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Débat en Tunisie autour du pèlerinage de juifs israéliens à la synagogue de la Ghriba

Débat en Tunisie autour du pèlerinage de juifs israéliens à la synagogue de la Ghriba

 

 

 

L´autorisation tacite octroyée aux juifs israéliens de visiter la synagogue de la Ghriba dans l´île de Djerba, au sud-est de la Tunisie, à l’occasion de la fête juive de Lag Baomer (tombée cette année le 17 mai), a suscité un tollé en Tunisie. La synagogue, l´une des plus anciennes au monde, est entourée d’histoires de miracles, ce qui en fait un lieu de pèlerinage prisé par les juifs et les non-juifs. En 2002, elle fut la cible d’un attentat terroriste dans lequel 16 touristes ont péri.

Le débat s’est intensifié suite à des rapports, fin avril, selon lesquels quelque 60 touristes israéliens ont été autorisés à débarquer d´un navire de croisière amarré au port de La Goulette à Tunis et à visiter un certain nombre de villes tunisiennes. Jusque-là, les Israéliens n´avaient été autorisés à entrer en Tunisie que via l´aéroport de Djerba.

Le 9 mai 2014, le Parlement tunisien s’est penché sur le sujet, suite à la demande de députés de renvoyer la ministre du Tourisme Amel Karboul et le vice- ministre de l´Intérieur Ridha Sfar, qui auraient tenté de promouvoir la normalisation avec Israël. Or seuls 80 des 109 députés nécessaires ont appuyé l´initiative. Soulignons que certains députés, lui étant d’abord favorables, sont revenus sur leurs positions. Parmi eux, des membres du plus grand parti du parlement tunisien, Ennahda, affilié aux Frères musulmans (FM).

Rapport des manifestations de soutien et d´opposition à l’autorisation accordée aux juifs israéliens d’entrer en Tunisie, et extraits d´un éditorial d’Ahmed Maghrabi : 

 

Les arguments pour : le tourisme israélien profite à l´économie

Le Premier ministre Mehdi Jomaa a avancé que permettre aux Israéliens de pénétrer dans le pays était bénéfique pour l´économie. Selon lui, « la saison du pèlerinage à la Ghriba se doit d’être un succès pour ne pas nuire à la saison touristique » et « la coutume Faux Israéliens d’entrer dans le pays existe depuis des années à titre officieux. » Il a toutefois précisé que son gouvernement « traite cette question avec transparence ».

Pour la ministre du Tourisme Amel Karboul, le succès du pèlerinage peut renforcer la saison touristique, améliorer « l´image de la Tunisie, et servir d´indicateur de la sécurité et de la stabilité du pays ».

Rached Al-Ghannouchi, chef du parti Ennahda, affilié aux Frères musulmans, partage cet avis. Pour lui, « le pèlerinage à Djerba a lieu chaque année, et les gouvernements précédents l’ont autorisé. »

Toutefois, Al-Ghannouchi précise que la Tunisie soutient le peuple palestinien, « ses droits... et s´oppose à la normalisation [des liens avec Israël]. »

 

Les arguments contre : cette autorisation constitue une normalisation avec Israël et porte atteinte à l´honneur des Palestiniens

Dans le camp opposé à l´autorisation accordée aux Israéliens de visiter le pays, on trouve le ministre de l´Intérieur Lotfi Ben Jeddou et divers députés. Un député du Congrès pour la République (CPR) du président Moncef Marzouki, Selim Ben Hmidane, a confié à Aljazeera.net : « Selon le slogan post-révolutionnaire en Tunisie, l´honneur passe avant le pain, et la normalisation constitue une ligne rouge ». 

De même, le deputé Azad Bady, du Mouvement Wafa, déclare que « le succès de la saison touristique n’est pas tributaire d’une normalisation avec Israël ni de l’accueil de ceux qui ont légitimé l´effusion du sang de nos frères en Palestine et ont usurpé notre terre et notre honneur ».

Ce n´est pas la première fois que des députés tunisiens tentent d´adopter des résolutions contre la normalisation avec Israël, mais jusque-là, leurs tentatives avaient échoué. Par exemple, il y a quelques mois, un groupe de députés a appelé à ajouter un article à la constitution rejetant la normalisation avec Israël, mais cette demande a été repoussée par le parlement. 

En outre, lorsque Amel Karboul fut nommée ministre du Tourisme en janvier 2014, les députés ont exigé son renvoi pour avoir visité Israël en 2006. Karboul a présenté sa démission, que le Premier ministre Jomaa a refusée.

Malgré ces faits, en mars 2014, les autorités tunisiennes ont arrêté 14 Israéliens qui débarquaient d´un navire de croisière amarré à Tunis, sous prétexte qu’ils n´avaient pas les permis requis.

 

Un journaliste d’Al-Hayat : Je soutiens les visites d’Israéliens mais je m’oppose à l´entreprise sioniste

Ahmed Maghrabi a déclaré dans le quotidien londonien Al-Hayat qu´il défendait le tourisme israélien en Tunisie, le qualifiant de preuve de « la pérennité du patrimoine tunisien » et de son ouverture et sa capacité à distinguer la religion juive de « l´entreprise d´occupation israélienne ».

Et d’ajouter que les personnes ont pleinement conscience de cette distinction, en particulier en Afrique du Nord, où les juifs ont pu rejoindre les dirigeants politiques de ces pays et prendre part aux combats de leurs populations.

Il écrit :

Il n´y a rien de plus triste que lorsque les Arabes portent le fardeau des autres... et se portent volontaires pour s´étrangler et exacerber leurs propres catastrophes au nom de causes qui ne sont pas les leurs. N´est-ce pas le cas du malheureux débat autour du pèlerinage juif en Tunisie, qui fait désormais partie du patrimoine impérissable du peuple tunisien et [montre sa capacité] à envisager la religion sous un angle culturel plus large ? N’avons-nous rien appris de la tendance générale [des Arabes] à servir passionnément des causes non arabes, en s´impliquant dans les débats tragiques sur l´Holocauste [par exemple] ? 

N’est-il pas tragi-comique que le nazisme hitlérien en Allemagne, sous la bannière de la suprématie aryenne, ait perpétré le massacre odieux de l´Holocauste, et que les Arabes défendent à présent les actions racistes d’Hitler et son fanatisme nazi aryen ? Cette tragédie atteint son paroxysme quand les Arabes défendent le massacre d’Hitler, alors même que la propagande idéologique sioniste exploite le massacre [des juifs] pendant l´Holocauste et [l’utilise] même pour justifier l´occupation colonialiste de la Palestine et l´expulsion du peuple palestinien, ainsi que l´éradication de son identité nationale et culturelle. L’intellectuel juif américain Norman Finkelstein, dont les parents sont des survivants de l´Holocauste, qualifie cette exploitation ignoble d’« industrie de l´Holocauste ». [Dans le même temps], certains Arabes défendent l´Holocauste avec une passion enthousiaste [typiquement] arabe... ignorant qu´ils servent l´entreprise sioniste...

Le conflit avec l´entreprise sioniste en Palestine est patriotique, nationaliste et culturel ; ce n´est en aucun cas un conflit avec la religion juive. Un des aspects les plus méprisables de l´entreprise sioniste est l´exploitation de la religion juive et de tragédies de la mémoire collective juive - qui ne concernent pas les Arabes - pour justifier l´occupation colonialiste israélienne. Puisque le nazisme d’Hitler s´est focalisé sur les juifs en tant que groupe religieux, le sionisme l’a perçu comme le modèle le plus probant et le plus cruel de la persécution des juifs, et l’a donc adopté dans son discours idéologique extrémiste - un discours qui utilise les actions d’Hitler en Allemagne pour justifier la prise de contrôle de la Palestine. Ainsi, le sionisme lui-même devient une idéologie raciste dotée d’attributs nazis, dans le sens où il est le miroir du nazisme.

Le discours sioniste intègre l’exploitation massive et odieuse de la religion juive... Pour cette raison, il est toujours important de mentionner que personne ne délégitime mieux les allégations sionistes que les juifs opposés aux déclarations politiques et aux actions racistes contre les Arabes. Signalons aussi que rien n’enrage plus les sionistes que les tentatives de distinguer le judaïsme, une religion monothéiste, de l´idéologie sioniste, une entreprise d’implantation politique qui sert les intérêts des hommes d’influence et des superpuissances - et notamment [leur désir d’] hégémonie sur la région arabe.

Petit exemple d’une personne qui a fait perdre le sommeil aux sionistes arrogants en attirant l´attention sur la différence entre l´entreprise de colonisation sioniste et la religion juive : l´intellectuel Edward Saïd. Saïd a irrité les sionistes, qui ont reporté sur lui chaque once de leur fureur pour de nombreuses raisons, notamment pour son amitié avec le musicien israélien Daniel Barenboim et le fait que les deux ont créé ensemble le Divan Orchestra Ouest-Est à Pilas, à Séville [Espagne], pour rappeler aux gens la coexistence judéo-arabe en Andalousie.

Lorsque le projet de libération arabe a gagné en importance et en conscience culturelle, il a rallié des Arabes de toutes tendances en termes de religion, de race et d´origine ethnique. Ces jours-ci, alors que le discours islamique extrémiste dans le monde arabe prend une dimension tragique telle qu’il remplace la [vraie] image des Arabes et des musulmans par l’[image] extrémiste du terroriste, tout devient surréaliste. Toutefois, à une époque de plus grande ouverture, l´Egyptien juif Henri Curiel [15]est devenu membre fondateur du Mouvement démocratique pour la libération nationale, qui a joué un rôle crucial dans la lutte du peuple égyptien contre le fascisme hitlérien et l´occupation britannique. De même, du temps où il y avait une plus grande conscience de la différence entre religion juive et entreprise de colonisation israélienne, l’intellectuel [juif] marocain Abraham Serfaty [16]était l´un des dirigeants du mouvement de libération de la Palestine. En outre, un guerrier juif comme l’auteur Selim Nassib [17]a rejoint l´aile gauche libanaise... Et un autre exemple éclatant : Daniel Bensaïd, un intellectuel [juif] français d´origine marocaine, dont la douce appellation pour Israël est « entité raciste ».

Depuis la création de l´entreprise sioniste, des Israéliens opposés aux ambitions sionistes fascistes se sont fait entendre. Le camp de la paix israélien et de la gauche libérale éclairée comprend des exemples d´Israéliens qui s´opposent au sionisme fasciste...

À la lumière de tout cela, qui n´est que la pointe de l´iceberg, c´est une honte que le pèlerinage juif à la synagogue de la Ghriba, sur l´île de Djerba, soit devenu une pomme de discorde en Tunisie, [notamment] après le succès de sa Révolution de jasmin. Selon toute vraisemblance, le long passé tunisien de libéralisme culturel qui s’oppose à l´entreprise israélienne [mais pas aux juifs] représente un progrès culturel qui élève la Tunisie et la Palestine, ainsi que les peuples arabes et la foi islamique.

 

Notes :

Elaph.com, 25 avril 2014.

Al-Sharq Al-Awsat(Londres), le 11 mai 2014.

Al-Quds Al-Arabi, (Londres), le 10 mai 2014.

Notons que deux lignes de croisières internationales ont annulé 16 escales en Tunisie en raison de sa politique ambiguë vis-à-vis de l´entrée du tourisme israélien dans le pays.Al-Quds Al-Arabi (Londres), le 9 mai 2014.

Elaph.com ; Al-Quds Al-Arabi (Londres), 25 avril 2014.

[6]Al-Quds Al-Arabi(Londres), 8 mai 2014.

Tunisien.tn, 27 avril 2014.

Elaph.com, 25 avril 2014.

Aljazeera.net, 26 avril 2014.

Elaph.com, 25 avril 2014.

Africanmanager.com, l4 mai 2014.

Al-Hayat(Londres), 30 janvier 2014.

[13]Elaph.com, 25 avril 2014.

Al-Hayat(Londres), 30 janvier 2014.

Militant de gauche de l´aile égyptienne juive et chef du Mouvement démocratique de libération nationale. Il a été expulsé d´Egypte en 1950 et plus tard, a aidé le Front de libération nationale algérien. Il a été assassiné à Paris en 1978.

Militant politique, membre du Parti communiste marocain, et adversaire du roi Hassan II du Maroc, il a lutté contre le colonialisme et a été emprisonné pendant 17 ans, avant d’être exilé du Maroc pendant huit années. Après la mort du roi Hassan II, suite aux changements politiques intervenus au Maroc et à la pression des organisations des Droits de l´Homme, Serfaty est retourné au Maroc en septembre 2000 grâce à un décret royal spécial. Il est mort en novembre 2010.

Journaliste des affaires du Moyen-Orient né à Beyrouth, il réside en France depuis 1969.

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