Ca bouge aussi en Syrie

Ca bouge aussi en Syrie (info # 010905/17)[Analyse]

Par Perwer Emmal © MetulaNewsAgency

 

Souvent, lors des conflits, l’un des protagonistes affirme que son ennemi est fou ou dirigé par un fou. Le plus souvent, il s’agit d’un acte de propagande destiné à le décrédibiliser, mais dans le cas de la Turquie et de son Sultan Erdogan, cela ne fait pas l’ombre d’un doute.

 

Il y a environ trois semaines, alors que les FDS – Forces Démocratiques Syriennes – à large prédominance kurde, soutenues par l’Aviation et un millier de commandos américains, continuaient leur manœuvre visant à l’encerclement de Raqqa (la capitale de DAESH en Syrie - carte) par le Sud, on a failli assister à l’éclatement d’un conflit à grande échelle entre la Turquie et le territoire autonome kurde du Rojava.

 

En effet, et sans la moindre provocation de la part des FDS, Erdogan a fait donner son artillerie lourde contre onze positions limitrophes du Rojava, tuant seize personnes et en blessant vingt-six. Les YPG kurdes, les Forces de Protection du Peuple, ont riposté, principalement au mortier, et la situation était en voie d’aboutir à un embrasement total.

 

Presque dans le même temps, le 25 avril, l’Aviation turque avait déjà procédé à une incursion en Irak, tuant six Peshmergas (le nom des combattants kurdes) et en blessant neuf autres. Au début, Ankara affirma que le raid avait été réalisé par erreur, puis, dans sa seconde version, elle précisa qu’il avait eu lieu pour prévenir des incursions en Turquie de groupes de combattants affiliés au PKK, le Parti des Travailleurs du Kurdistan.

 

A Derik, dans le Rojava syrien, les appareils d’Erdogan tuèrent le même jour 18 membres des YPG.

 

La situation se détériorait rapidement ; on se trouvait devant une circonstance étrange, où les Kurdes bataillaient au Sud pour prendre la ville de Tabkah (carte) à DAESH, pendant qu’au Nord et en Irak, les mêmes forces étaient soumises aux attaques ottomanes.

 

Les responsables kurdes intervinrent auprès de leurs alliés américains pour leur faire savoir que si Washington n’empêchait pas Erdogan de déclencher une guerre au Nord, ils devraient retirer l’essentiel de leurs forces de la bataille de Raqqa pour défendre le Rojava face au Turcs.

 

Cette fois-ci, les Etats-Unis réagirent prestement et efficacement, ce qui n’était pas le cas du temps de l’Administration Obama. Le commandement U.S envoya des véhicules blindés, surmontés de grands drapeaux du Stars & Stripes, encadrer physiquement les FDS qui patrouillent le long de la frontière turque. Ces patrouilles mixtes continuent actuellement leur travail, qui, accompagné d’un avertissement cinglant à Erdogan, ainstantanément fait cesser les bombardements sur le Rojava.

 

La réaction d’Ankara consista à répéter l’antienne selon laquelle il fallait retirer les forces kurdes (et américaines ?) du front, ce qui permettrait à l’Armée turque de réduire en poussière – anéantir – broyer, cela change suivant les communiqués, Raqqa en quelques heures.

 

Hier, devant le manque d’empressement de Donald Trump à répondre à cette proposition, Ankara a menacé de reprendre les bombardements sur le Rojava, nonobstant la présence des soldats yankees, et même si certains d’entre eux devaient perdre la vie lors de ces attaques. Nul doute que ce genre d’attitude sera passé en revue lors de la visite du sultan à la Maison Blanche, prévue les 16 et 17 mai prochains, juste avant l’ouverture du sommet de l’OTAN à Bruxelles.

 

M. Trump ne manquera pas non plus d’interroger son interlocuteur au sujet de l’accord passé à Astana, la capitale du Kazakhstan, entre la Turquie, la Russie et l’Iran, mais sans consultation avec Washington et ses alliés occidentaux et arabes.

 

Cet accord appelle à la cessation des hostilités dans quatre zones de Syrie (voir carte), touchant les provinces de Damas, Idlib, Lattaquié, Alep, Homs, Hama, Deraa et Kouneitra, les deux dernières étant situées dans la partie syrienne du Golan, jouxtant la frontière israélienne.

 

Ces zones sont appelées "zones de désescalade (militaire)". Les affrontements entre l’Armée régulière et les groupes rebelles devraient y cesser. L’accord couvre une durée de six mois, renouvelable en cas de progrès. Moscou a précisé qu’il ne concerne ni DAESH ni al Nosra, une émanation d’al Qaëda, rebaptisée en 2016 Front Fatah al-Cham ou Jabhat Fatah al-Sham [Sham/Cham arab. = Syrie].

 

Cela peut avoir une incidence intéressante, vu que les supplétifs de l’Armée turque dans l’enclave qu’elle occupe en Syrie sont, à 90 pour cent, des mercenaires stipendiés par Ankara, issus d’al Nosra et de ses déclinaisons.

 

Le gouvernement de Bashar al Assad, qui n’est pas partie prenante à cette entente, et qui affirme qu’il va continuer à faire la guerre aux rebelles, se voit interdire d’utiliser son aviation pour le survol et l’attaque dans les zones de désescalade. Seule l’Aviation russe pourra y patrouiller mais sans ouvrir le feu.

 

L’accord prévoit également des aménagements humanitaires, la création de couloirs sécurisés, et la possibilité pour des forces et des civils encerclés de rejoindre des secteurs du pays où ils se sentent en sécurité. Une opération de ce type a déjà été réalisée dans l’est de Damas avec succès, des rebelles ayant pu quitter leurs quartiers encerclés.

 

Des voix officieuses russes ont prévenu que les avions de l’Oncle Sam n’auront pas le droit de survoler les quatre sanctuaires, ce qui n’a suscité aucun commentaire officiel à Washington. Les Arabes, les Américains et les Israéliens sont surtout très préoccupés par la présence de Téhéran parmi les signataires-garants de la bonne exécution du traité.

 

A Jérusalem, comme nous l’a confirmé notre camarade Jean Tsadik au téléphone, on ne se sent en aucune manière lié par ce qui a été signé à Astana. Officieusement, on a fait savoir qu’on ne réagira que si le territoire israélien est menacé ou attaqué et on survolera la Zone 4 si l’on pense que c’est nécessaire, sans se préoccuper de ce qui a été décidé par les trois pays signataires. Jean Tsadik ajoute que l’accord d’Astana ne devrait pas remettre en cause l’entente décidée avec les Russes, selon laquelle les Mig et les Soukhoï de Poutine patrouillent dans le Nord jusqu’à Damas, et les F-15 et les F-16 frappés de l’étoile de David, du Sud, jusqu’au sud de Damas.

 

Ceci dit, en cas de velléité de livraison par al Assad et les Iraniens d’armes au Hezbollah ou de tentative de renforcer la présence des Pasdaran et du Hezbollah sur le Golan, Jérusalem réagirait là où elle le jugerait nécessaire, comme elle l’a fait pas le passé, sans doute en avisant les Russes des mouvements de son aviation au tout dernier moment.

 

J’ai demandé à Jean Tsadik quelle influence l’accord d’Astana pourrait avoir sur le projet du Front du Sud de s’emparer du Golan syrien, presque en conformité avec la délimitation de la Zone 4, avec le soutien des Arabes, d’Israël et des Occidentaux. Mon éminent camarade m’a renvoyé à son analyse "Le Golan bouge", publiée par la Ména le 29 avril dernier, dans laquelle il expliquait que, outre l’éventuelle opposition des Russes, l’obstacle principal à l’offensive prévue consistait en l’activité de l’Armée de l’air d’Assad. Il m’a fait remarquer que l’accord d’Astana lui interdisait d’intervenir dans la Zone 4, à l’exception d’un minuscule corridor le long de l’autoroute M5 et dans la région de concentration des forces du Front du Sud, le long de la frontière jordanienne. Ladite région, ainsi que la ville de Deera, même si elles ne sont pas incluses dans la Zone 4, restant hors d’atteinte des pilotes alaouites, puisque pour s’y rendre, ils devraient survoler la Jordanie ou Israël, ce que personne de sensé ne leur conseille de faire.

 

Selon Jean Tsadik, les combats au sol pourraient, selon les zones, diminuer en intensité, sauf dans la Zone 4, où c’est le contraire qui pourrait se passer. Mon camarade s’étonne même de la délimitation de ladite zone, qui indiquerait éventuellement que Poutine ne s’oppose pas à l’avancée des rebelles dans ce secteur, possiblement pour amener, à un stade ultérieur des pourparlers, le régime d’Assad à faire des concessions politiques. Sans pouvoir avancer de preuves à cette hypothèse, Tsadik a l’ "impression" que la délimitation "très particulière de la Zone 4 a été discutée entre les Russes et les Israéliens".

 

Au Nord, dans le Rojava, il n’a pas été prévu de zones de désescalade. C’est le signe évident que Vladimir Poutine a décidé d’y conserver un contrôle sans partage, en n’y associant pas la Turquie et l’Iran. C’est un mécanisme différent que le Tsarévitch y a installé.

 

D’abord, dans toute la partie de territoire s’étendant du canton d’Afrin à l’Euphrate, qui se trouve sous l’influence de son aviation, il continue d’interdire le survol de l’aviation d’Erdogan. Ensuite, il a installé un mécanisme qui, pour le moment du moins, donne satisfaction à la fois aux Turcs et aux Kurdes.

 

Poutine y a fait déployer [étoiles 1 & 2 au nord d’Alep sur la carte] des unités de la brigade des Martyrs de Kafr Saghir entre les lignes des FDS et celles de l’Armée turque et de ses supplétifs islamistes. Les Martyrs de Kafr Saghir sont une force kurde, officiellement intégrée dans l’Armée de Bashar al Assad, qui ont participé à ses côtés, mais surtout aux côtés des Russes, à la bataille pour la libération d’Alep, durant laquelle ils se sont illustrés.

 

Quelques 200 combattants de cette brigade sont déployés dans le Rojava, d’une part pour protéger les FDS d’éventuelles attaques turques – s’en prendre à eux équivaudrait à s’en prendre à l’Armée régulière, et, partant, aux Russes. Et, d’autre part, en guise de garantie de Poutine à Erdogan que les FDS n’essaieront pas de créer la jonction entre les deux parties du Rojava. Les unités alaouites, iraniennes et celles du Hezbollah, les ennemis des Kurdes, ne participent pas à cette "force d’interposition" et sont confinées au sud de la route Alep-Manbij.

 

On a dit des Martyrs de Kafr Saghir qu’ils étaient à la fois des amis et des ennemis d’al Assad, et qu’ils obéissent en réalité au commandement des YPG. De plus, le 19 février dernier, leur leader, Rezan Hedo, avait fait savoir que sa brigade cessait ses activités à cause de l’absence d’entente entre le gouvernement syrien et les FDS. Ce n’est pas exact, puisque je les ai vus de mes yeux, sur le terrain, pas plus tard que samedi dernier.

 

En fait, la Pax Poutina ne dérange pas plus que cela les Kurdes, occupés actuellement à la prise de Tabkah, dont ils contrôlent désormais les huit dixièmes. Ils ont ralenti leur progression car les miliciens de DAESH utilisent la population comme boucliers humains. De nombreuses rumeurs, cette semaine, font état d’un accord secret au terme duquel les islamistes de DAESH seraient autorisés à quitter Tabkah sans encombre pour se replier sur Raqqa s’ils ne touchaient pas aux civils. Le commandement des FDS sur place, que j’ai interrogé, a toutefois démenti cette rumeur.

 

En tout état de cause, une éventuelle reprise des efforts militaires en vue de réunifier le Rojava n’est envisageable qu’après la prise de Raqqa et, peut-être, de Deïr Ez-Zor. Car près de 30 000 FDS sont engagés dans cette bataille, 10 000 protègent la frontière turque et les villes du Rojava, et 8 000, environ, sont mobilisés dans les saillants de Manbij et d’Afrin.

 

A ce propos, les Kurdes ont émis, ces deux derniers jours, l’esquisse d’une proposition sortant de l’ordinaire : ils pourraient offrir à Assad d’échanger la libération de Deïr Ez-Zor contre un couloir d’une centaine de kilomètres de long, menant du canton d’Afrin à la Méditerranée.

 

A Deïr Ez-Zor, la 104ème brigade d’élite aéroportée des Gardes Républicains d’Assad, commandée par le Brigadier-Général Issam Zahreddine, ainsi qu’environ 100 000 civils pro-régime, sont encerclés de toutes parts par DAESH, sans possibilité d’être secourus par l’Armée régulière qui se trouve à plus de 190km de là. Seules les FDS, qui progressent sur l’Euphrate et qui ne sont plus qu’à 50km de la ville assiégée pourraient leur venir en aide.

 

Or Deïr Ez-Zor est très majoritairement peuplée d’Arabes, avec une minorité arménienne et un petit nombre de Kurdes uniquement. Elle ne fait pas partie historiquement du Rojava et son contrôle n’intéresse que modérément le leadership kurde.

 

Sa libération pourrait ainsi faire l’objet d’une négociation, qui, même si elle déplairait profondément à Assad parce qu’elle consacrerait la partition de la Syrie, pèserait d’un poids majeur sur son jugement. Pour les Kurdes, l’obtention d’un débouché sur la mer, dans l’optique d’un Etat indépendant comprenant les Kurdes de Syrie, d’Irak, de Turquie et d’Iran, qui constitue leur objectif ultime et permanent, permettrait d’écouler librement leurs marchandises, en particulier leur brut, sans être tributaires du bon vouloir de leurs voisins.

 

On reparlera sans doute de cette tractation dans les semaines ou les mois à venir. Mais ce qui est intéressant, du point de vue kurde, est que nous sommes désormais les meilleurs alliés, les seuls fiables, des Russes, des Américains et des Européens dans la lutte contre DAESH. Notre concours irremplaçable et notre culture pro-occidentale nous permettent de voir l’avenir plutôt positivement.

 

J’ai visité le camp d’entraînement que les Russes ont installé pour nous à Afrin ; il est non seulement imposant et dispense un enseignement particulièrement adapté à nos besoins, mais, de plus, sa seule existence agit comme un instrument de dissuasion remarquable contre les menaces d’Assad et des Turcs.

 

Ces derniers, en dépit des vociférations de leur président-dictateur, sont de plus en plus bloqués dans tout ce qu’ils pourraient entreprendre en Syrie, et sont presque déjà relégués à un rôle de simples observateurs.   

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