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A Tunis, de jeunes musulmans prennent le chemin de l’église

A Tunis, de jeunes musulmans prennent le chemin de l’église

Le Monde.fr 

 

De plus en plus de jeunes musulmans tunisiens à la recherche d'une nouvelle spiritualité épousent la foi chrétienne. Ils seraient plusieurs dizaines chaque année à devenir catholiques ou protestants et sont les représentants d'une génération qui jouit d’une certaine liberté de conscience et de croyance.

Sur la voûte de l'église de la Goulette, dans la banlieue nord de Tunis, les vertus cardinales s'incarnent par quatre figures féminines: force, justice, prudence et tempérance. C’est la dernière qui retient l'attention de Cyprien.« Temperentia (en latin), voilà ce dont les chrétiens de Tunisie ont le plus besoin pour ne pas heurter les sensibilités des autres». Les autres, ce sont les musulmans, qui sont plus de dix millions pour seulement 25 000 chrétiens, selon une estimation du diocèse de Tunis.

Cyprien, de son nom de converti, dit de sa nouvelle religion qu'elle est « une rencontre dans l'itinéraire de sa vie ». Sa trajectoire est singulière, il en convient. Issu d'une famille peu pratiquante et d'un grand-père imam formé à la Zitouna (université islamique de Tunis), il est artiste, tantôt poète, tantôt metteur en scène.

Méditation et prière

L'idéologie socialiste sera son premier engagement. Mais vers vingt ans, la Bible remplace ses lectures marxistes. « J'avais tout dans ma vie, sauf le bonheur. Je ressentais un vide et je suis entré dans une spirale de désespoir » raconte-t-il. L’athée qu'il était s'ouvre à la théologie et vit le christianisme comme une illumination. « La seule façon de me soulager était l'art. Désormais je m'apaise grâce à la méditation et à la prière », dit Cyprien, converti en 2008 et devenu séminariste afin de devenir prêtre après un voyage en Italie.

Retour au coeur de Tunis à l’église anglicane du quartier El Hafsia. Samedi, le culte y est dispensé en arabe tunisien par un pasteur américain. Plus offensifs que leurs homologues catholiques, les représentants du culte protestants perçoivent le Maghreb comme une terre vierge pour l'évangile et redoublent d’efforts pour attirer de nouveaux fidèles. L'ambiance est bon enfant pendant l'office entrecoupé de pauses musicales, où trois jeunes jouent le rôle de l'orchestre au répertoire copte, jordanien ou libanais.

Les missionnaires envoyés en Tunisie sont plus nombreux depuis 2011 et la prêche interdite en publique a lieu dans des cercles réduits. En parallèle deslieux de culte traditionnels, des églises clandestines voient le jour dans les maisons de particuliers et accueillent dans la discrétion des chrétiens plus nombreux.

Ex « demi-salafiste »

Reda (nom changé à sa demande) assiste à l’assemblée lorsque son père a le dos tourné. Ce jeune de 22 ans, ex « demi salafiste » comme il dit, est devenu un chrétien hybride : catholique, il fréquente aussi l'église anglicane. Reda a progressivement rejeté l’islam, qu’il assimile désormais à la violence. « J'étais musulman par peur. Avec le christianisme j’ai trouvé une relation plus personnelle avec Dieu, moins rituelle », dit-il.

Au premier rang de la salle, Amal, 24 ans, parle de son parcours avec recul et humour. Son rire nerveux cache une histoire dure à dire. Celle qui joue la matriarche du groupe a payé sa conversion au prix fort. « Mon père a essayé de me tuer à trois reprises. La première fois, il m'a emmenée dans une zone abandonnée près de l'aéroport et m'a défigurée. La seconde fois, je me suis protégé le visage. Je m'en suis bien sortie, avec seulement le bras cassé ». Puis elle change de sujet, oubliant au passage le récit de la troisième tentative.

Ces jeunes qui interrogent les dogmes ont adopté le christianisme malgré la pression familiale et l'intimidation sociale mais ils restent discrets sur leur nouvelle foi. En dépit du climat de relative liberté, aller au bout de leur engagement a souvent un prix. Cyprien a vécu sans domicile fixe, Marwen a abandonné ses études, Amal a perdu son travail à deux reprises. L’ONG protestante « Portes ouvertes » place la Tunisie à la 30 ème place de son indice mondial de la persécution des chrétiens.

 

Salsabil Chellali

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