Cri du cœur pour Tunis, ma ville qui se meurt…
Publié par Hatem Bourial
Pourquoi cacher le malaise que je vis au quotidien dans les rues de Tunis. Mes lecteurs me pardonneront d’employer un terme excessif mais ce qui se passe sur la voie publique est à maints égards scandaleux, pornographique (au sens étymologique du terme).
Des enfants qui lancent des pierres sur les passants, des désœuvrés qui boivent ostensiblement leur litre de rouge, des lycéens qui se comportent comme des hordes imbéciles, des filles obligées de se vêtir d’accoutrements de style afghan pour échapper ne serait-ce qu’aux violences verbales, d’autres filles qu’on dirait tout droit sorties de bordels thaïlandais, des bars où l’on boit comme dans l’Assommoir de Zola, des ivrognes qui pissent sans se soucier où et devant qui, des voleurs dans tous les recoins, des cafés bondés d’oisifs à perte de vue, des voitures garées partout, des voitures qui roulent partout, des voitures qui accélèrent là où il ne faut pas, des mendiants qui essaient de tirer leur épingle du jeu, de faux aveugles et de vrais myopes, du verbe obscène partout, partout, partout et à longueur de journée.
Sous nos regards coupables, nos rues sont devenues pornographiques, suintent de violence, se vautrent dans l’incivilité. Où sommes-nous ? Que sont nos valeurs devenues ? Que vont nos villes devenir ?
Au début des années soixante-dix, les sociologues parlaient de la ruralisation des villes. Je ne sais de quoi ils parleraient aujourd’hui. De fait, je ne désire pas entrer dans cette discussion car j’ai non seulement un respect têtu pour le monde rural (où nous avons tous nos racines quelque part) mais aussi la profonde conviction que tous les Tunisiens ont droit à leur capitale et aux grandes villes du pays.
Par contre, ce sont les modes de vie dans les grandes villes qui posent problème. Et dans cette optique, le passif continue à s’amplifier. Nous avons d’abord connu la défiguration des accès de pratiquement toutes nos villes au point où l’anomalie est devenue une règle incontournable dans notre paysage. Entrer à Zaghouan, à Kasserine ou ailleurs implique le passage inévitable devant le spectacle d’immeubles provisoires et de garages polluants équitablement répartis des deux côtés de la chaussée avec cette alternance hideuse du rouge brique avec le gris cendre du ciment.
Les ceintures vertes, n’en parlons plus ! Irrémédiablement bouffées par les constructions souvent anarchiques qui n’hésitent plus à s’installer dans le lit des rivières.
Nous avons connu l’oukalisation et son contraire, les marchés modernisés puis le retour aux souks hebdomadaires, l’ouverture puis l’authenticité, puis l’authenticité sans ouverture et vice-versa.
Que mes lecteurs me pardonnent certains mots qu’ils pourraient juger excessifs. Mais souvent, la réalité est plus excessive encore. Et puis qu’on prenne ce coup de gueule pour ce qu’il est : un simple cri du cœur, l’appel désespéré de quelqu’un qui n’en peut plus, l’expression d’un ras-le-bol longtemps contenu.
Cette réalité brutale de nos rues me donne des crises d’asthme. Ces petits délinquants et ces terribles chauffards, je le sais, ne sont qu’une minorité bruyante mais elle occupe le haut du pavé et rend souvent le reste invisible.
Je sais aussi l’amertume de ces propos mais si je les tiens devant vous, c’est bien parce que je suis convaincu qu’il est encore possible d’inverser cette malheureuse tendance qui «pornographise» le réel, le vécu et la vertu.
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