Yasmina Reza nous dit «Heureux les heureux»
Par Etienne Dumont
Il s’agit cette fois d’un roman, dont chaque chapitre se voit centré sur l’un des personnages. Mais tous, en fait, se connaissent plus ou moins.
Il existe un phénomène Yasmina Reza. Comment se fait-il que cette femme très médiatique reste l’auteur(e) d’une seule œuvre? Car enfin, il faut bien l’admettre. A part «Art», joué sur les plus grandes scènes du monde et qui remonte tout de même à 1994, il n’y a vraiment pas grand-chose à retenir de sa production ultérieure. «Le pique-nique de Lulu Kreutz» n’était pas terrible. «Une pièce espagnole» vraiment terrible. Avec «Une désolation», tout était dit dans le titre. Et on pourrait continuer comme ça longtemps.
«Heureux les heureux» constitue du coup une bonne surprise. L’ouvrage se qualifie de roman. Il serait permis de parler de nouvelles, ou plutôt de tranches de vie. Les protagonistes changent en effet, selon les récits. Certains d’entre eux reviennent sur le devant de ce qui constitue finalement une scène. D’autres réapparaissent en filigrane. Normal! Ces gens sont mariés. Ils se connaissent. Ils vont chez le même médecin. Bref, il s’agit d’un petit monde, qui s’agite ici d’une manière un peu stérile.
Monologues
L’ouvrage commence ainsi avec des courses dramatiques dans un supermarché. Robert Toscano s’irrite contre son épouse Odile, à la fois incompétente et brouillonne. Le couple finirait par en venir aux mains, tant la haine monte. Sous prétexte de récupérer un trousseau de clefs, le mari arrache d’ailleurs le sac de son épouse pour avoir le plaisir de lui tordre douloureusement un bras. Le tout sous le regard narquois des clients, ravis de voir plus malheureux qu’eux. Une scène de la vie ordinaire, quoi!
Les Toscano vont revenir par moments dans cet ouvrage sans intrigue, et donc sans progression dramatique. La maladie joue pourtant son rôle. Philip Chemla est ainsi cancérologue. Mais dans son monologue, moyen d’expression principal d’«Heureux les heureux», il reste question de ses problèmes sexuels. Cet homme encore jeune aime les garçons un peu brutaux, qu’il paie. L’argent doit sans doute faire taire sa culpabilité, née de son éducation juive. Et puis, il y a des gens qui aiment se sentir coupables, comme d’autres aiment le chocolat.
Judaïcité marquée
La judaïcité forme d’ailleurs le trait d’union entre la plupart des personnages. Un trait constant chez Yasmina Réza. L’auteur d’«Adam Haberberg» sait cependant éviter l’impression de ghetto caractérisant les fictions d’une Eliette Abecassis. Chez cette dernière, la question religieuse devient si présente que les lecteurs d’autres confessions se sentent exclus. Il s’agit pour eux d’une forme d’ethnographie.
L’autre trait reliant les pantins de cette sarabande serait l’aisance sociale. Le roman français, on le sait, ne connaît ni le travail, ni les problèmes d’argent. Du moins dans son immense majorité. Ici, on sort donc de l’ENA (Ecole nationale d’administration). On est grand reporter. Grand banquier. Joueur de poker de niveau international. C’est comme si tous ces «grands» devaient faire de Yasmina Reza un grand auteur, ce qui ne demeure certes pas le cas.
Cela dit, pour une fois avec elle, la chose se révèle tout à fait lisible. Un dimanche de pluie, tout de même.
Pratique
«Heureux les heureux», de Yasmina Reza, aux Editions Flammarion, 189 pages. Sortie le 2 janvier.
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