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Blaise Pascal et les Juifs.

 

Blaise Pascal et les Juifs.

 

DIEU voulant faire paraître qu'il pouvait former un peuple saint d'une sainteté invisible, et le remplir d'une gloire éternelle, a fait dans les biens de la nature ce qu'il devait faire dans ceux de la grâce ; afin qu'on jugeât qu'il pouvait faire es choses invisibles, puisqu'il faisait bien les visibles.

Il a donc sauvé son peuple du déluge en la personne de Noé, il l'a fait naître d'Abraham, il l'a racheté d'entre ses ennemis, et l'a mis dans le repos.

L'objet de Dieu n'était pas de sauver du déluge, et de faire naître tout un peuple d'Abraham simplement pour l'introduire dans une terre abondante. Mais comme la nature est une image de la grâce, aussi ces miracles visibles sont les images des invisibles qu'il voulait faire.

[§] Une autre raison pour laquelle [74] il a formé le peuple Juif, c'est qu'ayant dessein de priver les siens des biens charnels et périssables, il voulait montrer par tant de miracles, que ce n'était pas par impuissance.

[§] Ce peuple était plongé dans ces pensées terrestres ; que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair, et ce qui en sortirait ; et que c'était pour cela qu'il les avait multipliés, et distingués de tous les autres peuples, sans souffrir qu'ils s'y mêlassent, qu'il les avait retirés de l'Égypte avec tous ces grands signes qu'il fit en leur faveur ; qu'il les avait nourris de la manne dans le désert, qu'il les avait menés dans une terre heureuse et abondante ; qu'il leur avait donné des Rois, et un temple bien bâti, pour y offrir des bêtes, et pour y être purifiés par l'effusion de leur sang ; et qu'il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde.

[§] Les Juifs étaient accoutumés aux grands et éclatants miracles ; et n'ayant regardé les grands coups de la mer rouge et la terre de Chanaan [75] que comme un abrégé des grandes choses de leur Messie, ils attendaient de lui encore des choses plus éclatantes, et dont tout ce qu'avait fait Moïse ne fût que l'échantillon.

[§] Ayant donc vieilli dans ces erreurs charnelles, JÉSUS-CHRIST est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l'éclat attendu ; et ainsi ils n'ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort Saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étaient arrivées en figure ; que le Royaume de Dieu n'était pas dans la chair, mais dans l'esprit ; que les ennemis des hommes n'étaient pas les Babyloniens, mais leurs passions ; que Dieu ne se plaisait pas aux temples faits de la main des hommes, mais en un coeur pur et humilié ; que la circoncision du corps était inutile, mais qu'il fallait celle du coeur, etc.

[§] Dieu n'ayant pas voulu découvrir ces choses à ce peuple qui en était indigne, et ayant voulu néanmoins les prédire afin qu'elles fussent crues, en avait prédit le temps [76] clairement, et les avait même quelquefois exprimées clairement, mais ordinairement en figures ; afin que ceux qui aimaient les choses a figurantes s'y arrêtassent, et que ceux qui aimaient les b figurées, les y vissent. C'est ce qui a fait qu'au temps du Messie les peuples se sont partagés : les spirituels l'ont reçu ; et les charnels qui l'on rejeté, sont demeurés pour lui servir de témoins.

C'est-à-dire les choses charnelles qui servaient de figures. b C'est-à-dire les vérités spirituelles figurées par les choses charnelles.

[§] Les Juifs charnels n'entendaient ni la grandeur ni l'abaissement du Messie prédit dans leurs prophéties. Ils l'ont méconnu dans sa grandeur, comme quant il est dit, que le Messie sera Seigneur de David quoique son fils, qu'il est devant Abraham, et qu'il l'a vu. Ils ne le croyaient pas si grand qu'il fût de toute éternité. Et ils l'ont méconnu de même dans son abaissement et dans sa mort. Le messie, disaient-ils, demeure éternellement, et celui-ci dit qu'il mourra. Ils ne le croyaient donc ni mortel ni éternel : ils ne cherchaient en lui qu'une grandeur charnelle. [77]

[§] Ils ont tant aimé les choses figurantes, et les ont si uniquement attendues, qu'ils ont méconnu la réalité quand elle est venue dans le temps et en la manière prédite.

[§] Ceux qui ont peine à croire en cherchent un sujet en ce que les Juifs ne croient pas. Si cela était si clair, dit-on, pourquoi ne croyaient-ils pas ? Mais c'est leur refus même qui est le fondement de notre créance. Nous y serions bien moins disposés s'ils étaient des nôtres. Nous aurions alors un bien plus ample prétexte d'incrédulité, et de défiance. Cela est admirable de voir les Juifs grands amateurs des choses prédites, et grands ennemis de l'accomplissement, et que cette aversion même ait été prédite.

[§] Il fallait que pour donner foi au Messie, il y eût des prophéties précédentes, et qu'elles fussent portées par des gens non suspects, et d'une diligence, d'une fidélité, et d'un zèle extraordinaire, et connu de toute le terre.

Pour faire réussir tout cela, Dieu a [78] choisi ce peuple charnel, auquel il a mis en dépôt les prophéties qui prédisent le Messie comme libérateur, et dispensateur des biens charnels que ce peuple aimait ; et ainsi il a eu une ardeur extraordinaire pour ses Prophètes, et a porté à la vue de tout le monde ces livres où le Messie est prédit, assurant toutes les nations qu'il devait venir, et en la manière prédite dans leurs livres qu'ils tenaient ouverts à tout le monde. Mais étant déçus par l'avènement ignominieux et pauvre du Messie, ils ont été ses plus grands ennemis. De sorte que voilà le peuple du monde le moins suspect de nous favoriser, qui fait pour nous, et qui par le zèle qu'il a pour sa loi et pour ses Prophètes porte et conserve avec une exactitude incorruptible et sa condamnation et nos preuves.

[§] Ceux qui ont rejeté et crucifié JÉSUS-CHRIST qui leur a été en scandale, sont ceux qui portent les livres qui témoignent de lui, et qui disent qu'il sera rejeté et en scandale. Ainsi ils ont marqué que c'était [79] lui en le refusant : et il a été également prouvé et par les Juifs justes qui l'ont reçu, et par les injustes qui l'ont rejeté, l'un et l'autre ayant été prédit.

[§] C'est pour cela que les prophéties ont un sens caché, le spirituel dont ce peuple était ennemi sous le charnel qu'il aimait. Si le sens spirituel eût été découvert, ils n'étaient pas capables de l'aimer ; et ne pouvant le porter ils n'eussent pas eu le zèle pour la conservation de leurs livres et de leurs cérémonies. Et s'ils avaient aimé ces promesses spirituelles, et qu'ils les eussent conservées incorrompues jusques au Messie, leur témoignage n'eût pas eu de force, puis qu'ils en eussent été amis. Voilà pourquoi il était bon que le sens spirituel fût couvert. Mais d'un autre côté si ce sens eût été tellement caché qu'il n'eût point du tout paru, il n'eût pu servir de preuve au Messie. Qu'a-t-il donc été fait ? Ce sens a été couvert sous le temporel dans la foule des passages, et a été découvert clairement en quelques-uns. [80] Outre que le temps et l'état du monde ont été prédits si clairement que le Soleil n'est pas plus clair. Et ce sens spirituel est si clairement expliqué en quelques endroits, qu'il fallait un aveuglement pareil à celui que la chair jette dans l'esprit quand il lui est assujetti pour ne le pas reconnaître.

Voilà donc quelle a été la conduite de Dieu. Ce sens spirituel est couvert d'un autre en une infinité d'endroits, et découvert en quelques uns, rarement à la vérité : mais en telle sorte néanmoins que les lieux où il est caché sont équivoques, et peuvent convenir aux deux ; au lieu que les lieux où il est découvert sont univoques, et ne peuvent convenir qu'au sens spirituel.

De sorte que cela ne pouvait induire en erreur, et qu'il n'y avait qu'un peuple aussi charnel que celui-là qui s'y pût méprendre.

Car quand les biens sont promis en abondance, qui les empêchait d'entendre les véritables bien, sinon leur cupidité qui déterminait ce sens au [81] biens de la terre ? Mais ceux qui n'avaient de biens qu'en Dieu, les rapportaient uniquement à Dieu. Car il y a deux principes qui partagent les volontés des hommes, la cupidité, et la charité. Ce n'est pas que la cupidité ne puisse demeurer avec la foi, et que la charité ne subsiste avec les biens de la terre. Mais la cupidité use de Dieu, et jouit du monde, et la charité au contraire use du monde et jouit de Dieu.

Or la dernière fin est ce qui donne le nom aux choses. Tout ce qui nous empêche d'y arriver est appelé ennemi. Ainsi les créatures quoique bonnes sont ennemies des justes quand elles les détournent de Dieu, et Dieu même est l'ennemi de ceux dont il trouble la convoitise.

Ainsi le mot d'ennemi dépendant de la dernière fin, les justes entendaient par là leurs passions, et les charnels entendaient les Babyloniens, de sorte que ces termes n'étaient obscurs que pour les injustes. Et c'est ce que dit Isaïe (8. 16.) : Signa legem in discipulis meis ; et que JÉSUS- CHRIST [82] sera pierre de scandale (8. 14.) ; mais bienheureux ceux qui ne seront point scandalisés en lui (Matth. 1. 6.). Ozée le dit aussi parfaitement (14. 10.) : Où est le sage ; et il entendra ce que je dis ? car les voies de Dieu sont droites ; les justes y marcheront, mais les méchants y trébucheront.

Et cependant ce Testament fait de telle sorte qu'en éclairant les uns il aveugle les autres, marquait en ceux-mêmes qu'il aveuglait, la vérité qui devait être connue des autres. Car les biens visibles qu'ils recevaient de Dieu étaient si grands et si divins, qu'ils paraissait bien qu'il avait le pouvoir de leur donner les invisibles et un Messie.

[§] Le temps du premier avènement de JÉSUS-CHRIST est prédit ; le temps du second ne l'est point ; parce que le premier devait être caché ; au lieu que le second doit être éclatant et tellement manifeste que ses ennemis même le reconnaîtront. Mais comme dans son premier avènement, il ne devait venir qu'obscurément, et pour être connu seulement de ceux qui fonderaient les Écritures, Dieu [83] avait tellement disposé les choses, que tout servait à la faire reconnaître. Les Juifs le prouvaient en le recevant ; car ils étaient les dépositaires des prophéties : et ils le prouvaient aussi en ne le recevant point ; parce qu'en cela ils accomplissaient les prophéties.

[§] Les Juifs avaient des miracles, des prophéties qu'ils voyaient accomplir, et la doctrine de leur loi étaient de n'adorer et de n'aimer qu'un Dieu ; elle était aussi perpétuelle. Ainsi elle avait toutes les marques de la vraie Religion ; Aussi l'était elle. Mais il faut distinguer la doctrine des Juifs, d'avec la doctrine de la loi des Juifs. Or la doctrine des Juifs n'était pas vraie, quoiqu'elle eût les miracles, les prophéties, et la perpétuité ; parce qu'elle n'avait pas cet autre point de n'adorer et n'aimer que Dieu.

La Religion Juive doit donc être regardée différemment dans la tradition de leurs Saints, et dans la tradition du peuple. La morale et la félicité en sont ridicules dans la tradition [84] du peuple ; mais elle est incomparable dans celle de leurs Saints. Le fondement en est admirable. C'est le plus ancien livre du monde et le plus authentique. Et au lieu que Mahomet pour faire subsister le sien a défendu de le lire, Moïse pour faire subsister le sien a ordonné à tout le monde de le lire.

[§] La Religion Juive est toute divine dans son autorité, dans sa durée, dans sa perpétuité, dans sa morale, dans sa conduite, dans sa doctrine, dans ses effets, etc.

Elle a été formée sur la ressemblance de la vérité du Messie ; et la vérité du Messie a été reconnue par la Religion des Juifs qui en était la figure.

Parmi les Juifs la vérité n'était qu'en figure. Dans le ciel elle est découverte. Dans l'Église elle est couverte, et reconnue par le rapport à la figure. La figure a été faite sur la vérité, et la vérité a été reconnue sur la figure.

[§] Qui jugera de la Religion des Juifs par les grossiers la connaîtra [85] mal. Elle est visible dans les saints livres, et dans la tradition des Prophètes, qui ont assez fait voir qu'ils n'entendaient pas la loi à la lettre. Ainsi notre Religion est divine dans l'Évangile, les Apôtres, et la tradition ; mais elle est tout défigurée dans ceux qui la traitent mal.

[§] Les Juifs étaient de deux sortes. Les uns n'avaient que les affections païennes ; les autres avaient les affections Chrétiennes.

[§] Le Messie, selon les Juifs charnels, doit être un grand Prince temporel. Selon les Chrétiens charnels, il est venu nous dispenser d'aimer Dieu, et nous donner des Sacrements qui opèrent tout sans nous. ni l'un ni l'autre n'est la Religion Chrétienne ni Juive.

[§] Les vrais Juifs et les vrais Chrétiens ont reconnu un Messie qui les ferait aimer Dieu, et par cet amour triompher de leurs ennemis.

[§] Le voile qui est sur les livres de l'Écriture pour les Juifs, y est aussi pour les mauvais Chrétiens, et pour tous ceux qui ne se haïssent pas [86] eux- mêmes. Mais qu'on est bien disposé à les entendre, et à connaître JÉSUS- CHRIST quand on se hait véritablement soi-même !

[§] Les Juifs charnels tiennent milieu entre les Chrétiens et les Païens. Les Païens ne connaissent point Dieu, et n'aiment que la terre. Les Juifs connaissent le vrai Dieu, et n'aiment que la terre. Les Chrétiens connaissent le vrai Dieu, et n'aiment point la terre. Les Juifs et les Païens aiment les mêmes biens. Les Juifs et les Chrétiens connaissent le même Dieu.

[§] C'est visiblement un peuple fait exprès pour servir de témoins au Messie. Il porte les livres, et les aime, et ne les entend point. Et tout cela est prédit ; car il est dit que les jugements de Dieu leur sont confiés, mais comme un livre scellé.

[§] Tandis que les Prophètes ont été pour maintenir la loi, le peuple a été négligent. Mais depuis qu'il n'y a plus eu de Prophètes, le zèle a succédé : ce qui est une providence admirable. 

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