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Touna, le trésor de Moknine, par PIERRE OLIVIER ARIBAUD

Touna, le trésor de Moknine

 

 

PIERRE OLIVIER ARIBAUD

 

 

Il y a quelques années un client Tunisien, bijoutier fort renommé me confie un dossier particulier. Un titre bleu situé à Sousse et pour lequel il a acquis des parts il y a fort longtemps. Ce bijoutier, fort honnête homme souhaite acquérir le reste des parts qui lui manquent pour devenir propriétaire du bien intégralement.

Seulement voilà : la famille qu’il recherche si elle est aisément identifiable est fort désunie. Des cousins qui ne se connaissent pas, quand bien même ils ne se haïssent pas, et repartis sur toute la France. Trois branches. L’une, de loin la plus sympathique et la moins nombreuse. Deux frères : anciens banquiers dont l’un fut le champion de Tennis de la Tunisie des années 50 et qui finira même en finale du double messieurs Tennis de Roland-Garros en 1967 ou 1968. Une autre branche comprenant une quinzaine de descendants.

 

Bref, la famille et les ayants droit sont clairement identifiés. Mais pas tous. Une des branches par le jeu des mariages avait un nom différent. Et pas moyen de trouver la trace de ceux-là en plusieurs mois de recherches acharnées. Jusqu’au jour ou un ami Tunisien me parle de Touna, une très vieille femme juive de Moknine. Renseignements pris je décide de m’y rendre.

Et sans aucune difficulté je trouve Touna. Assise sur la petite marche de sa porte dans la medina de Moknine, près de l’ancien souk des bijoutiers, Touna porte une tenue à mi-chemin entre celle traditionnelle des femmes juives de Djerba et celles plus courantes des femmes musulmanes du Sahel. Elle joue aux dominos avec les gamins de sa rue et du quartier qui lui ont porté une assiette de couscous qu’elle mange avec eux.

Comme elle ne parlait quasiment pas un mot de Français c’est l’un de ses tout jeune camarade de jeu qui traduisis. Non elle ne voit pas qui peut être cette Marcelle B….que je recherche. Elle se gratte la tête, parle entre ses lèvres, semble interroger du regard les enfants des dominos. Répète comme à elle-même le nom que je recherche B…..Mais non. Rien n’y fait. Comme elle semble assez modeste, au moment de la quitter je lui glisse dans la main un modeste billet. J’apprendrai bien plus tard qu’à chaque fois que de rares visiteurs la secouraient ainsi elle en faisait bénéficier toute la rue. En remontant en voiture je repense à cette visite émouvante mais finalement inutile….me semble-t-il.

Tout de même il m’a bien semblé que lorsqu’elle prononçait le nom de ceux que je recherchais, les B….Elle appuyait plus sur la première syllabe au point que son B de B…..semblait plus proche du P. Alors quoi ? Une erreur, une mauvaise audition ? Et je me souvins de la remarque d’un fonctionnaire de la municipalité de Sousse. Dans la langue Arabe et chez les Tunisiens très particulièrement le P remplace souvent le B.

Retourné à mon bureau je modifiais mes recherches. Et très rapidement je vis apparaître une trentaine de possibilités de familles P…….

La chance alors me sourit et je ne mis que quelques heures avant d’identifier les P….. trois fils de Marcelle Hanna B…… et qui formaient la dernière pièce de mon puzzle. Ainsi ma visite à Touna n’avait pas été vaine. Et je me promis bien d’aller la visiter à nouveau pour la remercier.

Des trois fils de Marcelle Hanna P…., pas très sympathiques au demeurant, l’un que je rencontrais à Paris sur un banc du parc Monceau et à qui je racontais comment grâce à Touna j’avais retrouvé leur trace, me demanda de verser quelque chose à Touna âgée et assez pauvre vivant seule, sans famille, à Moknine. Bien entendu je n’avais pas attendu qu’il me le demande pour y penser. Et d’ailleurs lui ou ses frères ne m’ont jamais remis le moindre dinar. Leur générosité avait ses limites….

Je suis retourné à deux ou trois reprises visiter Touna. Elle me racontait la prospérité à jamais disparue des bijoutiers de Moknine, l’histoire des familles parties en France et en Israël. L’un de ses proches parents étant même devenu un important ministre à Tel Aviv. Elle me parlait aussi des hivers difficiles pour ses vieilles jambes, des gens qui avant le pèlerinage de la Griba la visitaient quelquefois.

Toujours je la trouvais dans la rue, à la porte de sa vieille maison. Toujours je l’ai vue avec les gamins du quartier qui jouaient avec elle au rami ou aux dominos. Toujours je voyais au moment du repas l’un des gamins partir lui chercher de grandes et copieuses assiettes de couscous ou des bols de soupe chaude. Quand elle était un peu malade je savais que ses voisines la soignaient et que jamais elle ne manquait de rien.

Et puis il y a un peu moins de deux ans, à plus de 90 ans Touna est morte. Ella a laissé les gamins de sa rue seuls pour les dominos ou le rami. Elle ne distribuera plus les bonbons et ne grondera plus les tricheurs. Touna était devenue au fil des ans la mémoire de Moknine.

Parce qu’elle était vieille bien sûr mais aussi parce qu’elle était bonne et sage, modeste et discrète sur sa vie, humble et modeste. Elle n’a jamais reçu l’obole promise et jamais versée des trois fils de Marcelle Hanna….et elle s’en moquait bien…

Par contre je suis absolument certain que les gamins de Moknine, ses partenaires du rami et des dominos se souviendront d’elle toute leur vie.

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