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Tunisie - La rhétorique antisémite imprègne le quotidien, par Gerard Fredj

Tunisie - La rhétorique antisémite imprègne le quotidien
 

par Gerard Fredj
 

 

Dans la vague qui a suivi le printemps arabe, le parti Ennahda, une branche des Frères musulmans, a été portée au pouvoir en Tunisie.

Avec plus de 40 % de votes aux élections législatives, Ennahda administre désormais le pays et fait mine de s'inquiéter d'une flambée de manifestations antisémites que l'on retrouve conduites par des personnalités du monde religieux.

Sous le régime de l'ancien Président Ben Ali, la Tunisie était considérée comme un pays "occidentalisé", avec des positions considérées comme "libérales" dans des domaines comme l'éducation, le droit des femmes ou la tolérance religieuse.

Son attitude à l'égard des juifs était notamment tolérante… tant que ceux-ci reconnaissaient la prééminence de l'Islam, des juifs qui par ailleurs jouaient un rôle très actif dans l'économie du pays et son développement.

Jusque dans un passé pas si lointain, les juifs étaient considérés comme des "Dhimmis", des citoyens de seconde zone, tolérés, devant s'acquitter de taxes spécifiques et portant des signes distinctifs signalant leur appartenance religieuse.
Ce n'était pas une étoile jaune mais ca y ressemblait. 
L'interdiction de posséder des biens immobiliers, d'accéder à certaines professions, les attaques dont ils étaient l'objet rappelle, avant l'heure la situation des juifs sous leur "premier statut" édicté par Vichy.

Après l'indépendance de la Tunisie, en 1957, si l'on ne peut absolument pas qualifier le premier Président, Habib Bourguiba de pratiquer l'antisémitisme d'état, celui-ci n'a rien pour stopper, sur "le terrain", les attaques dont étaient victimes les juifs, au quotidien.
Dans ses Mémoires, Albert Memmi note que la police arrivait toujours après que la "foule ait fini de piller et d'incendier".

La guerre des Six jours vit une vague sans précédent d'attaques contre les juifs, avec notamment l'attaque de la grande synagogue de Tunis – dont les sefer Torah furent brûlés.
C'est à cette époque que s'enclencha le départ de la majorité des juifs tunisiens : avec une population estimée à 100 000 âmes en 1948, la communauté juive compte aujourd'hui 2000 membres, principalement installés à Djerba.

La période récente a, à nouveau, vu se développer de virulentes attaques contre les derniers juifs de Tunisie, notamment de leaders islamistes radicaux, sans provoquer de réaction notable des autorités.
Durant la visite du Premier ministre de Gaza, Ismail Hanyeh, la foule a scandé "mort aux juifs" à l'aéroport et dans les manifestations organisées pour accueillir le leader du Hamas.

Nous rapportions dans notre édition du 23 décembre le prêche d'un imam dans sa mosquée de Rades – sud de Tunis -, Sheikh Ahmed al-Suhayli, accusant les juifs de répandre la corruption sur la planète, et appelant à "stériliser les femmes juives".

Son sermon, délivré le 30 novembre, a largement été repris sur Internet et sur la chaine Hannibal TV, une chaine populaire.
Des condamnations ont été affichées par les organisations de défense des Droits de l'Homme, mais aucun commentaire, aucune condamnation n'a été entendue de la part du gouvernement ou d'officiels tunisiens.

Selon le quotidien londonien Al-Quos al-Arabi qui rapportait ce prêche, depuis la chute de Ben Ali, les attaques contre les juifs se sont multipliées.
Et de rappeler qu'en février 2012, les islamistes rassemblés pour accueillir l'iman égyptien Wagdi Ghanaim chantaient "mort aux juifs".

Un mois plus tard, en mars, un sheikh salafiste appelait les jeunes tunisiens à "se former pour tuer les juifs".

Et en novembre dernier, 4 libyens et un policier tunisien étaient arrêtés alors qu'ils planifiaient l'enlèvement d'un jeune juif tunisien.

Les Salafistes tunisiens, portés par les succès des frères musulmans dans le monde arabe et notamment aux élections législatives tunisiennes, mettent la pression à travers le pays, et se heurtent partout aux forces libérales de la société, pour imposer l'adoption de la Charia.
L'antisémitisme virulent est une partie intégrante de leur action doctrinale.

Rashed Ghannouchi, le leader d'Ennahada, a exprimé à plusieurs reprises son désir de parvenir à un "modus vivendi" avec les salafistes, sans condamner leurs appels antisémites- le même Ghannouchi n'était d'ailleurs pas en reste quant aux déclarations antisémites dans le passé.
Israël est aussi sur tous les agendas politiques tunisiens depuis que, dans le premier projet de constitution, figurait une clause "criminalisant toute normalisation " avec l'état juif.

Une formulation épinglée par les organisations de Défense des Droits de l'Homme, notamment Human Right Watch.
On ne sait toujours pas si cet article figurera ou pas dans la rédaction définitive de la constitution tunisienne.

De sources fiables, l'aile radicale d'Ennahda aurait bloqué la nomination d'une personnalité juive au poste de ministère du tourisme. Il serait agi pour les "modérés" du gouvernement, notamment le Premier ministre Hamadi Jabali, de démontrer que la Tunisie n'était pas antisémite; celui-ci aurait poussé la désignation de Rene Trabelsi, Président de la communauté juive de Djerba et agent de voyages, à ce portefeuille ministériel.

Pourtant, pour les extrémistes musulmans, mais aussi pour les salafistes, il parait acquis – comme en Egypte – qu'un gouvernement dirigé par les frères ne sanctionnera pas l'antisémitisme.

Ce serait, pour eux, qui voient l'antijudaïsme comme une valeur du Coran, le principal acquis du printemps arabe.
(Photo : un drapeau israélien sert de paillasson dans les toilettes de l'aéroport de Carthage- Tunis;une photo envoyée par un de nos lecteurs en déplacement en Tunisie)

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