Ma Alia et mon Intégration. (1/6) par Avraham Bar-Shay (Benattia)
Les Etudes, la Alia
Quand nous avions quitté Gabès pour la Capitale, mon père parlait d'aller en Palestine. C'était ainsi qu'on nommait Israël avant l'indépendance, en 1948. Le Sionisme pour lui, était aussi Messianique ", il répétait 3 fois par jour, dans ses prières "Hashivénou létsion.." (Fais que nous retournons à Sion) ainsi que Herzélien. Je lui achetais, tous les vendredis l'hebdomadaire Judéo-arabe "El Nejma" qui parlait souvent du Sionisme .
Malheureusement il a succombé à sa maladie, (3 mois seulement après l'Indépendance d'Israël), et la veuve était restée à Tunis avec ses 4 orphelins, loin de la famille.
En attendant que je grandisse pour pouvoir subvenir aux besoins de la famille (n'ayant aucune instruction ni métier), elle retroussa ses manches et alla travailler comme lessiveuse sur les toits des Juifs riches à Tunis.
Avant de mourir, mon père lui a demandé de ne pas me faire quitter l'école avant de recevoir mon C E P. (ses parents lui ont fait quitter l'école avant de l'avoir eu). Et depuis 1950, je le garde pour sa mémoire.
Parmi les familles chez qui elle travaillait, il y avait une qui comptait plusieurs médecins, et elle avait décidé qu'après le C E P, j'irai au lycée et après j'étudierai la médecine, et elle continuera à travailler jusque-là. Ainsi, j'ai commencé mes études au lycée de l'alliance de Malta-Séghira.
En décembre 50, j'appris qu'une association juive (l'ORT), allait ouvrir une école professionnelle.
J'avais alors décidé (Je n'avais que 14 ans) que l'apprentissage d'un métier était plus court que la médecine et me permettra de nourrir ma famille après notre Alia en Israël.
Ainsi je me suis inscrit à cette école (sans en parler à ma mère), et j'ai passé l'examen d'entrée. Après que je fus reçu, j'avais demandé audience au directeur de l'Alliance et lui ai expliqué les raisons de quitter son école pour apprendre un métier manuel.
L'école de l'ORT était hors de la ville (Bab-Saadoun).
Toute l'école, les premiers élèves et instructeurs en 1951
Ma mère commença à suspecter mes sorties tôt le matin, et j'ai dû finalement lui expliquer mon changement d'écoles et que dans la nouvelle, j'apprendrai un métier qui nous permettra de faire notre Alia et elle pourra cesser plus tôt de travailler. Elle était très triste du fait que je ne serai jamais médecin, et accepta finalement la nouvelle future carrière qui m'attendait.
La nouvelle école de l'ORT en 1953 à côté de l'Ariana
En juillet 1954, j'avais réussi à l'examen gouvernemental du C A P .C'était la première fois que l'école de l'O R T présentait des candidats à cet examen.
Et dans la branche de Mécanique nous étions très peu à l'avoir réussi.
Cette réussite m'ouvrait toutes les portes, et la direction me proposa d'étudier à l'Institut Central de l'ORT à Genève, pour la formation du corps enseignant, dans ses écoles de par le monde. Au début, je refusais, expliquant que je devais faire ma Alia, le directeur (un juif qui venait de Pologne) insista pour qu'il vienne au quartier juif, parler à ma mère. Il est arrivé à la convaincre de repousser notre Alia de 3 ans, quand je serai instructeur et non ouvrier.
L'Institut de l'ORT à Genève, décembre 1954
Après mon départ pour Genève, elle voulait quand même aller en Israël, mais la politique de Sélection de l'Agence Juive (dans les années 50) ne lui a pas permis sa Alia.
En juillet 1957 j'ai fini mes études et passé les examens finaux de l'Institut. Je devais être muté en Iran ou au Maroc, j'ai refusé. Ma famille m'attendait pour sa Alia et je devais rentrer à Tunis. La direction de l'ORT me dit que là-bas je devrai faire l'armée et décida de retenir mes diplômes jusqu'à ce j'eu terminé mon service.
Les 2 diplômes (1956-1957) furent retenus à Genève
Je suis rentré à Tunis et commençais à préparer les papiers pour la Alia.
Pour les quelques mois qu'il fallait pour préparer ces papiers, la direction de l'ORT à Tunis m'avait offert un poste d'instructeur temporaire.
En novembre 1957, nous étions prêts pour la Alia. Nous devions emballer nos grands bagages (avec l'aide de l'Agence Juive) et les matelas et couverture, les ustensiles de cuisine etc… tout qu'on ne pouvait pas prendre avec nous sur notre bateau, même mon scooter fut emballé. Nous ne recevrons ces grandes caisses que quelques semaines après nous être installés en Israël. Une fois ces caisses parties, nous primes le bateau, du port de Tunis pour Marseille, et de là au Camp d'Arénas, un ancien camp militaire qui servait à rassembler des Olim de plusieurs pays pour la traversée de la Méditerranée, vers Israël.
L'enseigne du camp
L'attente d'un mois au Camp, passa vite. C'était la période des fêtes de Noël et du Nouvel-an et nous étions libres de saisir cette opportunité.
Arrive le jour de l'embarquement et quelle surprise le bateau était tout neuf, il traversait la Méditerranée pour la troisième fois seulement.
C'était un des bateaux qu'Israël venait de recevoir de l'Allemagne
Lancement du "Jérusalem" au port de Hambourg, 1957
Les cabines étaient spacieuses ainsi que les salons et les lobbies, la traversée promettait d'être inoubliable.
Le lobby du "Jérusalem"
Tous les murs du bateau présentaient des œuvres de grands artistes Israéliens, et moi qui étais depuis toujours attiré par l'art, j'ai été très impressionné par ces artistes et surtout la découverte (pour moi) des œuvres de Moshé Castel.
Œuvres de Moshé Castel
Je prenais plaisir à passer mon temps à admirer ses peintures. Depuis ce temps, à chaque qu'on montrait le salon du palais du président d'Israël et son mur sur lequel on voyait la grande peinture de Castel, cela me rappelait la traversée de ma Alia et le bateau "Jérusalem", avec les peintures de Moshé Castel
La salle de Réception du palais du Président
Un détail important, le bateau a fait escale au port de Naples, un groupe de Juifs qui avaient fui l'Egypte (après la guerre de Suez) y est monté. Dans ce groupe, le destin (ou l'Agence Juive) qui a assemblé ces "réfugiés", avait placé une jeune fille d'Alexandrie qui était plus tard, devenue ma femme, avec qui j'ai fêté il y a quelque semaines seulement, notre 60eme anniversaire de mariage (ad méa véesrim).
L'arbre qui a poussé d'une rencontre sur un Bateau de Olim
Retournons aux années 50 et au bateau "Jérusalem". La traversée s'était très bien passée et le 8 janvier 1958, au matin, nous pouvions voir le mont Carmel à l'horizon.
Le Mont Carmel devant nous
Avant d'entrer au port de Haïfa, des fonctionnaires de l'Agence Juive montèrent sur le bateau pour nous donner le numéro de notre future carte d'identité, dont nous devrons nous rappeler toute la vie, la "Téoudat Olé", qui faisait de nous des Israéliens, et nous confisquèrent nos anciens passeports Tunisiens (ce ne fut que plusieurs années après, et après contestations à la Knésset, qu'ils ont rendus les anciens passeports à ceux qui les auraient demandés
Contrôle des passeports sur le "Jérusalem' au port de Haïfa
Ces messieurs ont eu aussi une grande influence sur les premières années de notre vie en Israël, puisqu'ils avaient aussi décidé de nous envoyer à l'endroit où nous allions vivre jusqu'à ce que l'on devienne indépendant et que nous puissions décider de notre sort.
Une fois descendus du bateau et après tout le luxe de la traversée, les mauvaises surprises commencèrent à s'accumule.