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Une bataille contre l’obscurité Par Sandra Ores

Plage de Tel-Aviv, 14h ?

 

Une bataille contre l’obscurité (info # 010210/12) [Analyse]

Par Sandra Ores ©MetulaNews Agency

 

Paris, dernier week-end du mois de septembre ; samedi, 17h30, il fait quinze degrés et encore grand jour ; heure de pointe sur les terrasses des cafés où les titis, emmitouflés dans leur veste de saison, s’entassent afin de dire adieu comme il se doit aux derniers rayons de soleil de la saison des beaux jours.

 

A la même heure, à 4000 kilomètres de là en direction de l’Orient, le long des côtes méditerranéennes d’Israël, il fait déjà presque nuit, et les baigneuses en bikini ont dû replier leurs serviettes ensablées.

 

Dommage : il a fait trente degrés toute la journée, et observer passivement le soleil se faire avaler par la mer, à une heure si précoce, recèle quelque chose de frustrant.

 

C’est qu’en Terre Sainte, dans cette atmosphère agréable de fin d’été, les citoyens vivent déjà à l’ "heure d’hiver", et ce, depuis le 23 septembre.

 

Chaque année, un grand nombre de pays du monde, à la belle saison, adopte l’ "heure d’été" ; les Etats ajoutent une heure à l’heure légale (définie à l’aide d’un décalage fixe, selon le fuseau horaire, par rapport au Temps Universel Coordonné - UTC) afin de réaliser des économies d’énergie, en faisant correspondre au mieux les heures d’ensoleillement et les horaires d’activité de la population.

 

Pendant la Première Guerre mondiale, les Allemands et les Anglais furent les premiers à adopter la politique du changement d’heure. Au cours des années 80, la plupart des pays européens firent de même.

 

Depuis 2002, le changement d’heure est défini de manière homogène dans toute l’Union Européenne. La Commission européenne fixe les dates de début et de fin de la période de l’heure d’été : du dernier dimanche de mars au dernier dimanche d’octobre. Cette année, le passage à l’heure d’hiver aura lieu le 28 octobre.

 

Le changement d’heure se déroule donc plus d’un mois en avance pour les Israéliens relativement aux Européens. Pourquoi une telle excentricité ?

 

Parce qu’à Sion, sous l’influence des partis politiques religieux, le gouvernement a décidé de revenir à l’heure d’hiver avant la célébration de la fête de Kippour.

 

A Kippour, le jour le plus saint du calendrier hébraïque, les Juifs ont pour commandement de jeûner afin de demander le pardon à Dieu pour les pêchés qu’ils ont commis à son encontre et aux dépens des autres hommes au cours de l’année écoulée. Le jeûne dure vingt-cinq heures ; de la veille au soir à la tombée de la nuit.

 

A en croire les représentants des partis religieux ultra-orthodoxes, les pendules doivent revenir à l’heure d’hiver avant la fête, car, autrement, il est plus difficile de respecter le jeûne [selon l’heure d’été, on aurait plus d’heures de veille à jeûner. Ndlr.].

 

Depuis 2005, une loi, votée à la Knesset, dicte les limites de la période de l’heure estivale : du dernier vendredi avant le 2 avril, jusqu’au dimanche précédant le jour de Kippour.

 

Avant 2005, les dates de début et de fin de la période de l’heure d’été étaient établies par le ministre de l’Intérieur, avec l’approbation d’un comité parlementaire pour les affaires intérieures. La seule contrainte dictait que ladite période devait durer au moins 150 jours.

 

De manière pour le moins surprenante, et en dépit de l’importance toute relative du sujet en question, chaque année, dans l’enceinte de la Knesset, cette prise de décision entraînait des débats aussi passionnés qu’interminables.

 

Certaines années, quand les parlementaires ne parvenaient à se mettre d’accord qu’à la toute dernière minute, le trafic aérien international à l’Aéroport Ben Gourion s’en voyait perturbé.

 

En septembre 1999, l’imprédictibilité de l’horloge israélienne eut des conséquences tragicomiques, mais bénéfiques, sur le conflit israélo-palestinien. Le changement d’heure et ses complexités d’alors avait semé la confusion dans l’esprit de terroristes palestiniens ; les bombes qu’ils transportaient avaient en effet explosé durant leur transport, soixante minutes avant l’heure que les trois hommes malintentionnés avaient prévue ; ils y laissèrent la vie.

 

Depuis 2005, si les débats ont cessé au parlement, la polémique s’est dès lors déplacée sur la place publique. Le passage prématuré à l’horloge hivernale mécontente en effet la majorité des Israéliens, laïcs, qui accueillent la diminution artificielle de leurs heures de lumière avec un sentiment très négatif ; une émotion relayée par les media.

 

Devant ces plaintes annuelles récurrentes, le ministre de l’Intérieur, Eli Yishaï (du Shass, parti religieux séfarade antisioniste), a mandaté, en juin 2011, un comité ministériel pour réexaminer le problème. Ses membres ont promulgué des recommandations visant à prolonger la durée de l’heure d’été ; toutefois, elles n’ont pas été suivies d’effet.

 

Le député du parti de gauche Meretz (énergie), Nitzan Horowitz, avait alors affirmé que "sous la pression des partis religieux, le gouvernement a fait tout ce qu’il pouvait pour retarder l’action législative".

 

Cette année, en 2012, les protestations ont repris de plus belle, avec une manifestation à Tel-Aviv, le soir du samedi 22 septembre dernier. Les plus démonstratifs des contestataires portaient des maillots de bain, installés sous des parasols plantés dans le béton de la place Rabin ; d’autres ont recréé une horloge géante avec des bougies sur le sol. Une pétition électronique, lancée par un chef d’entreprise du secteur de la high-tech, appelant à l’extension de l’heure d’été, a, quant à elle, récolté quelques 400 000 signatures sur Internet.

 

Les laïcs insatisfaits reprochent au ministre de l’Intérieur de favoriser les intérêts d’une partie de la population minoritaire, les ultra-orthodoxes, par rapport au reste des citoyens. Si ce sont les épicuriens adeptes des vagues et de la bronzette qui se sont fait le plus remarquer, les commerces et les entreprises ne souffrent pas moins qu’eux du changement d’heure prématuré.

 

Le soir tombé, les rues sont moins fréquentées, et les badauds pensent davantage à rentrer chez eux qu’à faire les magasins. Outre les coûts supplémentaires en électricité et en chauffage en fin de journée (la nuit tombe plus vite), le matin, il fait déjà chaud, puisque le soleil est monté dans le ciel une heure plus tôt, et il faut compenser en air conditionné. Par ailleurs, la productivité des employés s’amoindrirait lorsqu’ils travaillent dans l’obscurité. L’obscurcissement, qui constituerait également un facteur d’augmentation des accidents de la route.

 

Selon certains experts, si l’heure d’hiver n’était effective qu’au début du mois de novembre, soit environ un mois et demi plus tard qu’actuellement, Israël économiserait plusieurs dizaines de millions de shekels ; la pétition électronique, qui a circulé au mois de septembre sur les réseaux israéliens, mentionne même plusieurs centaines de millions de shekels [1 euro ≈ 5 shekels].

 

Si le débat sur la date de fin de l’heure d’été semble opposer religieux et non religieux, la dichotomie n’est pas aussi évidente qu’il n’y paraît de prime abord. Car, parmi les populations pieuses, nombreux s’avèrent également mécontents, et souffrent tout autant de ce changement d’heure précoce.

 

Notamment à cause des désagréments subis… le jour de Kippour : les jeûneurs doivent se hâter de se préparer pour la fête et de finir leur dîner, le tout avant 17h. Quant à ceux souhaitant se rendre à l’esplanade du Temple, à Jérusalem, pour prier, c’est carrément la course, l’office religieux commençant à 16h30.

 

Même souci les veilles de Shabbat ; la journée du vendredi, particulièrement raccourcie, n’offre, avec l’heure d’hiver, qu’un temps très restreint pour préparer le jour chômé : une fois la matinée de travail terminée, il faut faire la cuisine, accommoder la maison aux contraintes du samedi, ou encore, laver et habiller les enfants pour la fête.

 

En outre, l’argument, selon lequel l’heure d’hiver doit être rétablie avant Kippour afin de mieux supporter le jeûne, ne repose sur aucun fondement valable.

 

Ce, car, en premier lieu, quelle que soit l’heure à laquelle il commence, l’abstinence de Kippour durera vingt-cinq heures.

 

Ensuite, un autre jeûne du calendrier hébreu, le jour de Tisha Beav (le neuvième jour du mois d’av), commémorant la destruction du Temple de Jérusalem, intervient pendant les jours les plus longs et les plus chauds de l’été ; il dure lui aussi vingt-cinq heures, ce qui n’empêche aucun Juif pratiquant de l’observer en toute piété.

 

Enfin, il paraît absurde de souhaiter faciliter le déroulement d’un jour austère et solennel, au cours duquel chaque Juif, dans son âme, son esprit et son corps, est censé se repentir. C’est précisément pour se mettre à l’épreuve qu’il s’abstient de se nourrir, avec quoi cela rime-t-il alors d’écourter intentionnellement sa pénitence ?

 

En dépit des apparences, la fête de Kippour, catapultée au milieu de cet imbroglio, ne constitue pas la véritable raison de la querelle.

 

Il s’agit en fait d’une bataille politique, menée par les responsables des partis ultra-orthodoxes afin d’imposer leur vue au reste de la population ; leurs leaders souhaitent que ce soit la religion qui règle le style de vie du peuple, et non l’économie, le plaisir, ou n’importe quoi d’autre.

 

Traditionnellement, les partis ultra-orthodoxes en Israël se sont opposés à l’heure d’été. Ils avancent qu’une journée qui commence tôt permet aux hommes d’effectuer la prière du matin, qui doit impérativement se dérouler en plein jour, avant d’aller travailler. Et que l’heure d’été participe en outre à augmenter les possibilités de transgresser le Shabbat, le samedi soir, alors que "les cinémas et les bus commencent à fonctionner avant la nuit tombée", dixit un membre du Parti National Religieux (dissous depuis 2008) en 1976.

 

Alors, en dépit de la longueur et de la pertinence de la liste des arguments stipulant qu’une heure d’hiver avancée aussi prématurément dans le calendrier s’avère néfaste pour l’intérêt de la nation, et malgré les références d’une partie de la population religieuse, les politiciens ultra-orthodoxes du gouvernement campent sur leurs positions.

 

Kippour ne constitue qu’un alibi permettant à certains de faire étalage de l’ascendant dont ils disposent dans les décisions concernant les affaires nationales. Ils désirent gagner la polémique, se moquant des désagréments ou du gâchis économique que leur opiniâtreté entraîne.

 

Ces temps-ci, Kippour a bon dos, et devient un sujet de division parmi les Hébreux. Dommage. Las de l’ego sectaire de politiciens s’admirant le nombril au lieu d’œuvrer au bien commun des citoyens qui les ont élus !

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