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C’est la béatification médiatique d’Hessel qui pose problème Par Stéphane Juffa

Le grand homme avec Ismaïl Hanya, Monsieur 100 000 bombes, oui mais sur des Juifs…

 

C’est la béatification médiatique d’Hessel qui pose problème (info # 010103/13) [Analyse]

Par Stéphane Juffa © Metula News Agency

 

Il n’est pas question pour moi d’ajouter mon encre aux critiques de l’œuvre et des idées de Stéphane Hessel. A l’image du Dr. Richard Prasquier, devant les caméras d’I-télé, plusieurs intellectuels ont parfaitement décortiqué le message de feu le vieil indigné.

 

Revenir sur leurs arguments presque toujours pertinents réduirait inutilement la puissance de leurs analyses, et ils ne méritent pas cette injustice.

 

Si je m’exprime aujourd’hui, c’est pour dire ce qu’ils n’ont pas dit et qui est cause, chez moi, d’une profonde inquiétude. Cela s’articule sur un constat principal : ce n’est pas Hessel et son discours qui sont préoccupants mais ceux qui l’encensent et ceux qui le propagent.

 

Le problème ne se situe pas tant dans l’essai de 32 pages Indignez-vous !, paru en 2011, mais dans la couverture dramatique de Libération, présentant le portrait du vieillard défunt, accentué de ces deux mots : "Un juste".

 

Je cite cette une, mais je pourrais mentionner la totalité de la presse tricolore, tombant en extase devant ce "grand homme" qu’elle avait d’ailleurs découvert sur le tard. Des pétitions poussent maintenant comme des champignons, exigeant que la dépouille d’Hessel soit inhumée au Panthéon.

 

Les politiciens unanimes saluent le grand résistant et le défenseur des droits de l’homme qui les a quittés à l’âge avancé de 95 ans. Les seuls bémols que l’on entend se résument aux murmures de certains tribuns de l’opposition, sur le thème "je n’étais peut-être pas d’accord avec tout ce qu’il disait".

 

Mais la seule critique devant ce requiem national vient des Juifs. Et c’est précisément cela qui me préoccupe.

 

Car, lorsqu’il était sorti, j’avais lu Indignez-vous ! en une vingtaine de minutes. Cet opus imposait une conclusion qui me paraissait alors évidente : il est court.

 

Il avait été produit par un auteur alignant les réflexions embryonnaires, les thèses sans défenses et les argumentaires, qu’un analyste au courant de la réalité pouvait exploser sans excès de sudation.

 

Pour ne rien cacher, la focalisation d’Hessel sur la centralité universelle du différend israélo-palestinien m’avait instinctivement fait penser à l’écriture d’un homme déstabilisé ou blessé. Ce, tant la réduction des problèmes du monde à la Bande de Gaza est objectivement indéfendable pendant qu’on s’étripe en Syrie, et tant sa critique de l’Etat hébreu est outrageusement… disproportionnée.

 

Bis repetita de l’indigné sur la fable de Gaza, "prison à ciel ouvert" ; le vieil homme était de ceux qui ignorent que la porte de cette geôle ouvre sur quatorze kilomètres de frontière commune avec l’Egypte islamiste des Frères Musulmans, eux-mêmes les créateurs et les mentors idéologiques du Hamas qui gouverne Gaza.

 

Or c’est un lieu commun de considérer qu’une prison dont la porte n’est pas fermée n’est pas une prison. Ou que si le Hamas connaît des problèmes avec Moubarak et Morsi, cela ne regarde pas Israël.

 

Bien qu’il ait passé sa vie à faire oublier que son père était juif, j’avais l’impression, à le lire, que l’auteur était encore en train de se débattre avec son ascendance ; un peu à la manière d’un autre résistant israélite avec lequel nous avons eu maille à partir, Edgar Morin/Nahum, qui aboutit à la conclusion que les Juifs prennent – ce ne peut être qu’atavique - du plaisir à maltraiter leurs voisins.

 

Mais consacrer plus de la moitié de trente-deux pages d’indignation universelle à Israël, c’était trop. Trop, en tout cas pour une personne intellectuellement équilibrée.

 

Reste que si ce fascicule est faible et qu’il manque même d’originalité quant aux idées qu’il expose, il se place dans l’air du temps. Il est, en effet, de nos jours, difficile de demander aux djeunes de se concentrer sur plus de 32 pages. Encore faut-il, de plus, qu’elles soient dénuées de toute complexité, ce qui cadre sans aucun doute avec le livre en question.

 

Stéphane Hessel se positionnait dans la droite ligne des néo-existentialistes genre Marius Schattner, commandant une vision manichéenne du Moyen-Orient et du monde, scandée avec de fortes inflexions fanoniennes concernant les axiomes oppresseur-oppressé, occupant-occupé, ainsi que les gentils barbares exploités, qui, afin de retrouver leur dignité, doivent impérativement massacrer leurs ennemis de la façon la plus sauvage possible.

 

Las de ces considérations ! Les propos et les fantômes de l’indigné de service furent ce qu’ils furent et personne n’est obligé ni d’aimer Israël, ni de professer une approche équilibrée des conflits. D’ailleurs, et, pour ne pas l’imiter, il faut le lui concéder, il ne prônait pas la disparition d’Israël mais la solution dite des deux Etats, ce qui ne coïncide pas forcément, d’un point de vue logique, avec le reste de ses propositions.

 

Et c’est à partir de là qu’Hessel se retrouve en position de hors-jeu ; quand, pour aller jusqu’au bout de sa haine de l’Etat hébreu, Hessel prend la liberté de normaliser le nazisme en affirmant que "l’occupation allemande (de la France) était, si on la compare par exemple avec l’occupation actuelle de la Palestine par les Israéliens, une occupation relativement inoffensive".

 

A quoi Hessel trouvait naturel d’ajouter : "(…) abstraction faite d’éléments d’exception comme les incarcérations, les internements et les exécutions, ainsi que le vol d’œuvres d’art. Tout cela était terrible. Mais il s’agissait d’une politique d’occupation qui voulait agir positivement (…)".

 

Au Panthéon, dites-vous ?

 

Parce que cette "occupation positive" a tout de même coûté la vie, entre 39 et 45, à la bagatelle de 567 600 Français, soit à 1.35% de la population hexagonale de l’époque. Ce, tandis que toutes les guerres entre Israéliens et Arabes, depuis avant même la création de l’Etat hébreu, à partir de 1945, civils et combattants des deux bords confondus, n’ont pas tué plus de 60 000 êtres humains. Et que l’ "occupation" israélienne ne fait de victimes que fort occasionnellement.

 

Mais comment, pour rester dans les chiffres, Hessel peut-il parler de la sorte d’un conflit mondial ayant anéanti entre 60 et 70 millions d’individus ? Et comparer favorablement les dégâts du nazisme à la politique de l’Etat démocratique d’Israël ?

 

Des intellectuels décents ont également abondamment commenté ces affirmations déraisonnables et haineuses de l’indigné, nul besoin, dans ces conditions, d’analyser cette dérive. J’ai commencé ce papier en disant que ce n’est pas Hessel qui cause souci mais la réaction de ceux qui l’écoutent.

 

Car, en situation régulière, un homme se permettant d’émettre de semblables non-sens serait mis au banc de la société en général, et, particulièrement, de celle de l’intelligentsia et de la politique. Lors, ce n’est pas le cas, et nous de nous poser la question de savoir comment un être sans relief particulier, capable d’élucubrations historiques afin d’attiser la détestation d’un peuple, normalisant l’inénarrable monstruosité hitlérienne, dont l’extermination industrielle de six millions d’Israélites, devient-il, à sa mort, le juste d’une nation.

 

Nous en tirons un double enseignement. D’abord, il est à nouveau possible, dans la France du début de ce XXIème siècle, de stigmatiser Israël et les Juifs sans avoir besoin d’étayer ses propos. Fustiger l’Etat hébreu en le comparant, par exemple, défavorablement au IIIème Reich ne suffit plus à relativiser le jugement des journalistes, des intellos et des hommes politiques bleu-blanc-rouge sur l’auteur d’une telle comparaison.

 

Nous sommes revenus aux périodes brunes de la République, à l’Occupation précisément, et, antérieurement à la période de l’Affaire Dreyfus, quand on pouvait être un grand homme tout en abhorrant les Israélites ; ou pire, être considéré comme un juste – j’ai aussi lu qu’Hessel avait été un sage – précisément parce qu’on les exècre.

 

Il n’est plus nécessaire, aujourd’hui en France, de respecter l’honneur de la nation d’Israël pour déclencher la pamoison. On l’avait déjà remarqué en considérant le commentaire oiseux que l’émission du service public "Un Œil sur la planète" a récemment consacrée à Israël, de même que la démission des garde-fous de ladite République et de tous les syndicats de journalistes unanimes, qui hurlent, au nom de la liberté d’expression, haro sur le baudet israélien, à la place d’exclure les charlatans racistes de l’info de leur sein.

 

On a aussi patiemment observé le fonctionnement de la presse francilienne à l’occasion de la Controverse de Nétzarim, celui de la justice tricolore, et celui de l’exécutif, n’ayant pas hésité à mélanger leurs efforts afin de protéger de la disgrâce la grossière imposture anti-israélienne de Charles Enderlin et de France 2.

 

Et si je rappelle ces trois occurrences, dans l’ordre chronologique, l’Affaire Dura, un Œil sur la planète et l’hommage exagéré d’un pays à Hessel, négationniste par occultation du génocide nazi, c’est parce qu’en ces trois occasions, toutes les élites du pays France ont pris position, tandis que les Juifs français et leur bon droit se sont retrouvés terriblement seuls et isolés dans l’autre camp.

 

Et s’il n’est pas concevable d’attendre d’un Juif qu’il accepte la normalisation de l’Occupation nazie ni la comparaison de l’hitlérisme avec Israël, il reste à observer que les goys franchissent ces pas avec enthousiasme et bonne conscience.

 

A la nuance près que pendant l’Affaire Dreyfus, la condamnation d’un Juif innocent – c’est toujours la même chanson qui passe en boucle, semble se faire oublier, puis revient, plus féroce qu’auparavant – tous les Dreyfusards n’étaient pas israélites, alors que de nos jours, on compte les anti-Hessel non juifs sur les doigts de ses deux mains.

 

Ce qui arrive aujourd’hui, et qui va, derrière l’indigné disparu, rechercher ses valeurs dans la résistance, ne le fait pas par hasard. Car le temps de l’Occupation constitue l’une des nombreuses pages de leur histoire que les Français ne sont pas parvenus à analyser puis à tourner. Car pour pouvoir tourner une page, il faut d’abord être capable de l’expurger de ses toxines. Sinon elle se rouvre toute seule et quand elle le décide.

 

Or les Français ont laissé derrière eux tant de pages ouvertes s’accumulant dans leur inconscient collectif, qu’elles aboutissent à des comportements publics qui demeurent imperméables à la compréhension des étrangers.

 

En écrivant ce qu’il a écrit sur la douceur de la vie sous les Boches, en imputant artificiellement à la nation juive une cruauté supérieure à la leur, en faisant, de la sorte, d’Israël le repère symbolique du mal absolu, on réalise une sorte d’exorcisme nauséabond et terriblement dangereux, rétroactif, du droit qu’auraient pu avoir les grands-parents de détester les Juifs sans avoir de raison à présenter. Et pourquoi pas, celui de ne pas être braves et de les livrer aux Allemands ou de copuler avec eux.

 

Et cette France intellectuelle, démocrate chrétienne tout en se voyant à gauche, et surtout adaptable à l’envi, briguant le privilège de donner des leçons sans jamais en recevoir, qui supporte mal d’avoir sans cesse à se justifier du traitement de ses Juifs sous l’Occupation, applaudit des deux mains le témoignage indigne d’un Israélite affirmant que l’ère nazie n’était pas si terrible que cela, et que ce qu’Israël inflige aux Arabes est largement pire.

 

Il restera ensuite à ces confrères journalistes, à ces camarades intellectuels et aux députés de toutes tendances à trouver le moyen d’exfiltrer aussi Madagascar, l’Algérie et les 900 000 morts du Rwanda, que la seule évocation suffit à rendre hystériques.

 

Les 700 000 Français juifs vivants attendront-ils patiemment les retombées inévitables de cette nouvelle-ancienne forme pernicieuse d’antisémitisme ? Et puis… est-il possible à une minorité d’être seule convaincue d’une vérité, face à tous ses compatriotes persuadés du contraire ? Est-ce supportable, sans compter le danger de violence physique qu’accompagne habituellement ce genre de délire collectif ? Si les Juifs sont pires que les nazis et qu’il faut conduire Stéphane Hessel au Panthéon, le temps n’est-il pas venu de leur régler leur compte ? Un certain nombre de Français impliqués plus que les autres dans le conflit proche-oriental, et pas toujours capables de lire des ouvrages d’histoire de 250 pages, ont, semble-t-il, déjà fait leur choix.

 

Peut-on être "un juste" et abominer Israël ? Pour Libération et l’ensemble des media français, cela ne pose apparemment aucun problème.  

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