Tunis, un décor ou mes potes ...Il faut choisir, par Jose Boublil
Régulièrement, je suis interpellé par des souvenirs de notre chère et belle Tunisie d'antan, un peu comme si les montagnes s'étaient déplacées depuis, ou que la mer avait tourné vinaigre.
Mes amis qui écrivent si souvent, je les aime pour leur sincérité, leur envie de partager cette histoire commune, ces lieux et ces odeurs uniques, de beauté ou de force.
Ils ont en commun, notamment Ruthy et Bébert, ce que peu de gens possèdent : un sens aigu de l'altruisme, sans calcul, sans discrimination, signe d'une finesse et d'une sensibilité à fleur de peau.
En lisant hier l'une des proses de Ruthy je me suis quand même posé une question qui dérange(je dérange souvent ): doit-on penser que ce sont vraiment ces lieux et ces odeurs qui portent ce message de paix, d'amour entre nous tous, renforcés par cette insupportable et envoûtante nostalgie?
Sérieusement, si nous étions né sous certaines latitudes, comme Papeete ou l'Ile Maurice, serions-nous encore plus timbrés, amoureux transis des Vahinés ? Si nous avions été bercés par le romarin et l'olive de cette si belle Provence, face à la sainte-victoire chère à Cézanne, aurions-nous développé une nostalgie similaire à celle de notre groupe, potentiels clients à vie pour feu Lacan ou Daniel Siboni?
En réalité, ce qui est marrant, c'est que les translations de nostalgie, depuis les corses jusqu'aux papous, en passant par les goulettois, et même les mecs de barbès, se superposent à peu près de la même façon, en principe . La véritable différence se fait sur deux critères seulement, qui mettent complètement de côté la mer turquoise de La Marsa (à laquelle je suis pourtant si attaché, mon père z"l y étant né) ou
les Moucharabieh de Sidi Bou : la culture inouie de ce carrefour du monde, antique et moderne , d'une part et les gens issus de cette terre si fertile en spécimens toutes catégories.
Je vous épargnerai largement l'histoire du pays dans ses détails , en rappelant quand même que les juifs s'y sont installés il y a près de 2500 ans, et qu'ils ont vu défiler les phéniciens, les grecs, les romains,les carthaginois, puis les hordes venues d'Arabie pour conquérir la terre. Ces juifs ont vu passer aussi des géants, dont certains sortis de leur sein : l'école talmudique de Kairouan avec deux maîtres que la littérature juive mentionne si souvent, Rabbenou Hananel, et le Rif (Rabbi Israel el Fassi).
Ca, c'est pour la grande histoire.
Mais l'histoire que j'ai eu la chance de vivre, portée par ces racines, et un décor de théâtre peint par Dieu en lieu de place de Picasso ou Matisse, était celle de personnalités qui ont bouleversé les paysages.
Ces gens, des milliers, ont fait que nous avions tous des lunettes roses, ou bleues, selon les jours.
Que serait donc la Goulette, Kherredine ou Tunis sans ces hommes et femmes dignes de Mangeclous pour certains, ou de Rabelais pour d'autres, et même des grands conquistadors à domicile: les Chalouma, l'arbitre, le fou de Tunis -peint cent fois par Maurice Bismouth - H'sen, Bagenda, Farouk, et tous ces marchands de tout pour faire grossir et rigoler . Et plus sérieusement, moins anecdotiques, ceux qu'on a aimé
si fort, avec leur verve, leur grognement et leur tendresse. Carlo z"l, Gilles dit "gioule", Denis z"l dit "pingouin", ou Guitou z"l. Avec ceux-là, il y avait le groupe de ceux que je cotoyais (il y avait d'autres équipes tout aussi extraordinaires): ces gens qui, s'ils étaient rentrés tous ensemble dans une pièce obscure l'auraient éclairée par leur énergie et leur puissance: Pierre et Laurent Bes, Bibal, Bernard Assous, Paulo Nataf, Baby, Patrick Sarfat, les Chiche, Guilou, Paulo Naccash, X-13 z"l, Patrick z"l et Claude Barouch du côté de Gammarth etc...Côté filles la liste était longue, à commencer par Ruthy, Jenn', Nina, Elsa, et beaucoup d'autres.
De l'autre côté du canal, des personnalités incroyables, qui auraient dû pour la plupart faire du cinéma à Hollywood: Bébert , Richard ou Max, Sydney Coplan, Richard Lellouche, les Berrebi, les Saal, les Krief (Guilou étant "tout terrain" je l'ai mis aussi à Kherredine) ..Mélanges subtils entre deFunès ou Bourvil, un peu de Lino Ventura, et une dose de poésie à l'huile d'olive, ou au poisson grillé version Bichi...
En revoyant a posteriori la "picture" -comme on dit aujourd'hui- il ne fait aucun doute que sans cette équipe d'agités du bocal, et pourtant souvent super brillants, la vie aurait été aussi paisible qu'en Corse; sans saveur et même sans les bombes.
La mer, elle est partout dans le monde. Elle est belle pour tout le monde. Les fleurs, je connais des roses dont la beauté justifie qu'on se soit emmerdé à apprendre Ronsard. Encore plus majestueuses que ces petits bouts blancs appelés Jasmin ou Fehl. Et leur odeur fut celle des Rois, bien avant que certains hommes de commerces , sûrement tunisiens, n'amènent les essences de notre décoration d'oreille dans des flacons Nina Ricci ou autres parfums ... Tout ça c'est du carton pâte . Si vous aimez votre époux ou votre mari juste parce qu'il ou elle vient de Tunis, l'affaire est lourde!
Je ne remercierai donc jamais assez le ciel et mes parents de m'avoir permis de naître là où il y avait tant de richesses humaines . Depuis le poker, jusqu'au déconnage, en passant par les excès en tous genre...
Et pour finir, de nous avoir inscrit dans une histoire au milieu des plus grands profs de médecine de la planète,
de penseurs brillants, entre Albert Memmi et Claude Hagège, d'artistes extraordinaires (Moses Levy ou Lellouche selon moi; et Roubtzoff et Farhat en dehors des juifs) , mais surtout d'hommes avec des personnalités hors du commun, quelle que soient leur notoriété.
Tunis , ce n'est pas Tunis, c'est mes amis... Désolé de vous décevoir.
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