Tunisie : Deux ans après la révolution, du jasmin au parfum du musc
Rien n’a changé ; constat partagé par la majorité des habitants de la région de Sidi Bouzid, berceau de la révolution tunisienne.
Sidi Bouzid (Tunisie).
De notre envoyé spécial
C’est là que Mohamed Bouazizi s’est immolé par le feu, donnant le signal au soulèvement populaire qui a abouti, au bout de quatre semaines, le 14 janvier 2011, à la chute de Ben Ali. La joie n’est pas de mise à la veille du deuxième anniversaire de la «révolution du 17 décembre 2010», comme se plaisent à l’appeler les habitants de cette région pauvre du centre de la Tunisie.
Les plus optimistes, comme cet agriculteur quinquagénaire proche d’Ennahda, prévoient des lendemains meilleurs : «On ne peut rien réaliser pendant la phase de transition, marquée par les tiraillements politiques et les revendications sociales irréalisables.» Il rappelle que «la tension sociale n’encourage pas les investisseurs à venir s’installer». Mais la majorité des citoyens ne l’entendent pas de cette oreille ; ils ont fait la révolution pour voir s’améliorer leurs conditions de vie. Or, selon des experts économiques, la situation économique et sociale ne s’est guère améliorée depuis la révolution de 2011 dans cette région, particulièrement pauvre et marginalisée sous le régime du président déchu Zine El Abidine Ben Ali.
Certains se considèrent ciblés par cet oubli continu de la part du gouvernement parce que c’est l’unique circonscription électorale où le parti Ennahda n’a pas obtenu la première place à la sortie des urnes. «Les listes de la pétition populaire (El Aridha) ont obtenu 48 000 voix alors qu’Ennahda en a obtenu moins de 20 000», rappelle le membre représentant El Aridha à la Constituante, Mohamed El Hamedi. «Malgré l’importance hautement symbolique de cette ville en tant que berceau de la révolution, rien n’a été réalisé pour faire oublier la marginalisation», insiste-t-il. «Les ouvriers des chantiers ont dû manifester plusieurs fois, à la fin de chaque mois, pour obtenir leur maigre salaire qui ne dépasse pas les 160 dinars (80 euros). Normalement, ce n’est pas un motif de manifestation, surtout après la révolution. Pourtant, c’est la situation des Bouzidiens», regrette-t-il.
Déception
Jeune fonctionnaire, Waël Amami constate que «depuis la révolution, rien n’a changé à Sidi Bouzid. Les problèmes qui ont conduit au soulèvement populaire en Tunisie, notamment le chômage et la pauvreté, restent intacts. Heureusement que les gens ont le sens de la solidarité. Dans une famille de six ou sept membres, il y a rarement plus d’une personne qui travaille». Pour ce qui est du gouvernement en place, Waël estime que la population est déçue. «C’est ce qui explique que ces derniers mois, les locaux du parti Ennahda ont été saccagés à deux reprises, ici, à Sidi Bouzid», ajoute-t-il. Il justifie cette violence par le fait que «les citoyens ont été déçus par la troïka au pouvoir, notamment par le parti Ennahda. Aucune des promesses faites par le gouvernement n’a été réalisée». Ce jeune homme de 27 ans rappelle que «les régions centre-ouest et sud-ouest ont beau recéler de nombreuses richesses, comme les mines de phosphate, rien n’est fait pour les développer et créer de l’emploi».
Certes, les trois présidents – celui de la République Moncef Marzouki, du gouvernement Hamadi Jebali et de l’Assemblée nationale constituante Mustapha Ben Jaâfar – vont apporter aujourd’hui un lot de nouvelles promesses de développement. Mais, à lire sur les visages des citoyens, ils commencent à ne plus y croire. Le Front populaire (une coordination de forces de l’opposition) a déjà appelé à boycotter les festivités officielles. A la veille de son deuxième anniversaire, la révolution du Jasmin va mal à Sidi Bouzid…
Mourad Sellami
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