Liban-Israël : les nuages s’amoncellent à nouveau

Liban-Israël : les nuages s’amoncellent à nouveau (info # 012302/17)[Analyse]

Par Michaël Béhé à Beyrouth©Metula News Agency

 

On assiste ces derniers jours à un net regain de tension entre le Liban et Israël, qui, selon plusieurs analystes stratégiques à Beyrouth, rend une prochaine confrontation armée "inéluctable". Les mêmes experts prophétisent que le pays aux cèdres subira des destructions à une échelle encore jamais atteinte, et qu’il ne se trouvera cette fois personne pour nous aider à nous relever.

 

En fait, ce qui rend cette prophétie particulièrement inquiétante est que lors des derniers conflits, c’est principalement l’Arabie Saoudite et les Emirats qui avaient financé la reconstruction, et que, dans la conjoncture qui prévaut, Riyad se situe dans l’autre camp.

 

Il faut préciser que c’est le Hezbollah qui a allumé le feu, suivi en cela par le Président de la République, Michel Aoun, qui a jugé légitimes les armes de la milice chiite, et promis à Israël des représailles sanglantes en cas d’agression de ce dernier.

 

Les menaces proférées par Hassan Nasrallah, indiquant que les missiles du Hezb atteindront cette fois le réacteur nucléaire de Dimona, le réservoir d’ammoniac d’Haïfa, les plateformes maritimes de prospection d’hydrocarbures et les tankers de pétrole concernent, à n’en point douter, les intérêts vitaux de notre puissant voisin méridional. Ces menaces interviennent en écho à celles proférées simultanément par les ayatollahs à Téhéran, décrivant l’Etat hébreu comme un cancer éphémère qui sera prochainement anéanti.

 

En vérité, et c’est ce qui rend l’occurrence d’une guerre vraisemblable, il ne s’agit pas uniquement d’un différend local qui opposerait la milice à Israël, mais d’un contentieux régional comprenant des intérêts importants autant qu’explosifs.

 

D’un côté nous avons le Hezbollah, qui impose sa loi par la violence aux citoyens libanais, ses alliés politiques, y compris le Président chrétien Michel Aoun et son parti le CPL, l’Iran et la Syrie ; de l’autre, l’on trouve Israël, les autres partis chrétiens et sunnites libanais, les Etats arabes sunnites et l’Amérique du nouveau Président Donald Trump.

 

Sur le plan intérieur, les déclarations de Nasrallah ont torpillé les efforts d’Aoun visant à recréer des liens solides avec l’Arabie Saoudite. Le président s’est rendu il y a peu à Riyad dans ce but et l’émissaire du Roi Salmane al Saoud, Thamer el Sabhan, est venu à Beyrouth. Dans le parti chrétien des Forces Libanaises, on considère les déclarations du secrétaire général du Hezb comme une "déclaration de guerre en bonne et due forme" faite à Riyad. Même son de cloche du Premier ministre sunnite Saad Hariri, qui a souligné, la semaine dernière, "l’importance du triptyque entre l’Etat (libanais), les Arabes et la résolution (du Conseil de Sécurité) 1701, qui immunise le Liban contre les dangers en provenance de l’extérieur (…)".

 

On le constate, les déclarations de Nasrallah ont réussi à briser toute velléité de Michel Aoun de se rapprocher des Arabes, afin de continuer à nous soumettre exclusivement à la coupe des Iraniens. Elles ont ébranlé le fragile ciment gouvernemental, qui va, dès la prochaine secousse, voir les chrétiens et les sunnites, qui représentent environ soixante pour cent de la population, retourner dans l’opposition.

 

Quant à la résolution 1701, c’est celle qui a mis fin à la Guerre de 2006 avec Israël. Elle impliquait le déploiement de l’Armée libanaise le long de la frontière avec l’Etat hébreu en lieu et place du Hezbollah, et le désarmement de toutes les milices avec l’aide des forces des Nations Unies. Or actuellement, il est bien difficile de différencier les miliciens de l’Armée sur cette même frontière, et le contingent onusien, la FINUL, se contente de patrouiller sur les grands axes routiers, sans chercher à s’emparer des armes du Hezbollah.

 

La légitimation de cette situation par le président Aoun doit ainsi être perçue comme une violation de cette résolution, ce qui ne manque pas d’alerter, outre Israël, les Arabes et la communauté internationale. Une commission formée d’ambassadeurs des membres permanents du Conseil de Sécurité est d’ailleurs attendue prochainement à Beyrouth pour recevoir des "éclaircissements" de la part de Michel Aoun.

 

Sur le plan international, l’Iran et ses supplétifs au Liban vivent très mal la réorientation de la position des Etats-Unis post-Obama face à Téhéran. Washington a déjà réinstauré des sanctions à l’encontre de la théocratie chiite après des tirs expérimentaux de missiles balistiques. Donald Trump, lors de sa conférence de presse commune avec Binyamin Netanyahu, a affirmé que son pays ne permettrait jamais aux Perses d’obtenir l’arme atomique ; il a, de plus, sorti un carton jaune en direction du régime du "Guide suprême" Ali Khamenei. Ce denier, en dépit des bravades rhétoriques qu’il adresse à Washington, est bien obligé de prendre les avertissements de Trump très au sérieux au vu du rapport de force entre l’Iran et les USA. De sorte que lors des grandes manœuvres des Pasdaran, la semaine dernière, qui ont duré trois jours, ils se sont précautionneusement gardés de tirer des missiles balistiques, se contentant de lancer des fusées tactiques à courte portée, qui ne font peur à personne.

 

Pour Téhéran, l’objectif consiste à compléter sa "ceinture chiite" allant de l’Iran au Liban en passant par l’Irak et la Syrie. En Irak, ils contrôlent déjà le gouvernement central et l’Armée. Ainsi, les troupes qui sont en train de prendre Mossoul sont exclusivement chiites, encadrées par de nombreux soldats iraniens. Elles investissent une ville sunnite, dont les habitants ne montrent aucun signe de liesse en voyant ces combattants inamicaux, les inondant par haut-parleurs d’incantations chiites qui leur sont ostensiblement hostiles. Les habitants de Mossoul, qui ont subi le joug barbare de DAESH, s’apprêtent à subir une nouvelle occupation qu’ils redoutent avec raison. Les portraits des martyrs chiites tués par les sunnites il y a des siècles et les drapeaux iraniens qui surplombent les Hummers des conquérants, ne laissent pas de place à l’illusion d’une vie meilleure.

 

Pour les Occidentaux, l’ennemi c’est DAESH, mais pour le monde arabe, Arabie Saoudite et Egypte en tête, DAESH est un pis-aller mais un pis-aller sunnite, les Occidentaux, des gens qui n’ont jamais rien compris au Moyen-Orient, et l’ennemi, c’est l’Iran.

 

La poussée des Perses explique l’importance stratégique des Kurdes et des Israéliens. Les Kurdes se sont arrêtés à la lisière-est de Mossoul et ils ne participent pas à sa conquête. Ce ne sont pas des Arabes et ils sont pour la plupart d’origine sunnite. Ils sont bien armés et ont un rôle relativement rassurant dans la stratégie américaine (à part pour les Turcs) : ils représentent le seul rempart face à l’expansionnisme iranien, que Barack Obama, en dépit des avertissements urgents de ses généraux, avait laissé se développer.

 

Pas étonnant, dans ces conditions, que Washington a confié aux mêmes Kurdes la tâche de déloger DAESH de sa capitale syrienne Raqqa. Au moins, Raqqa ne tombera pas entre les mains de Téhéran, qui est déjà présent à Damas, à Alep et Homs, ainsi que dans le Golan. Avec ses soldats, certes, mais également, par proxy, avec ses supplétifs chiites libanais du Hezbollah. Khamenei profite ainsi pleinement de la puissance de feu des Russes, sachant fort bien qu’ils ne resteront pas éternellement en Syrie et que les Alaouites de Bashar al Assad sont bien trop peu nombreux pour régir un si grand territoire. Il leur suffit, pensent les Iraniens, d’être présents, d’avoir de la patience, et de ne pas être importunés – ni eux ni le Hezb – par les Israéliens, les Américains et les Arabes.

 

Ces derniers, trop faibles militairement et trop prudents pour agir seuls face à l’Iran en Syrie, se contentent de soutenir des groupes combattants rebelles, à l’instar du Front Islamique, armé et financé par Riyad et Doha, qui compte tout de même quelques 80 000 combattants.

 

Mais il est certain que plus l’Iran progresse dans son projet de Ceinture chiite, plus les Arabes se rapprochent d’Israël. Une alliance que les media du Hezb au Liban n’ont de cesse de fustiger, mais qui s’organise toujours davantage.  Dans la péninsule du Sinaï, la coopération militaire entre le Caire et Jérusalem est omniprésente. Ce n’est pas que le Maréchal al Sissi s’accommode des incursions de Tsahal dans son territoire, c’est qu’il les réclame, en particulier les drones, l’aviation, le renseignement et les opérations de commandos.

 

De même, c’est un secret de polichinelle d’affirmer que des experts militaires israéliens "conseillent" les pays arabes dans leur campagne du Yémen face aux protégés chiites de Téhéran. A la Ména, Fayçal H, notre camarade en poste à Amman, m’assure que des bases de soldats israéliens existent dans le désert saoudien face aux positions iraniennes dans le sud-ouest irakien. Et les formations mixtes de F-16 jordaniens et israéliens patrouillent régulièrement dans cette région ainsi que sur le Golan syrien.

 

En Israël même, la rédaction centrale de Métula me confirme, sans épiloguer, que d’importantes activités se déroulent le long de notre frontière. Du matériel extrêmement performant est entreposé à proximité du Liban-Sud, les exercices, les repérages et les réunions d’officiers d’état-major se multiplient dans la région.

 

Ces derniers jours, des bâtiments de guerre hébreux ont pénétré dans nos eaux territoriales, et les chasseurs-bombardiers à l’étoile de David sillonnent notre ciel quotidiennement et tout le monde peut les voir et les entendre.

 

Si un conflit se précise, l’on peut s’attendre à les voir frapper les Iraniens et les Hezbollanis en Syrie, où la milice a la faiblesse d’agir à l’instar d’une armée régulière et non plus comme une guérilla insaisissable. Jérusalem n’a aucune raison de laisser rentrer les 5 000 meilleurs combattants de la milice chiite au Liban alors qu’ils sont des proies faciles dans leurs baraquements en Syrie.

 

A en croire la rédaction de la Ména, Tsahal est prêt à déferler sur le Liban si Israël est attaqué ou concrètement menacé de l’être. Nous risquons de voir notre ciel regorger de dizaines de drones d’assaut, d’hélicoptères et d’avions d’attaque au sol. Selon les analystes beyrouthins, en cas de conflit, les Israéliens ne prendront plus de gants comme lors des dernières confrontations. Ils cibleront d’emblée tous les réseaux de communications ; ceux du Hezb, évidemment, mais aussi nos routes et nos ponts. Leur tactique consistera à noyer leurs ennemis sous les bombes afin qu’ils ne puissent plus respirer. Les caches de munitions de la milice exploseront les unes après les autres, emportant les voisins avec elles.

 

Au début du conflit, Jérusalem demandera sans doute à Michel Aoun et aux Forces Armées Libanaises de quel côté ils se positionnent. S’ils font une mauvaise réponse, tardent à la donner ou rompent leurs éventuels engagements, le Liban pourrait bien retourner au temps des hommes des cavernes, avec Hassan Nasrallah, vêtu d’une seule peau de bête, faisant tournoyer son gourdin en vociférant hébété "Dimona !", les "plateformes !", "l’ammoniac !".

 

Et si l’Iran s’en mêle, ce qu’il ne fera probablement pas, car l’Iran n’est pas suicidaire et préférera, comme en 2006, envoyer des Libanais pas très futés mourir à sa place, nous aurons droit aux missiles de croisière et aux engins balistiques, pauvres de nous. A voir la manière dont ils détruisent, sans être autrement inquiétés, les installations stratégiques d’Assad au cœur de Damas, quelqu’un de sensé éviterait de provoquer les Israéliens.

 

En bref et en gros, si l’Amérique, les Russes et les Arabes s’en mêlent, cela fera un sacré feu d’artifice, quelques centaines de morts en Israël et des dizaines de milliers chez nous. C’est le cocktail que nous a préparé Nasrallah sur l’ordre du Guide suprême d’un pays qui n’a rien à voir avec le nôtre. Selon les experts qui cherchent une raison logique pour que cela n’arrive pas et qui n’en trouvent pas, ce serait pour la fin du printemps, début de l’été. Espérons qu’ils se trompent ou qu’un évènement majeur vienne changer la donne.

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