Pour fuir la guerre avec le Hamas, ces Israéliens ont leur éden indien: Goa
Lily Chavance — Édité par Thomas Messias - Slate
À la suite des attaques du 7 octobre, certains Israéliens, nombreux dans cet État indien, sont rentrés combattre, tandis que d'autres ont préféré venir dans la région pour échapper aux opérations militaires de Tsahal.
Le 7 octobre 2023 fera date dans l'histoire du Proche-Orient. Le Hamas a commis une série d'attaques sans précédent sur le territoire israélien. Deux jours après le massacre, le porte-parole de Tsahal, le contre-amiral Daniel Hagari, confirmait le rappel de 300.000 réservistes israéliens partout dans le monde.
Alors, à plus de 4.000 kilomètres de là, dans l'État de Goa, dans le sud-ouest de l'Inde, les rues habituellement foisonnantes d'Israéliens se sont partiellement vidées. Aller combattre ou rester dans ce havre de paix? Beaucoup n'ont pas eu le choix. «Nous avons à peine 20% de visiteurs ici maintenant», déplore le rabbin de la Chabbad House. Ce centre communautaire juif se trouve à Palolem, un village du sud de Goa. Plus au nord, dans une auberge en bord de mer, habituée à la clientèle israélienne, le gérant, Stefen, assure n'en avoir «vu que deux depuis novembre».
Mais tous ne sont pas rentrés combattre. Certains ont même fait le trajet inverse, préférant vivre loin de l'armée israélienne. Sur les plages d'Arambol, de Morgim et de Palolem, bien que le nombre d'Israéliens soit réduit, la présence de la communauté perdure. La musique «psytrance» qui s'échappe du bar Little Italy, dans le nord de l'État de Goa, s'entend du bout de la plage.
Parmi les clients affalés sur les chaises longues, les Indiens locaux ont déserté les lieux. Pantalons amples, corps tatoués, maillots de bain échancrés, seule la jeunesse israélienne occupe l'espace. Certains ont perdu leurs proches, d'autres sont inaptes au combat ou traumatisés par les horreurs de la guerre, mais tous ont la même volonté: oublier Tsahal et la guerre Israël-Hamas.
Un havre de paix
Depuis une soixantaine d'années, avec la Thaïlande et l'Amérique du Sud entre autres, cette ancienne colonie portugaise bordée par la mer d'Arabie est l'une des destinations les plus prisées par les jeunes Israéliens. Après un service militaire obligatoire de deux ans pour les filles et de trois ans pour les garçons, beaucoup envisagent de «rattraper» leurs années happées par l'armée.
Depuis le 7 octobre, ils sont rejoints par certains de leurs concitoyens qui ont préféré fuir la guerre et se désolidariser des intérêts de l'État hébreu. Sous les palmiers, dans des guest houses ou lors de fêtes en plein air, de nombreux Israéliens ont choisi Goa pour s'autoriser ce qu'ils ne peuvent plus faire chez eux.
Dans un coin du Little Italy, Rubben*, 37 ans, Israélien, crâne rasé, peau tannée, désigne d'un signe de main drogues, joints, bangs et autres bouteilles d'alcool amassés sur sa table lorsqu'il expose les raisons de sa venue à Goa. Bien qu'elle soit illégale, la consommation de drogue par les «Occidentaux» est une pratique courante dans cet État. «Ici, c'est no limit», s'exclame Audrey, originaire de Haute-Savoie, vivant depuis huit ans à Goa. La Française confirme qu'«il est très facile de devenir dealer ou de fumer tout ce qu'on veut».
«J'ai combattu deux semaines dans la bande de Gaza, je ne veux plus en entendre parler.»
Rivka, 34 ans
«Goa, c'est tout sauf l'Inde», s'exclame un groupe de locaux devant le Shiva Valley, un club réputé où tambourine de la musique psytrance nuit et jour. C'est ce qui séduit les Israéliens. «L'adaptation est facile, ce n'est pas compliqué de vivre ici», ajoute Rubben. Dans ce petit État, l'anglais est la langue principale, les restaurants affichent «Israeli food» (nourriture israélienne) au menu, il est fréquent de voir des inscriptions en hébreu sur les devantures de magasins, et la musique techno et psytrance –très convoitée par ce public– est en boucle dans tous les bars et boîtes de nuit.
Annie, gérante de l'auberge «Shalom guest house», explique aussi qu'«ils viennent ici pour se retrouver entre eux». Si bien que «Si bien que lorsqu'ils ne trouvent pas d'autres Israéliens à leur arrivée, ils s'en vont ailleurs». En connexion sur des groupes Facebook, WhatsApp et Telegram, ils partagent quotidiennement des événements, des soirées et des propositions de rassemblements.
Beaucoup profitent de cette liberté et peu désirent la quitter. Pour ces Israéliens ayant trouvé ce lieu de sérénité et de lâcher-prise, le retour n'est pas envisagé. Tous disent préférer ne pas y penser.
Sur la côte nord, à Anjuna, le «Artjuna café», un bar occidentalisé branché, propose des ateliers de poterie, des expositions d'œuvres d'art en tous genres et des concerts. Sur la terrasse, Noam, 42 ans, tient un stand de bijoux fabriqués à la main. Au lendemain des attaques du Hamas, cet Israélien a tout quitté. Après avoir vendu sa voiture et son appartement, il a choisi l'Inde comme destination incontournable. «Je n'ai plus rien. Je veux juste vivre loin de la crise dans mon pays. Je suis venu ici parce que j'ai mon propre business et je sais qu'ici ça peut durer», raconte-t-il.
Yan*, 47 ans, dore au soleil sur une chaise longue sur la plage de Morgim. Cet Israélien aux traits tirés et à la peau brunie, qui vivait au Japon, envisageait de rentrer sur ses terres natales. Mais très rapidement après le déclenchement de la guerre, il n'était plus question pour lui de retourner dans la tension. La pression des pays voisins ne lui permet pas de se sentir en sécurité. «Je suis ici pour démarrer un nouveau chapitre de ma vie», affirme-t-il en tirant sur son chillum, une pipe de forme conique servant à fumer du cannabis.
À ses côtés, Rivka* acquiesce. Cet Israélien de 34 ans a été réformé de l'armée après avoir commis une faute sur un véhicule. «J'ai combattu deux semaines dans la bande de Gaza, je ne veux plus en entendre parler.» Très en réserve sur les positions stratégiques et belliqueuses de son chef d'État, c'est à Goa que ce jeune aux cheveux longs et bouclés a décidé de venir relâcher la pression. Après s'être imprégné de la culture indienne et de l'hindouisme, il a finalement choisi de déposer ses valises ici, et pour une durée indéterminée. «C'est le bon endroit pour oublier, je pense y rester», affirme-t-il.
De son côté, Tal, un Israélien habitué de Goa, est venu s'y réfugier directement après les attaques. Après la perte d'un de ses proches, il n'était pas question pour lui de rester en terre sainte. Depuis, il ne souhaite pas non plus y retourner. Son visa «touriste» n'est valable que pendant quatre-vingt-dix jours sur le territoire, mais il l'a déjà renouvelé et compte bien réitérer.
Plusieurs années en arrière, d'autres ont aussi fait le choix de rester. Cheveux grisonnants et chemise à fleurs, Moshe est propriétaire de cinq bars à la mode dans Goa. Cet Israélien vit en Inde depuis vingt-cinq ans. Quitter Israël était, déjà à l'époque, son seul moyen pour «ne plus vivre dans cette réalité» et fuir sa «vie sous tension», dit-il.
Comme beaucoup, après avoir trouvé à Goa calme et volupté, Moshe n'est jamais rentré. Face à l'intensification du conflit avec le Hamas et de nouvelles frappes sur Rafah, il se pourrait que le nombre d'Israéliens en quête d'un refuge, à l'écart des rangs de Tsahal et de l'horreur des combats, continue d'augmenter à Goa.
*Les prénoms ont été changés