Share |

Tunisie : l'offensive des fondamentalistes à l'université

Des femmes fondamentalistes brandissent leur coran lors d'une manifestation, mercredi, à l'université de la Manouba près de Tunis.© Amine Landoulsi / AP

 

Tunisie : l'offensive des fondamentalistes à l'université

 

Face aux revendications des extrémistes musulmans, une grève générale a été observée dans les universités tunisiennes le 1er décembre.

 

"Nous sommes libres de porter ce que nous voulons. Nous voyons notre liberté dans le niqab !" Dans l'enceinte de la faculté des lettres du gouvernorat de la Manouba, Sana, dont seules les pupilles noires sont visibles, brandit une pancarte "my niqab = my freedom" ("mon niqab = ma liberté", en français). Avec une petite centaine d'autres jeunes, cette étudiante en première année d'anglais appliqué manifeste, jeudi 1er décembre, devant l'administration de l'université pour l'instauration d'une salle de prière et le droit pour les femmes portant le voile islamique intégral d'assister aux cours et aux examens.

Depuis le début de la semaine, cours et examens ont été suspendus dans cette faculté située à 25 kilomètres de Tunis. Lundi 28 novembre, un groupe d'extrémistes a pris possession du bâtiment de la direction et organisé un sit-in. Certains appartiennent à l'université, d'autres non, à l'image de Salman Elzigui, étudiant en théologie à l'université Zitouna, toujours présent, alors que l'accès à la faculté est interdit à tout étudiant non inscrit depuis mercredi soir. Des évènements qui ont poussé le corps universitaire tunisien à lancer une grève générale ce jeudi 1er décembre.

"Bataille civilisationnelle"

Barbe, qamis (tunique) et calotte sur la tête, ce jeune homme à la voix posée est arrivé sur les lieux dès qu'il a "su que l'administration avait empêché une étudiante de passer un examen à cause de sa tenue vestimentaire". "L'université doit engager des femmes qui s'occuperaient de vérifier les identités", défend Rania, 22 ans, le visage cerclé de rose et les mains gantées. Et les tricheries ? "Une femme pourrait passer dans les rangs pour vérifier si les étudiantes n'ont pas d'écouteurs ou si des documents ne sont pas camouflés sous leurs vêtements", soutient une étudiante en droit qui souhaite garder l'anonymat.

Derrière elle, Raja Ben Slama, maître de conférences et écrivaine, est prise à partie par une jeune femme dont on ne distingue pas les traits. La professeur refuse d'entamer la conversation : "Le niqab est déshumanisant. Je suis Tunisienne et cela m'angoisse beaucoup d'essayer de parler à des gens dont on ne voit pas le visage." "On ne peut pas accepter cela dans ce pays qui a tant fait avancer la cause des femmes grâce au Code du statut personnel [instauré en 1956 par Habib Bourguiba, NDLR]", renchérit Habib Melak, enseignant au département de français et ancien responsable syndical estimant mener "une bataille civilisationnelle".

"Dégage !" versus "Allah Akbar"

Debout, sur le portail fermé de la faculté, un étudiant brandit un coran. De l'autre côté, certains appartenant à l'UGET, syndicat des étudiants, commencent à grimper sur les grilles vertes. Les deux camps s'affrontent à coups de slogan. "Dégage !" versus "Allah Akbar". Les yeux rougis, Safa, étudiante, observe, désarmée, la scène. "Je suis venue, parce que je ne pouvais pas croire ce que je voyais à la télé. Je suis confuse. Cela me fait mal de voir ma religion aussi mal représentée. Nous sommes devenus des clans", regrette la jeune femme, voilée également, qui ne sait que penser de la situation et n'arrive pas à prendre parti.

Au début du mois d'octobre, une minorité d'étudiants ont demandé l'accès aux cours à quatre ou cinq étudiantes vêtues du voile islamique. "Le règlement intérieur interdit le niqab pour des raisons sécuritaires et pédagogiques", précise Habib Melak. Le port du niqab est un phénomène nouveau en Tunisie. Depuis la chute de Ben Ali, qui avait maté les extrémistes, des faits similaires ont été recensés dans plusieurs facultés du pays. À Sousse, des salafistes ont envahi la faculté des lettres. À Gabès, dans le sud du pays, des étudiants ont tenté d'imposer la non-mixité à la cantine de l'université. "Ils nous traitent d'athées, disent que nous sommes vulgaires. On veut qu'ils dégagent. Si ces filles accèdent aux salles de cours, bientôt, on sera obligées de faire pareil", lance Amira qui regrette "presque" le système de Ben Ali. "On doit se défendre tous seuls. Ni l'armée, ni la police n'interviennent", note Nadia, à ses côtés. Avec Chaïma et Rima, une pancarte où on peut lire "Respecte ma prière, respecte ma bière, respecte mon voile, respecte ce que je dévoile", elles se dirigent ensemble vers l'Assemblée constituante où se déroule une manifestation du corps universitaire.

"Non à l'extrémisme"

"Nous sommes agressés. Nous devons protéger l'université et le système éducatif tunisien", soutient Rym Rekika, enseignante en stylisme et dessin de la mode à la faculté de Monastir. Présente devant les grilles vertes du palais beylical où se tient l'Assemblée constituante, élue le 23 octobre, elle est venue dire "non à l'extrémisme", comme des milliers d'autres professeurs, étudiants et membres de la société civile, à l'instar de Yadh Ben Achour, juriste, spécialiste des idées politiques de l'islam et président de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution. "L'Assemblée a les prérogatives pour régler cette affaire, estime Slim, professeur à la faculté de lettres du 9 Avril, à Tunis. On veut un État dans lequel on respecte la loi plus qu'autre chose." "Qui ne dit mot consent", peut-on lire sur une pancarte. Pendant des jours, le silence assourdissant de la classe politique sur le sujet a pesé. Mercredi, Samir Dilou, membre exécutif d'Ennahda, a botté en touche lors d'une intervention sur Watanya 1, la chaîne de télévision étatique, déclarant que le "niqab mérite un débat national". "Il y a d'autres priorités que d'instaurer un débat national sur la question du niqab, réfute Rym Rekika. Cela ne doit pas faire l'objet d'un programme politique. On s'attendait à tout, sauf à ça, en faisant la révolution."   

Publier un nouveau commentaire

CAPTCHA
Cette question permet de s'assurer que vous êtes un utilisateur humain et non un logiciel automatisé de pollupostage.
3 + 16 =
Résolvez cette équation mathématique simple et entrez le résultat. Ex.: pour 1+3, entrez 4.

Contenu Correspondant