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Citoyenneté : L’histoire revisitée des juifs d’Egypte

Magda Haroun a succédé à Carmen Weinstein, décédée il y a 2 semaines

 

 

Citoyenneté : L’histoire revisitée des juifs d’Egypte

 

 

 

  Le décès de la présidente de la petite communauté des juifs d’Egypte, Carmen Weinstein, a coïncidé avec la projection d’un documentaire sur son histoire. Mais sans reconnaissance officielle, elle restera confinée quelque part entre la nostalgie et le reniement.

 

En 1807, Napoléon Bonaparte convoque les représentants et les grandes personnalités des juifs de France lors de ce qui fut appelé le Grand Sanhédrin. En ce moment de l’Histoire, Napoléon n’avait pour les juifs ni amour ni haine, il a initié cette réunion en homme d’Etat pour discuter de l’avenir des juifs de son pays.

 

En effet, après la Révolution fran­çaise de 1789, Napoléon ne voit pas d’obstacle à intégrer les juifs à la nation française, d’où la promulga­tion en 1791 du décret de leur éman­cipation qui leur donne accès à tous les droits civiques.

Mais la mise en pratique de cette égalité rencontre des difficultés, notamment à cause de la suspicion de l’opinion publique et de l’Etat français quant à la loyauté des juifs. C’est pour briser cette barrière que Napoléon convoque les juifs de son pays pour évoquer les obstacles qui entravent leur intégration dans la France post-révolutionnaire. Il s’agissait de répondre à une ques­tion : la loyauté des juifs est-elle complète et totale ? En d’autres termes, si la France entre en guerre contre un pays où vivent des juifs, de quel côté se mettront les juifs de France ?

Les représentants de ces derniers donnèrent une réponse claire : si la citoyenneté signifie l’égalité des droits et des devoirs, il s’ensuit que leur appartenance au judaïsme et leur sympathie avec les juifs d’ici ou là ne sauraient contredire leur loyauté à la France.

La réunion entre Napoléon et les juifs de France n’est pas un fait his­torique unique en son genre. Faire de l’ordre chez soi, sur les bases de la citoyenneté et de l’égalité, a toujours été la première préoccupation des sociétés post-révolutionnaires à tra­vers le monde.

Il en fut ainsi pour le mouvement des Officiers libres en 1952, plus connu par la suite comme la «Révolution de Juillet ». Après la prise du pouvoir par les militaires, le président Mohamad Naguib décide de visiter la synagogue de la rue Adly, au centre-ville du Caire, pour rassurer les membres de la commu­nauté juive et leur dire qu’ils sont Egyptiens avant tout et qu’ils ne ris­quent pas d’être lésés à cause de la question palestinienne. Sauf que cette visite ne fut que d’ordre sym­bolique et n’a débouché à rien qui ressemble au décret de 1791 en France.

Il se peut que Naguib fût sincère et que le nouveau leadership de Gamal Abdel-Nasser soit revenu sur les engagements faits aux juifs d’Egypte. En tout état de cause, la visite sym­bolique n’a pas été suivie des démarches légales susceptibles d’as­seoir le principe de citoyenneté.

Des décisions sans dialogue

Le Conseil de commandement de la Révolution de 1952 aurait décou­vert que la question de la loyauté juive serait mieux tranchée non à travers un dialogue à la Napoléon, mais plutôt à travers une série de décisions et de mesures oppressives pour, au mieux, les amener à quitter le pays ou, au pire, les en chasser.

Plus dur que le départ ou l’expul­sion des juifs d’Egypte sont les cam­pagnes menées par la suite pour ter­nir leur image, leur culture et leur histoire. Comme si l’Etat égyptien cherchait à légitimer son action prise à leur encontre. En effet, c’est l’ap­pareil étatique qui fut le premier à mettre en doute leur loyauté en pré­sentant le juif égyptien comme un sioniste par nature, dont la loyauté est d’abord et avant tout pour Israël.

La ligne politique des médias et de l’enseignement ont par suite élargi ces préjugés à l’ensemble des juifs. D’où les stéréotypes horriblement négatifs qui représentent les juifs comme une communauté repliée sur elle-même, hostile aux non-juifs, conspiratrice et responsable de tous les maux de l’humanité.

Et alors que cette campagne se poursuit, le nombre des juifs d’Egypte passe de plus de 100 000 en 1952 à quelques dizaines aujourd’hui. Une rupture de connais­sance s’est installée, séparant la majorité des Egyptiens de la religion et la culture juive. Voire séparant les juifs de leur propre pays. Dans la culture populaire, le mot « juif » équivaut désormais à une insulte !

Redécouvrir l’Histoire

Or aujourd’hui, l’Egypte vit une nouvelle révolution. Laquelle est accompagnée, comme c’est le cas de toute révolution, d’une envie de redécouvrir l’histoire de la patrie. Concernant cette partie de l’Histoire consacrée aux juifs égyptiens, il y en a ceux qui font l’apologie du passé patriotique et ceux qui mettent en cause sa version officielle.

Ces derniers appartiennent surtout aux générations qui n’ont pas vécu cet épisode de l’Histoire. Motivés par leur curiosité, leur découverte s’exprime sous forme d’oeuvres artistiques et littéraires dont la plus récente fut le documentaire d’Amir Ramsès Juifs d’Egypte, qui donne la parole aux juifs pour parler de leur vie et de leurs souvenirs en Egypte.

Cette expérience réussie du jeune réalisateur égyptien, qui a essayé de rétablir la beauté de la relation de l’Egypte avec ses juifs, exprime l’en­vie de toute une génération qui veut savoir ce qui s’est exactement passé.

Mais les efforts — louables — des intellectuels et des artistes resteront insuffisants pour nous renseigner sur le présent et l’avenir de la commu­nauté juive d’Egypte, tant qu’ils ne seront pas soutenus par l’Etat égyp­tien.

Tout d’abord, il faut reconnaître que le regard porté par les Egyptiens sur leurs compatriotes juifs est pri­sonnier de la dichotomie de la rup­ture et de la nostalgie. Une majorité d’Egyptiens ne reconnaissent pas l’héritage des juifs égyptiens qu’ils regardent avec mépris, sinon avec racisme.

Mais une partie de la population est nostalgique de l’Egypte des années 1930-40 où musulmans, chré­tiens, juifs, Grecs et Italiens cohabi­taient avec harmonie et tolérance ... cette Egypte appelée «mère du monde » qui les rassemblait tous sous ses ailes. Une nostalgie qui leur permet de s’évader de leur quotidien, avec toute sa laideur sociale et poli­tique, vers un passé récent, plus beau.

Réconciliation nationale

Pour sortir de cette dichotomie et pouvoir considérer la position des juifs d’Egypte aujourd’hui et demain, une réconciliation égypto-égyptienne est indispensable. En fait, les juifs d’Egypte sont porteurs d’un symbo­lisme beaucoup plus important que ne le suggère leur nombre, dans la mesure où la relecture de l’histoire de leur exode fera la lumière sur une partie de notre histoire nationale, et dans la mesure où la préservation de leur héritage, culturel et architectu­ral, est un gage de respect par l’Egypte post-révolutionnaire des principes de citoyenneté et de sa propre pluralité culturelle et reli­gieuse.

La réconciliation avec les juifs d’Egypte fait donc partie de la réconciliation de l’Egypte avec elle-même. C’est d’autant plus dommage qu’au lieu de présenter ses condo­léances à la minuscule communauté juive d’Egypte à l’occasion du décès, le mois dernier, de sa présidente Carmen Weinstein, la présidence de la République a choisi de s’adresser à l’opinion publique occidentale en les publiant dans un grand journal américain .

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