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Tunisie: la «banalisation» du suicide depuis l'immolation de Mohamed Bouazizi

Tunisie: la «banalisation» du suicide depuis l'immolation de Mohamed Bouazizi

 

 

Le taux de suicide en Tunisie est de 3,4 pour 100.000 habitants, selon le premier chiffre du genre publié en 2015. Pour autant, cette donnée est partielle et il convient donc de l’analyser avec prudence. Reste que les statistiques sont en augmentation… Notamment chez les jeunes.

La faute à la révolution et à la crise? Une chose est sûre : «Après le 14 janvier 2011, on a constaté une augmentation significative des décès par immolation qui ont suivi celui de Mohamed Bouazizi. C’est d’ailleurs ce que montrent les chiffres de l’hôpital des grands brûlés de Ben Arous (sud de Tunis)», répond la pédopsychiatre Fatma Charfi, présidente de la commission de prévention contre le suicide.
 
«Avec cette affaire, il y a eu un phénomène de banalisation» du suicide, poursuit le Dr Charfi. Une manifestation de l’effet Werther, du nom du héros du livre de Goethe, Les souffrances du jeune Werther. Mais au-delà, les spécialistes restent au niveau du questionnement. Surtout en l’absence d’une enquête nationale et d’un travail sociologique sur le phénomène.
 
Ça et là, il y a eu des vagues de médiatisation de suicides, notamment d’enfants et de jeunes adolescents. Comme à Kairouan (nord-ouest) en novembre 2014. L’affaire est apparemment partie du décès d’une enfant de 12 ans  dans une région rurale. Une émission de télévision lui a été spécialement consacrée. Près d’une dizaine de cas similaires ont suivi. «Pour autant, il y a déjà eu des affaires de ce genre dans un passé récent. Mais on en a moins parlé», constate la pédopsychiatre. Il n’y a donc pas eu forcément une hausse soudaine des cas de suicides chez les plus jeunes.
 
Hausse progressive des suicides
Justement, que disent les chiffres ? Selon la première statistique officielle du genre, on comptait 3,4 suicides pour 100.000 habitants en 2014, second facteur de mortalité en Tunisie. Mais loin d’une moyenne mondiale de 11 pour 100.000.«Il faut voir que cette statistique de 3,4 pour 100.000 est partielle : elle ne concerne que les deux tiers du pays», commente Fatima Charfi. Dans le même temps, les données révèlent pas moins une hausse progressive des suicides depuis une dizaine d’années et un rajeunissement de ceux qui passent à l’acte. 13% ont moins de 18 ans et 25% sont âgés de 20 à 29 ans.
 
Quelles causes peuvent alors expliquer cette situation? «Pour les jeunes, on peut mettre en avant la dépression, le mal-être et l’impulsivité des adolescents qui ont davantage tendance à passer à l’acte. Mais pour le reste, il faut parler de causes multifactorielles dans tous les milieux. Il y a évidemment des facteurs individuels comme la fragilité de la personne. Mais il y a aussi des éléments que nous appelons ‘‘environnementaux’’. Exemple : les familles à risques qui vivent dans des situations socio-économiques difficiles, avec des conflits, des violences… Il y a les problèmes de maltraitance, de violences sexuelles. Mais on peut aussi parler du manque de perspectives d’avenir, de l’échec scolaire, qui peut être un facteur précipitant», observe le Dr Charfi.

A l’hôpital psychiatrique Razi à Tunis, le seul du genre en Tunisie, on constate ainsi chaque année en mars un pic des cas après le bulletin scolaire du 2etrimestre…
 
D’où la difficulté d’établir une stratégie de prévention. «Ce qui est sûr, c’est que les pays riches qui ont mis en place de telles dispositions voient les chiffres de suicides baisser», explique la pédopsychiatre. D’où l’importance qu’elle attache à une telle stratégie pour son pays. Le ministre de la Santé, Saïd Aïdi, a annoncé son intention de s’engager dans cette voie. A n’en pas douter, le début d’un long et difficile travail…

Par Laurent Ribadeau Dumas (envoyé spécial à Tunis) 

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