Asaf Hanuka - Le Juif arabe

BD : Asaf Hanuka, “Le Juif arabe, c’est aussi moi, qui suis un descendant de cette identité brisée”

L’auteur de “K.O. à Tel Aviv” s’est penché sur son histoire familiale. Et plus précisément sur le destin de son arrière-grand-père, assassiné dans ce qui était encore la Palestine. Rencontre.

Par Laurence Le Saux

Il s’est mis en scène de façon caustique, parfois politique, dans K.O. à Tel-Aviv. A raconté le parcours traumatisant de Roberto Saviano, l’auteur de Gomorra poursuivi par la mafia (Je suis toujours vivant). Cette fois, toujours avec un humour incisif, Asaf Hanuka conte dans Le Juif arabe des histoires mêlées : celle de son arrière-grand-père, celle du jeune homme qu’on a pris pour son assassin, celle de son père et la sienne lorsqu’il a quitté la France – où il étudiait – pour revenir vivre en Israël.

Qui est « Le Juif arabe » ?
Il y a trois réponses à cette question. C’est d’abord mon arrière-grand-père Abraham, un juif de culture arabe. C’est ensuite Ben-Tsion, le jeune garçon qu’il adopte [et qui sera accusé de l’avoir tué, ndlr]. C’est enfin moi, qui suis un descendant de cette identité brisée. J’ai grandi avec les comics américains, je lis désormais des mangas, je parle anglais et français. À la maison, mes parents juifs parlaient arabe. L’essor du sionisme en Israël a fait qu’il a fallu choisir entre être juif ou arabe. Chez moi, on a fait semblant d’être juifs à 100 %. C’était une forme de reniement. Je me suis longtemps demandé pourquoi cette guerre entre Juifs et Arabes existe, alors qu’on ne sait pas pourquoi elle a commencé…

Pourquoi vous attaquer à cette histoire familiale ?
J’ai toujours entendu que mon arrière-grand-père a été tué par un Arabe pendant les révoltes arabes des années 1930. Plus tard, mon oncle m’a dit que c’était l’orphelin qu’il avait adopté qui l’avait tué. J’en ai parlé ensuite avec mon père, et nous avons vu ensemble des membres de la famille qui ont chacun donné leur version, parfois opposée, des faits. L’une notamment m’a affirmé que l’orphelin Ben-Tsion était devenu pour lui comme son fils, et qu’il était impossible qu’il l’ait assassiné. Et puis mon père est tombé malade. J’ai eu l’impression que cette histoire risquait de disparaître avec lui. Elle n’a rien à voir avec ce qu’on apprenait au lycée en Israël, à savoir que dans le désert où l’on a construit l’État d’Israël il n’y avait rien… Ma famille était là avant, et y vivait en paix avec les Arabes ! J’aime Israël et les idées sionistes, je pense que les Juifs ont droit à un État, mais le récit officiel oublie le moment où l’on a vécu ensemble, paisiblement, dans une culture commune. Il faut embrasser le passé arabe des Juifs, car il nous donne l’espoir d’une meilleure coexistence.

Avez-vous facilement obtenu des réponses à vos questions ?
J’ai eu le sentiment que les gens attendaient que je leur pose des questions. Tout le monde a été très généreux. Il m’a semblé qu’en récoltant et en publiant leur récit, je les aidais à ne pas être transparents dans la grande histoire d’Israël.

Quels partis pris graphiques avez-vous choisis ?
Dans ce livre, j’ai fait exprès d’insérer des textes en arabe, pour donner une forte place à cette culture-là. J’ai compris, avec mon livre précédent, que les beaux dessins ne m’intéressaient plus. Le « décoratif » est une perte de temps, ne sert qu’à flatter l’œil. J’ai volontairement laissé de côté les effets de séduction : je veux raconter une histoire avant tout. Ici, je me suis amusé à jouer avec le temps. Le Juif arabe a d’abord été publié à raison de deux pages par semaine dans le journal israélien Calcalist. Dans chaque double, je représentais le passé et le présent. Je laisse le lecteur remplir les trous entre les événements. J’ai choisi de ne raconter que des moments choisis. C’était la première fois que je faisais quelque chose d’aussi complexe, comme un puzzle infini. J’ai opté pour le noir et blanc pour le présent, souvent ennuyeux et ordinaire, et la couleur pour le passé, qui est pour moi un endroit magique, nostalgique, chaleureux.

Le Juif arabe, par Asaf Hanuka. Éd. Steinkis, 96 p., 20 €.

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