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Élection américaine : le vote juif existe-t-il ?

 

Élection américaine : le vote juif existe-t-il ? 

 

J - 19. Les deux candidats à la présidentielle doivent afficher un soutien indéfectible à Israël à l'approche du scrutin. Pourquoi ?

C'est une question qui soulève les fantasmes les plus fous, tant enEurope qu'au Moyen-Orient. L'électorat juif américain détermine-t-il le sort de l'élection présidentielle américaine ? À regarder les positions pro-israéliennes des candidats, parfois même calquées sur les intérêts de l'État hébreu, la réponse paraît acquise. Le président sortant, Barack Obama, a par exemple promis en septembre 2010 la création d'un État palestinien pour 2011, avant d'effectuer l'année suivante une surprenante volte-face en s'opposant à la demande palestinienne à l'ONU. Pendant ce temps, la colonisation des territoires palestiniens se poursuit, en toute impunité.

 

Cela n'empêche pas Mitt Romney d'attaquer sans relâche son adversaire démocrate. Il lui reproche son manque de fermeté, tant sur le conflit israélo-palestinien que sur le dossier du nucléaire iranien. Pourquoi le soutien inconditionnel à Israël est-il à ce point central aux États-Unis ?

Les Juifs d'Amérique (6 millions) ne représentent pas plus de 2 % de la population totale (315 millions d'habitants), loin derrière la communauté noire ou latino, qui s'élève, elle, à 50 millions d'habitants. Essentiellement concentrés sur la côte est et en Californie, ils demeurent, malgré les efforts de la droite, largement acquis à la cause démocrate. En 2008, 78 % d'entre eux avaient porté leur choix sur Barack Obama, d'après le North American Jewish Data Bank. Ils seraient cette année encore 61 % à voter pour le démocrate, contre 28 % en faveur de Romney (11 % d'indécis).

Le social avant Israël

"Comme l'ensemble du peuple américain, les Juifs demeurent plus portés sur les questions d'ordre économique et social", souligne au Point.fr Ira M. Sheskin, professeur à l'université de Miami et directeur d'un rapport pour le North American Jewish Data Bank. Interrogés sur les raisons de leur vote, les Juifs américains sont 80 % à citer en premier lieu l'économie, 57 % la santé, 26 % la sécurité nationale, et seulement 22 % les relations États-Unis-Israël. "Plus éduqués et riches que la moyenne des Américains, les Juifs soutiennent des idées progressistes", assure le professeur Sheskin. Après avoir lutté en faveur du vote des minorités, ils défendent désormais le mariage homosexuel et le droit à l'avortement. Tout ce que rejettent farouchement les républicains.

"Avec un taux de 60 % de diplômés en sciences, il n'est pas étonnant que la communauté ait été choquée par le discours de certains élus républicains en campagne", renchérit Ira M. Sheskin. Candidat à sa réélection à la Chambre des représentants pour le Texas, le républicain Joe Barton s'est déclaré, par exemple, hostile aux éoliennes, car "le vent est la façon dont Dieu régule la chaleur". Quant à Jack Kingston, qui représente la Géorgie, il a indiqué qu'il avait "la ferme conviction" de descendre "de Dieu, pas du singe". Est-ce donc un hasard si, parmi les trente-huit élus juifs au Congrès, un seul est républicain ?

Droitisation des républicains

"Les républicains se sont tellement radicalisés que la majorité des Juifs américains ne sont pas à l'aise avec leurs thèses", affirme encore Ira M. Sheskin. Mais Mitt Romney n'en démord pas et insiste sur sa plus grande proximité avec l'État hébreu. "Il ne s'agit pas de gagner l'électorat juif, mais de capter quelques milliers de voix dans des États-clés", explique au Point.fr Lauric Henneton (1), maître de conférences à l'Université de Versailles Saint-Quentin. Sont surtout visés les "swing states", ces États à l'électorat indécis, à même de basculer d'un camp à l'autre selon le mandat. 

En 2000, par exemple, la Floride s'est jouée à moins de 1 000 voix, permettant à George W. Bush d'empocher les 25 grands électeurs promis au parti vainqueur. Un gain qui s'est révélé capital pour le républicain dans la victoire finale face au démocrate Al Gore. Justement, cet État du sud des États-Unis possède une légère surreprésentation de Juifs par rapport au reste du pays. Ils composent 3,4 % de l'électorat, dont 95 % se déplacent pour voter. Publicités négatives, coups de fil, porte-à-porte ou micro-ciblage à travers les réseaux sociaux, les républicains tentent tout pour attirer la communauté dans leur escarcelle. "Il suffit d'un seul vote d'écart pour remporter le pactole de grands électeurs", rappelle Lauric Henneton.

Des dons faramineux

Problème, plus de la moitié de la communauté juive de Floride est âgée de plus de 65 ans. "S'ils demeurent très attachés à Israël, ils sont davantage préoccupés par les questions de sécurité sociale et de santé", indique le professeur Ira M. Sheskin. Or, grand partisan de la réduction des dépenses publiques, Paul Ryan, le colistier de Mitt Romney, souhaiterait revoir en profondeur le Medicare (programme de protection sociale pour les plus de 65 ans, NDLR), ce qui a provoqué un vent de panique chez les retraités. Difficile, dès lors, de penser que le vote ira au républicain le 6 novembre prochain. 

"Il faut dissocier le vote juif des dons provenant de personnes juives", souligne Ira M. Sheskin. "Dans une campagne où la récolte d'argent demeure capitale, la majorité des dons, qui alimentent les deux camps, proviennent de cette communauté." L'argent sert notamment à financer, à coups de millions de dollars, des spots télévisés dénigrant l'adversaire dans les "swing states". Côté républicain, le plus grand donateur s'appelle Sheldon Adelson. Ce milliardaire juif américain, qui possède plusieurs casinos à Las Vegas, aurait dépensé près de 100 millions de dollars en faveur de Mitt Romney. Il avait pourtant tout d'abord soutenu son adversaire ultraconservateur, Newt Gingrich, lors de la primaire républicaine. 

Le poids des évangéliques

"Sheldon Adelson est uniquement motivé par les intérêts d'Israël", explique Ira M. Sheskin, qui connaît personnellement le milliardaire. "Proche du Premier ministre israélien Netanyahou, il estime qu'Obama n'a pas assez soutenu Israël." "Les donateurs juifs jouent un rôle non négligeable dans cette campagne, mais les origines du financement proviennent de sources très diverses", tempère cependant André Kaspi (2), professeur émérite à la Sorbonne, interrogé par Le Point.fr. "Si certains dons visent effectivement le renforcement des relations États-Unis-Israël, d'autres relèvent de questions sociétales", ajoute le spécialiste de l'histoire des États-Unis.

"Le plus grand soutien d'Israël, ce n'est pas la communauté juive, mais les évangéliques", souligne André Kaspi. Cette communauté de protestants piétistes compte aux États-Unis près de 90 millions de membres, en majorité acquis aux républicains. "Les évangéliques lisent la Bible de manière très littérale", explique au Point.fr Célia Belin (3), docteur en sciences politiques à l'université Panthéon-Assas. "Ils considèrent comme éternelle la promesse de Dieu d'accorder une terre au peuple juif." Reste que les plus grands partisans d'Israël aux États-Unis ne sont pas juifs, ni même évangéliques...

"La grande majorité des Américains s'identifient aux Israéliens, car ils retrouvent chez eux le même côté pionnier, le même exode vers la Terre promise", affirme Célia Belin. Des liens historiques et culturels privilégiés qui s'additionnent à des intérêts politiques, militaires et stratégiques communs dans la région du Moyen-Orient. "Aux États-Unis, les Américains voient les Israéliens comme un peuple opprimé et victime de voisins néfastes", assure la spécialiste des États-Unis. "Ainsi, aucun homme politique américain ne voit aujourd'hui d'intérêt à adopter une attitude équilibrée sur le dossier israélo-palestinien."

 

Par 

 

(1) Lauric Henneton, auteur de Histoire religieuse des États-Unis (éditions Flammarion, 2012).

(2) André Kaspi, auteur de Barack Obama, la grande désillusion (éditions Plon) et coauteur de Les présidents américains (éditions Tallandier, 2012).

(3) Célia Belin, auteur de Jésus est juif en Amérique. Droite évangélique américaine et lobbies chrétiens pro-Israël (éditions Fayard, 2011)

Le Point.fr

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