Tunisie - La religion, symptôme ou antidote ?...
Le jusqu’au-boutisme, dans l’un et l’autre sens, est une déviation de l’essence première de la foi et de la manière de la pratiquer. Comme l’ont démontré de nombreux spécialistes en sociologie des religions, la religion constitue, en temps de crises, un refuge psychologique, une manière de se rassurer et de tenter de se préserver de changements pouvant porter atteinte à soi, à sa manière d’être et à sa survie. Cependant, la religion est devenue, en cette période charnière que vit la Tunisie, non pas une réponse, mais la source d’un questionnement quant à l’usage perverti que font certains de la foi. 28/05/2013 20:59
“La vérité est comme la religion: elle n'a que deux ennemis, le trop et le trop peu”, écrivait le britannique Samuel Butler
Plus d’une forme de jusqu’au-boutisme se greffent à la religion. Elles sont distinctes, mais suscitent souvent la confusion.
En effet, le fondamentalisme se définit comme étant exclusivement religieux. Il s'attache essentiellement au respect des “traditions religieuses”.
L'intégrisme, par opposition, revêt une volonté de modifier la société et l'État au gré des prescriptions religieuses et sort, par conséquent, du religieux pour interférer, d’une manière variablement violente, dans la politique.
Les approches sociologiques différencient entre les manières d’aborder le religieux. Des différentes manières d’aborder la religion, c’est l’approche fonctionnelle qui est utilisée en ce moment, dans ce sens où elle l’envisage à travers le prisme de l’utile, y puisant des réponses à divers domaines tels que le social, le politique, voire l’économique.
En Tunisie et sous un régime réfractaire aux “démonstrations religieuses débordantes”, la religion se vivait sur le plan personnel, rattachée à son sens premier, voire étymologique et se limitant ainsi à être un lien à Dieu (religion venant de religare signifiant « relier »).
Depuis l’avènement d’une ère nouvelle - qui s’est avérée être semblable, à divers égards, à l’ère d’avant la révolution-, la religion est sortie du domaine privé pour faire irruption dans le champ public et surtout politique. Cette mutation ne s’est pas faite d’une manière fortuite. Elle est signe précurseur d’une volonté de changement et d’une ambition de pouvoir, en instrumentalisant la crédulité de certains au profit des projets des autres.
« Toutes les dominations cherchent à éveiller et à entretenir la croyance en leur légitimité » Max Weber
La religion musulmane se définit par l’absence d’intermédiaire entre l’individu et Dieu. Or, les différentes formations religieuses nouvellement instaurées ont, en commun, le principe de chef suprême. Sans aucune volonté de stigmatisation, un nouveau profil de « religieux » se dresse. Tirant profit de la précarité économique de certains, l’instrumentalisation de la religion se fait selon un schéma bien défini. Tout comme s’organise une formation sectaire, dans le cercle religieux, il s’agit d’un rapport de domination exercé par un plus sage que soi, plus érudit en terme de connaissances théologiques ou alors plus éloquent.
L’argument majeur dans ce contexte est à la fois simple et complexe : Dieu.
Parler au nom de Dieu et dicter des dogmes en se basant sur le texte saint est un moyen aisé dont usent les forces naissantes du moment. « L'expérience religieuse répond aux insécurités, aux attentes psychologiques et à la recherche identitaire des populations qu'a entrainées (…) l'effritement des valeurs. », dit Jean-Guy Vaillancourt, sociologue canadien.
L’extrémisme religieux attire donc ses adeptes en leur proposant des réponses précises, soit à leurs attentes, soit à leurs exaspérations. Il se présente comme une alternative à un libéralisme qui a engendré des disparités sociales, à une évolution des mœurs présentée sous le mode de la perversion morale et à une politique privilégiant les privilégiés et laissant en marge une partie de la population en quête, désormais, d’assurance dans un quotidien autre. Réfractaires à une modernité présentée comme corruptrice, les extrémistes religieux endoctrinent des jeunes en quête de réponses pas seulement à leurs interrogations, mais également à leur mal-être.
En proie au chômage et au désœuvrement et à la pauvreté qui en découle, des jeunes optent pour la foi comme gage pouvant les extirper de leur oisiveté et leur donner l’illusion de pouvoir changer l’Autre et d'élaborer un changement sociopolitique capable de leur assurer un avenir différent.
« La religion sans la conscience morale n'est qu'un culte superstitieux », écrivait Emmanuel Kant.
Le pervertissement du religieux à des fins politiques (ambition du pouvoir), économiques (désir d’enrichissement), sociales (volonté de gommer l’identité première au profit d’une culture subalterne) est un écart par rapport aux valeurs premières de la religion.
Ceci s’explique quand on observe les cas de violences exercées au nom de Dieu, dans le cadre de pratiques telles que le jihad et les fatwa légitimant la violence et fonctionnant, dans des cas extrêmes, comme des permission de tuer …
Quand on en arrive à ôter la vie à son semblable et à justifier cela au moyen d’arguments rattachés au sacré (Dieu, Prophète, texte saint…), il devient plus aisé de mesurer l’ampleur du désastre et l’absence de morale réelle (qu’on aura échangée par un simulacre).
Cet accès à la violence voire au crime justifié est le résultat d’un conditionnement spirituel et d’un endoctrinement, au moyen de syllogismes notamment, et de raccourcis proposés comme étant des vérités incontestables, comme dire par exemple : les progressistes sont mécréants, il faut achever les mécréants donc il faut achever les progressistes ou alors la Tunisie est terre de jihad, on peut porter les armes face à la police en cas de jihad, donc on peut porter les armes face aux forces de l’ordre en Tunisie.
« La religion peut être le lieu de ce qu'il y a de meilleur en l'être humain, mais aussi de ce qu'il y a de pire, qu'il s'agisse de violence d'extrême droite ou d'extrême gauche», disait le socialiste canadien Vaillancourt.
Ceci nous renvoie directement à l’association quasi néologique du président Moncef Marzouki qui évoquait « les laïques extrémistes » car la laïcité est devenue, dans le cadre d’une bataille idéologique, un moyen de fustiger ceux qui y croient et qui la prônent.
Cependant sans rattacher cela à la laïcité qui souffre en Tunisie, depuis la révolution, de moult manipulations sémantiques, il est important de signaler, dans un souci d’équité, les dérives du camp adverse, c’est à dire de ceux qui poussent la lutte contre l’extrémisme à un paroxysme « gênant ».
La présence controversée de l’association Femen en Tunisie en est l’expression flagrante. Défier les normes sociales et les dogmes religieux en se dénudant (partiellement) est une manière d’aller vers les extrêmes en matière d’expression faisant du corps un outil de langage voire de refus de langage.
Aux antipodes de cette manière de penser, se situe la présence controversée des niqabées au sein des institutions publiques et universitaires. Car défier les normes sociales (socioculturelles essentiellement) en se couvrant entièrement est aussi une manière d’aller vers les extrêmes en matière d’expression faisant du corps un outil de langage voire de refus de langage.
Nous assistons donc en Tunisie et bien ailleurs à une lutte idéologique ayant la religion comme moyen et la politique comme cible. Instrumentalisant la foi des uns et abusant de la crédulité des autres, ses ravages se constatent quotidiennement et se répercutent à différentes échelles, notamment économiques. Car comme le relevait Emile Durkheim, « la religion n'est pas seulement un système d'idées, elle est, avant tout, un système de forces ».
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