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Tunisie. Ramadan ordinaire à Tunis, sous 35° à l’ombre

 

Tunisie. Ramadan ordinaire à Tunis, sous 35° à l’ombre

 

Les magasins affichent les soldes d’été. Les souks regorgent d’aliments frais, mais les prix flambent. Les «fattaras» dans leur cachette et les jeûneurs tournent en rond. Jour de Ramadan à Tunis… Reportage de Zohra Abid

Comment va le portefeuille du Tunisien alors qu’il veut se servir de tout? Pour le moment, ça peut aller. Il vient de toucher son salaire et il a de quoi gâter son ventre et se payer des extras. Car Ramadan est aussi le mois de toutes les envies, y compris les achats compulsifs. Ensuite «iffarrajha rabbi» (Dieu nous délivrera). Une balade, un jour de Ramadan, même sous un soleil de plomb, en vaut la peine.

Tout se vend, tout s’achète...
Tunis, le 3 août, est aussi le 3e jour de Ramadan? Pas du tout évident de jeûner lorsque la température dépasse la barre de 35° à l’ombre. Il faut vraiment le faire! «Lorsqu’on est croyant, l’endurance est dans le texte. Puis ce n’est qu’un petit mois dans l’année», raconte une trentenaire. Elle se promène au cœur de l’avenue Bourguiba. Au bout de son bras, son petit d’à peine quatre ans. Elle est venue de Hammam-Lif par train pour faire les courses de l’Aïd (déjà!). «On a tout raflé et j’ai du mal à trouver la taille du petit. Les gens ont acheté les habits de l’Aïd un peu plus tôt que d’habitude. Je les comprends. Pour le sacré Aïd, il faut vraiment se préparer. Sinon, ils vont se laisser aller avec les faux-frais de Ramadan et se trouver au final les poches vides», ajoute-elle. La jeune maman change de voie et se dirige au quai d’en face. Elle achète un petit jouet Made in China à son petit, des verres en faux cristal et un collier en fil noir avec un pendentif aux couleurs de la Libye rebelle et s’en va.

Sur les trottoirs, tous les trottoirs à droite et à gauche, des tréteaux pleins d’articles de tout genre, d’autres produits (tabac de marque américaine, parfum de renom et des fausses étiquettes importées de l’Algérie voisine...) à même le sol, se vendent à ciel ouvert, au vu et au su de tout le monde; et vive le marché parallèle!
Les piétons ont du mal à trouver un pavé pour passer mais composent tout de même avec la situation dans le pays. Ils commencent à s’habituer au paysage d’anarchie... Eux aussi, ils grignotent un peu de la chaussée. Ce qui rend la circulation impossible. Dans tous les coins et recoins, des vendeurs à la criée, et partout des klaxons. Mais là c’est une autre rengaine.

«Hchichet romdhan»
Tout le monde semble sur ses nerfs et prêts à se quereller pour un oui ou pour un non. Deux jeunes, en débardeur, le bras tatoué, le torse en tablette de chocolat, se lancent un chapelet de gros mots. Ils se chamaillent en fait pour... un rien. La colère monte d’un cran et ça a failli tourner en rixe. Des passants sont vite intervenus pour calmer les esprits. A tout cela, le Tunisien trouve une explication. On met tout sur le dos de Ramadan et on l’appelle chez nous: «hchichet romdhan» (la nervosité de Ramadan).
Devant la Cathédrale de Tunis, tiens, voilà une caravane de touristes qui marche au ralenti sous un soleil brûlant. Ça fait très longtemps que Tunis n’a pas vu de caravane pareille traverser ses rues. Malgré la campagne de pub, l’année touristique semble un fiasco. Une touriste traîne avec elle son enfant de huit ou dix ans. Elle profite de son passage au pays du Jasmin pour prendre en photos quelques souvenirs: un clic sur l’église et plusieurs autres sur la place. La statue d’Ibn Khaldoun quadrillée de voitures de l’armée et encerclée de fils de fer barbelé et d’une armada de soldats ne l’a pas laissée indifférente. Son fils vient de terminer la dernière gorgée d’eau de sa bouteille et il a apparemment très soif.

Les pâtisseries offrent mille et une gourmandises et les gâteaux traditionnels sont bien mis en lumières. Devant chaque pâtisserie, il y a une file d’attente. «Il faut que je me dépêche sinon je vais laisser tomber. Mon patron risque de revenir au bureau plus tôt que d’habitude et là, ça va être la fête, ma fête !», parle presque toute seule une jeune fille bien moulée dans son bermuda et haut échancré. L’homme qui la précède lui cède sa place... gentiment. Elle le remercie à sa manière avant de tourner le talon.
13 heures, il fait de plus en plus chaud.

Les «fattara» dans leur cachette
Tunis se remplit de plus en plus. Les gens n’en peuvent plus, leur langue colle, ils cherchent l’ombre d’un mur, d’un arbre pour se protéger du soleil. En pleine avenue, une mendiante a déjà squatté une place ombragée. Il n’y a pas un café dans le coin? La majorité ferme le jour et ouvre la nuit, et c’est la fête à la crêpe, à la glace et au narguilé.
C’est toujours ainsi au mois de Ramadan de Tunis. Parasols en berne, chaises et tables pliées, portes fermées en attendant la vie revenir une petite heure après la rupture du jeûne. Quelques Européens de passage ont bien pris des couleurs de la Tunisie. Ils semblent ne plus pouvoir tenir. Dans les parages, aucun bistrot pour se reposer et commander un soda ou autre boisson. Pas le choix, ils s’adossent à un mur; ou s’assoient un instant, comme des clodos, au seuil d’une boutique avant de reprendre, chancelant, leur chemin, vers les souks.

Pourtant, pas très loin, il y a des coins pour les «fattara» (ceux qui ne jeûnent pas). Mais, il faut être un habitué. Car, les stores sont baissés et rien n’indique qu’il y a de la vie à l’intérieur. Les clients pénètrent discrètement dans leur cachette pour fumer une clope, prendre à la va-vite un café ou une boisson. Puis pudeur oblige, sortent rapidos, la forme retrouvée.

 

14 heures et quelques, les administrations semblent fermer avant l’heure. Les rues se remplissent encore et encore. Tout le monde veut rentrer à la maison. Pas tous. Plusieurs préfèrent encore rôder dans les marchés pour tuer le temps et s’acheter n’importe quoi. N’importe quoi leur coûte les yeux de la tête. Pas la peine de rappeler les prix du jour. Tout monte vertigineusement. Les prix des poissons, les volailles, les légumes, les fruits, sans oublier les sorties et les festivités de la nuit. Tout a un prix. «Tout coûte cher sauf le citoyen qui ne coûte plus rien», dit un adage de chez nous. Pas grave, le Tunisien sait comment s’en sortir : une avance sur son salaire du mois prochain et il aura de quoi continuer le mois. Comme toujours... Son salaire est consommé d’avance et il est condamné à être toujours endetté.

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