’un piège qui, en se refermant, offrirait aux fondamentalistes  islamistes, et à Al Qaïda, engagés sur le terrain, un « coup de pouce » de l’Occident en affaiblissant le régime bassiste, et cela à la veille de l’anniversaire du 11 septembre 2002.

 

Impasse militaire ?

 

Dans la perspective d’une intervention militaire  des forces américaines et françaises, soutenues par un large panel de pays, deux questions se posent :

-Eliminer le régime de Bachar el-Assad ou l’affaiblir « le punir » reviendrait-il à mettre en meilleure position stratégique et politique les islamistes de l’opposition ?

-L’échiquier politique intérieur syrien serait-il redistribué en faveur des extrémistes islamistes ?

 

Parallèlement d’autres questions se posent au niveau de la diplomatie onusienne :

-           La communauté internationale peut-elle rester pied et poings liés devant l’usage d’armes chimiques par des régimes dictatoriaux, au risque d’une dissémination dans d’autres régions, et d’une impuissance de la Cour pénale internationale ?

-           L’impératif de la « responsabilité de protéger » les populations civiles partout dans le monde, concept en gestation à l’ONU, serait-il mort-né ?

-           Le projet fondamental de redéfinition du Conseil de sécurité de l’ONU, difficile à mettre en œuvre, mais toujours à l’ordre du jour, sera-t-il abandonné définitivement ?

 

Restera, pour la crise syrienne, à inventer de nouvelles solutions diplomatiques, lors d’une Conférence de Genève-2,  mais au plus vite…

Gérard Fellous

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