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Tunisie : les progressistes ouvrent-ils la voie aux islamistes ?

 

Tunisie : les progressistes ouvrent-ils la voie aux islamistes ?

Par Thierry Brésillon 

 

 

« Non à la régression ! », « Le peuple veut les élections ! », « Le peuple veut un régime démocratique » ont scandé quelque 2 000 manifestants qui ont défilé dans le centre de Tunis jeudi 21 juillet à l'appel d'une dizaine de partis politiques, réunis pour la plupart au sein du Pôle démocrate moderniste.

Cette marche contre la violence se voulait une réponse à la tentative, le 15 juillet, de relancer le sit-in devant le siège du Premier ministre à la Kasbah, et surtout aux événements violents qui ont suivi.

Dans une allocution prononcée lundi, le premier ministre Béji Caid Essebsi, avait dénoncé, sans les nommer, les manœuvres de partis extrémistes cherchant à déstabiliser le pays par des actions illégales pour saboter le processus électoral, de crainte que les élections « ne révèlent leur véritable poids sur la scène politique ». L'allusion aux islamistes en particulier était limpide. Une vision partagée par les organisations à l'origine de cette marche.

Avec 2 000 manifestants, remontant l'une des rues principales du centre de Tunis (l'avenue de la Liberté), mobilisés en 48 heures, avant l'heure de sortie des bureaux (14 heures) par un jour de canicule, sans être un franc succès, la manifestation a atteint son objectif, estiment ses organisateurs. Mais quels objectifs cette démonstration a-t-elle atteint ?

Unité contre En'Nahdha

D'abord de réaliser une double première : mettre dans la rue et côté à côte les leaders des principaux partis non-islamistes.

Ahmed Ibrahim d'Ettajdid (le « renouveau », centre gauche), Mustapha Ben Jaafar du Forum démocratique pour le travail et les libertés (centre gauche), Ahmed Nejib Chebbi du PDP (Parti démocrate progressiste, centre droit), pour les poids lourds de scène politique. Ainsi que Yassine Brahim pour Afek Tounes, (Horizon Tunisie, libéral) ou Abdejeli Bedoui du Parti du travail tunisien (social-démocrate), pour des partis créées après le 14 janvier.

Ensuite, elle montre que la ligne de clivage entre opposants et partisans de l'ancien régime n'est plus la seule à structurer le paysage politique de l'après-14 Janvier.

Certains membres de ce front « progressiste » étaient plutôt bien intégrés dans le système économique de l'époque Ben Ali, alors qu'en était absent un opposant de longue date, Moncef Marzouki du CPR (Congrès pour la république, centre droit), qui vient de créer une coalition de six partis avec En'Nahdha.

Le parti islamiste a d'ailleurs semé le trouble en laissant entendre qu'il pourrait participer à la marche dans la mesure où il déclare partager ses préoccupations : la bonne tenue des élections du 23 octobre et le refus de la violence. Le Pôle démocrate moderniste lui a clairement signifié qu'il était hors de question qu'il soit admis dans le cortège.

Ligne de clivage

Un autre résultat de la marche est donc commencer à dessiner le paysage politique post-révolutionnaire et il est clair que l'intégration d'En'Nahdha dans le jeu politique sera une ligne de clivage structurante.

Le parti de Rached Ghannouchi met tout en œuvre pour apparaître comme un élément central du jeu politique. Dans la conférence de presse qu'il a donnée mardi, le leader islamiste a démenti que sa formation soit à l'origine de sit-in de la Kasbah, a condamné les violences et redit son attachement à la tenue des élections le 23 octobre, pour lesquels les sondages semblent lui promettre une avance confortable.

Ce positionnement consensuel et légaliste exaspère les représentants du Pôle démocrate progressiste qui dénoncent un double discours. Ils soulignent qu'En'Nahdha est sorti de l'Instance supérieure pour la réalisation des objectifs de la révolution afin de signifier son opposition à l'élaboration d'une nouvelle loi sur les partis politiques, au motif que l'instance provisoire n'a pas la légitimité suffisante pour légiférer.

Mais ce serait surtout les dispositions sur le financement des partis, interdisant en particulier les financements étrangers, qui indisposeraient une formation hier clandestine et disposant à l'évidence aujourd'hui de moyens considérables.

Au sein du cortège, au-delà des violences du week-end précédent, c'est l'influence grandissante de la mouvance islamiste radicale sur la société qui est dénoncée. Les pages Facebook dirigées contre les démocrates dénoncés comme « des valets de l'Occident », les bars, les femmes en maillots de bain sur les plages sur les plages d'Hammamet pris à partie par des salafistes… Signes d'une radicalisation qu'En'Nhadha est accusée d'entretenir en sous-main.

Un boulevard pour En'Nahdha

Cette stratégie d'exclusion d'un parti islamiste, de loin le parti politique le plus connu des Tunisiens, qui affiche une volonté de recentrage (crédible ou non, c'est un autre débat) sera-t-elle payante ?

La centralité de la question de la place de l'islam dans l'espace social et politique surplombe les autres enjeux, notamment la nécessité de déraciner les bases du régime de Ben Ali et les enjeux socio-économiques. La question n'est pas négligeable pour l'avenir de la Tunisie, mais correspond-elle aux attentes d'une population essentiellement préoccupée par le retour à l'ordre et par des améliorations économiques et sociales substantielles ?

L'origine des troubles est incertaine, mais elle n'est pas sans rapport avec une exaspération réelle à l'encontre d'un Premier ministre jugé hautain, d'une administration inchangée, d'une police toujours prompte aux coups de matraques, d'une justice lente à condamner les profiteurs de l'ancien régime et d'une classe politique déjà accaparée par les tactiques de conquête du pouvoir.

Les partis qui ont défilé jeudi estiment que le temps de la rupture est terminé et qu'il est possible à présent de manifester dans un cadre légal. En jouant ainsi la carte du légalisme, ne risquent-ils pas de laisser le champ de la protestation aux extrêmes, et notamment à En'Nahdha qui, tout en condamnant la violence, dit partager les motivations des protestataires ?

Les démocrates modernistes ont occupé l'avenue de la liberté, mais s'ils ne prennent pas en charge rapidement les préoccupations populaires, il n'est pas impossible qu'ils ouvrent un boulevard au parti islamiste.

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