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THALA au coeur de l’histoire : Les enfants de Jugurtha, par Hassen MZOUGHI

 

Les enfants de Jugurtha

 Le peuple tunisien a réussi sa révolte, mais il n’a pas encore définitivement gagné sa révolution. Après avoir bouté hors de leur terre un régime haï, chômeurs, étudiants et lycéens  n’ont pas encore cueilli les fruits de leur engagement exemplaire. A cause de ceux qui s’agitent et s’agitent encore ici et là. Il ne faut pas se leurrer. C’est uniquement le petit peuple, celui des régions déshéritées, oubliées, surgi de la Tunisie profonde qui a lancé la révolution, ne craignant pas d’affronter les balles et la mort. L’Ugtt, les partis d’opposition, et tous ceux qui donnent de la voix aujourd’hui après vingt-trois ans d’un lourd silence, ne sont intervenus dans le mouvement que lorsque celui-ci s’était rapproché de Tunis et que la chute du dictateur semblait imminente.
L’onde de choc était partie de Sidi Bouzid avant de s’amplifier à Thala, une ville réputée pour son histoire tourmentée. A Sidi Bouzid, Kasserine, Jendouba, Siliana, Medenine, Regueb …, la majorité des moins de 25 ans sont sans emploi. Dans ces villes construites à la va-vite, sans âme, sans vie collective à part les cafés de fortune où l’on se retrouve pour jouer aux cartes, la rue est l’espace de prédilection des jeunes chômeurs. « Il n’est pas surprenant », commente  Aymen, étudiant thalois « de voir que ces jeunes se sont servis de la rue comme leur espace de vie, bravant la police, qu’ils ont l’habitude d’affronter, notamment à l’issue des matchs de foot. ». Il va plus loin : « Une jeune génération d’émeutiers est arrivée, armée de claviers et manifestement plus décidée à croiser le fer avec le régime qu’à épouser ses stratégies politiques. A l’instar des supporters d’équipes de football locales, qui lors des matchs narguent le service d’ordre.»

Massacre à huis clos 

Thala est l’une des villes les plus pauvres du pays et comme d’autres villes oubliées, elle s’est soulevée pour se débarrasser de ceux qui lui volaient son rêve. Vingt jours après les troubles à Sidi Bouzid, c’est l’explosion et le massacre à huis clos à Thala. Depuis la première tuerie du 8 janvier (six morts et une quarantaine de blessés), le régime a imposé « un siège terrible aux 16 mille habitants de la ville, soigneusement exécuté par 1.500 policiers qui privent la population de  médicaments, de  vivres et du minimum nécessaire à la vie. », enchaîne un enseignant à la retraite. Le 9  janvier, les habitants qui n’ont pas pu secourir les blessés pendant la soirée car les policiers tiraient sur tout ce qui bouge, sont encore victimes de tueries. « Nombreux parmi les victimes sont âgés entre 12 et 16 ans », regrette, très ému, cet enseignant. Toute la Tunisie est désormais au courant des affrontements de Thala, via les images terribles circulant sur facebook. 
Désormais les Thalois n’ont plus peur. Ils ne cachent plus leur haine contre celui qui a donné l’ordre de tuer leurs enfants. Pendant la nuit du 11 au 12 janvier, la police a sauvagement attaqué les foyers, a commis des atrocités contre des civils innocents, des personnes âgées et des enfants, sans parler des arrestations arbitraires. Ces forces de police ont dévasté la ville en pillant les petits commerces. "Thala ne pliera pas…elle est née libre et le restera… " affirme un autre étudiant. Sous le siège, les jeunes  continuent de crier leur rage. « Tous les discours de zaba ne laveront pas le sang des jeunes tombés sur le macadam comme Marwane Jomli, Ahmed Boulaabi,, Nouri Boulaabi, Marwane Mbarek, Marwane Enemri, Ghassane Cheniti et Mohamed Omri», ajoute cet enseignant. Les manifestants qui ont défilé le long de la rue principale, s’arrêtant longuement chez le dernier martyr, ont refusé de recevoir le délégué (représentant du gouvernement) et ont décidé de mettre en place un comité de gestion de la ville choisi parmi les syndicalistes.

Petits cœurs blessés

 Morale de l’histoire, les descendants de Jugurtha et Tacfarinas, de  Ben Ghdahem et Ben Othman ont longtemps attendu qu’on les débarrasse de la pauvreté. En vain, Bourguiba  a tenu  Thala à l’écart pour avoir choisi le camp de Salah Ben Youssef. Ben Ali l’a encore enfoncé dans l’oubli, aiguisant davantage l’indignation de la population. Avec Gafsa qui s’est insurgé il y a deux ans, Ben Guerdane,  Kasserine et autres localités en colère, la dissidence n’a pas cessé de s’étendre, sans que le pouvoir central ne bouge le petit doigt. Conséquence : il a été emporté en moins d'un mois.
Jadis fierté des Berbères et grenier de Rome, Thala est un tableau de misère : pandémie de  la cirrhose du foie et de l’hépatite C, chômage en nette croissance, pollution de l’usine de chaux, des jeunes qui  choisissent de mourir au milieu de la Méditerranée ou dans le désert, un pillage organisé de ses trésors archéologiques. Thala se réveille chaque jour pour découvrir sa laideur alors que les autorités indifférentes  passent leur temps à vanter… l’habit traditionnel.

Pendant ce temps,  les forêts  de Tebaga, Al Hezza, Birano, Layoun, Ain Oum Jedour et Ain Jdaida, Sammama, Al Mrawna et El Brik  sont prises d’assaut par des enfants venus pour  la coupe du romarin. Mains blessées par la faucille mais contraint à la dure besogne pour se nourrir, ces enfants  iront participer ensuite à la collecte des cônes de pin d’Alep pour en extraire les grains. Une autre corvée pour ces petits cœurs aux cœurs …

Le courage des ancêtres

Aujourd’hui l’espoir revient à Thala. Il faudra tout de suite rassurer sa population pour gagner sa confiance, condition nécessaire pour la bonne gouvernance. Que les candidats au suicide aient donc un travail; que les écoliers ne craignent plus pour leur avenir ; que la cirrhose du foie et les autres maladies soient enrayées; que soit édifié un hôpital doté des équipement suffisants; que les dettes de tous les agriculteurs soient annulées et que des financements adéquats soient octroyés aux cultivateurs et aux promoteurs, enfants de la région; qu’une université soient implantée  à Thala; qu’un centre de formation professionnelle voit le jour ; que les prix du carburant, de l’électricité et du gaz soit compensés car Thala, ville la plus haute de Tunisie, est victime du froid six mois par an et la pauvreté toute l’année. Que les routes soient reprises, que les jeunes gardent tout de même le courage de leurs parents et de leurs ancêtres qui ont résisté depuis des siècles dans ces lieux. Bref, que le pouvoir  fasse ce qu’il aurait dû faire il y a des décennies dans tous les secteurs en concrétisant des projets de développement répondant aux besoins des citoyens.
Chaque Thalois veillera à ne pas perdre sa liberté chèrement acquise au bout d’un demi-siècle de silence. Il s’est libéré tout seul et veut le demeurer sans l’aide de quiconque. Il sait fort bien qu’il lui faudra attendre pour installer son petit pays dans le pluralisme et surtout apprendre à être citoyen responsable. Il s’est débarrassé du parti unique et il saura demeurer vigilant contre ceux qui voudraient détruire sa victoire. Il s’est juré de ne plus être trompé comme l’ont été Jugurtha, Ben Ghedaham et les patriotes historiques. Voilà pourquoi sa révolution est irréversible.

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