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Tunisie, mon amour

 

Tunisie, mon amour

 

Par EMMANUELLE CHIRON

 

Engagé, il a été emprisonné pour ses idées, le réalisateur n'a jamais cessé de lutter pour la liberté.

Après une lutte « qui a duré une décennie » confie Nouri Bouzid, les cinéastes et producteurs ont obtenu que les films soient subventionnés par le ministère de la Culture. 

«On sort du rêve. » Nouri Bouzid, réalisateur qui pique l'opinion tunisienne depuis qu'il est armé d'une caméra, revient sur une année difficile. Après l'avoir rêvée pendant des années, la Révolution tunisienne, venue de la rue, l'a emballé, transporté avant de le menacer. Réalisateur de « L'Homme de cendres », Nouri Bouzid n'a jamais reculé devant la censure. Sa chance ? Ses films ont séduit l'œil des commissions de festival comme Cannes. Une aura naît autour de ce réalisateur qui ne garde ni son œil acéré ni sa langue dans sa poche. Ces films sortent, percutent et ouvrent au monde ce cinéma tunisien censuré sur ses propres terres. « Je me souviens, "Making of" (2006) a mis un an avant de sortir en Tunisie, il a été piraté en DVD et fait le tour du pays ! »

Un cinéaste « prophète »

Le film traite d'un jeune chômeur, amateur de danse, qui se laisse entraîner dans la folie islamiste. « On l'a interdit en disant que le terrorisme n'existait pas dans le pays. J'ai répondu que c'était de la fiction, de l'anticipation sur ce qui pourrait arriver. N'oublions pas l'attentat contre la synagogue de Ghriba à Djerba (en 2002, il avait fait 21 morts, dont 14 Allemands). »

Après la sortie du film, le ministère de la Culture a harcelé le cinéaste. « Ils voulaient savoir si j'étais au courant, mais au courant de quoi ? » Comme dans son film, le terroriste de Djerba était un danseur. « Je ne savais pas, je leur ai envoyé dans la gueule que tout cinéaste était prophète en son pays ! » Ces événements ont poussé le public tunisien à voir le film. « Les gens voulaient voir comment on peut endoctriner un danseur. »

La lutte n'a jamais quitté les acteurs culturels du pays. Cinéaste ou metteur en scène, nombreux ont été révolutionnaires dans leurs productions. « La révolution, on la fait depuis trente ans à travers nos œuvres et dans notre quotidien. En janvier, on s'est enfin senti rejoints par la masse. Mais ça ne changera pas notre façon de faire du cinéma. »

Nouri Bouzid livre encore et toujours un cinéma sans fard. « Je veux continuer de profiter de l'absolution que donne la fiction pour dire ce que j'ai envie de dire. » Mais, avec des convictions fortement ancrées à gauche et laïques, le réalisateur dérange. De 1973 à 1979, il a connu les geôles où il a été emprisonné pour délit d'opinion. Il est ressorti la langue toujours déliée. « Je ne peux admettre un régime ou un État islamiste, quelle que soit sa modération », affirme-t-il. Sauf que, les derniers événements de cette année l'ont ébranlé.

En avril, alors qu'il discute sur le campus d'une université tunisienne avec de jeunes cinéastes et d'autres professeurs des suites de la Révolution de Jasmin, il reçoit un violent coup sur la tête. Nouri Bouzid se souvient : « Je discutais de politique, de comment on peut déformer le Coran pour commander au désir de dictature. Et j'ai reçu le coup. Je portais un chapeau, ça a amorti, mais je saignais. » Son agresseur, un barbu selon les témoins, s'est enfui.

Peu de temps après, Nouri Bouzid apprend qu'en février un rappeur, Psyco-M, a chanté lors d'un concert du parti intégriste Ennahdha cette phrase glaçante : « Vider ma kalachnikov sur le réalisateur de "Making of" ». Il a porté plainte. Elle est restée dans les tiroirs.

Des partis éparpillés

Malgré ces épisodes pénibles, le cinéaste continue d'analyser la situation de son pays. Sept mois après la chute du dictateur Ben Ali, un sentiment d'inquiétude ne le quitte pas. « La révolution a révélé qu'il existe une misère profonde qu'on ne soupçonnait pas. Un fort chômage alors que les actualités montraient le contraire. »

Mais l'homme croit en la force laïque, « supérieure en nombre à celle des intégristes. Seulement elle est éparpillée dans plusieurs partis. Pour les élections du 23 octobre, on compte six ou sept grands partis qui sortent du lot, parmi lesquels un seul intégriste. Les autres sont laïques. »

Des élections démocratiques, une première qui s'annonce difficile. La population hésite à s'inscrire sur les listes par méconnaissance des partis en lice. « Au lendemain du 23 octobre, on découvrira soit un paradis avec un exemple d'un premier pays arabe gouverné par un pouvoir laïque, soit l'enfer, voire une guerre civile… »

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