Banalisation et réhabilitation du Mal
Par Joël Rubinfeld
La trivialisation du nazisme a atteint ces dernières semaines des sommets jusque-là inexplorés. Jeudi passé, ce sont les passagers du train reliant Namur à Bruxelles qui en ont fait les frais, lorsqu’a résonné dans les haut-parleurs du transport public l’annonce suivante: «Bienvenue dans ce train pour Auschwitz. Tous les Juifs sont priés de descendre à Buchenwald». Des propos vert-de-gris qui auront ému de nombreux passagers et suscité une condamnation ferme et immédiate de la part de la direction de la SNCB.
Le mois passé, c’est le bourgmestre socialiste de Molenbeek Philippe Moureaux qui participait de cette trivialisation lorsque, réagissant au reportage de la RTBF «Faut-il craindre la montée de l’Islam?», il comparait les «méthodes» de la chaîne publique francophone à celles de Goebbels! Rien de moins... Est-ce à dire, pour l’historien Moureaux, que les disciples du nazi Joseph Goebbels – ministre d’Adolf Hitler en charge de la Propagande du Troisième Reich de 1933 à 1945 – auraient pris le contrôle de la Tour Reyers? L’ex-ministre de la Justice Moureaux ne devrait-il pas être le premier à savoir qu’assimiler la RTBF à un média nazi pourrait lui valoir d’être condamné par les tribunaux belges sur base de la loi... qui porte son nom et qui pénalise la «minimisation du génocide commis par le régime nazi pendant la seconde guerre mondiale» (cf. loi adoptée en 1995 qui vient compléter la «loi Moureaux» votée en 1981)?
Ces faits qui contribuent à la banalisation du Mal ne sont pas isolés. Dernièrement, on a vu le chirurgien d’un hôpital bruxellois lancer à son stagiaire juif: «Sieg Heil! Retourne dans les chambres à gaz», Dieudonné poser tout sourire aux côtés d’un fan faisant le salut nazi à la sortie de son spectacle à Liège, Jean-Marie Le Pen comparer le meeting de Nicolas Sarkozy au Trocadéro aux rassemblements nazis de Nuremberg, un lycéen de 17 ans ponctuer par un salut hitlérien la minute de silence observée dans les écoles françaises pour les victimes des tueries de Toulouse et Montauban, etc.
Mais il y a plus grave encore. On assiste désormais en Europe à l’émergence de courants dont l’objectif assumé est la réhabilitation du nazisme.
J’en ai fait l’expérience il y a deux mois, lorsque je me suis rendu à Riga, en Lettonie, pour participer à une conférence dont l’objet était de dénoncer la Marche de la Légion lettonne qui, chaque 16 mars depuis 1998, rassemble dans les rues de Riga vétérans et sympathisants de l’unité SS lettonne levée par Adolph Hitler. Ce 16 mars 2012, 1.500 personnes ont défilé – avec la bénédiction officielle du président letton – aux côtés d’anciens SS, de parlementaires de la coalition gouvernementale et du président du parti d’extrême-droite membre de la tripartite au pouvoir. Ce jour-là, l'odeur fétide du Troisième Reich planait sur la belle ville de Riga.
L’avant-veille de la manifestation, j’étais invité à participer à un débat à la télévision publique lettonne. Sur le plateau, un vétéran Waffen-SS dont chaque intervention était chaleureusement applaudie – les interventions «anti-SS» étant, elles, accueillies par un silence réprobateur – et qui reçut, durant le débat retransmis en direct dans les foyers lettons, un bouquet de fleurs d’une adolescente surgie du public. Au terme de l’émission, le vote par SMS des téléspectateurs sera impitoyable: 4.543 pour la Marche des Waffen-SS, 314 contre.
Vendredi dernier, c’est aux Pays-Bas que le curseur s’est cette fois déplacé. Chaque 4 mai depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, nos voisins bataves honorent la mémoire des victimes de la guerre en observant deux minutes de silence à travers tout le pays. Cette année, la ville de Vorden a décidé de changer les règles en annonçant qu’elle rendrait également hommage à la mémoire des soldats du Troisième Reich. Une minute pour les Juifs, une minute pour Hitler en quelque sorte. Une procédure en référé introduite la veille de la cérémonie permettra fort heureusement l’interdiction de cette infamie, mais cela témoigne du fait que ce qui était hier un tabou absolu, résiste péniblement aujourd’hui aux assauts d’un relativisme pervers que le philosophe Leo Strauss résumait en ces termes: «Si tout se vaut, le cannibalisme n’est qu’une question de goût culinaire».
Et pour couronner le tout, les 7% des votes récoltés dimanche dernier aux élections législatives grecques par l’Aube dorée, parti dont l’emblème est une croix gammée stylisée, enverront une vingtaine de députés néo-nazis siéger, pour la première fois, au Parlement hellénique.
On le voit, la situation est extrêmement préoccupante, tant par la nature des faits évoqués que par le rythme croissant de leur répétition. Les responsables politiques doivent agir sans tarder pour que cette gangrène n’aille au bout de son processus et ne menace l’Europe toute entière.
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