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Dans les kibboutz, une utopie qui se réinvente

Dans les kibboutz, une utopie qui se réinvente

 

 

 

 

La privatisation partielle des kibboutz, dont on fête les 100 ans d’existence, n’implique pas pour autant leur disparition. On y note même un retour des jeunes qui aspirent à une bonne qualité de vie, loin des villes, et au maintien de certains services collectif.

 

Elcam Medical est une petite usine high-tech comme il en existe beaucoup en Israël, devenue l’une des premières productrices mondiales de robinets à perfusion et d’auto-injecteurs pour piqûres. Sa particularité est d’appartenir au kibboutz Baram, sur la frontière du Liban, auquel elle a apporté la prospérité.

Les 80 membres qui s’y activent perçoivent tous le même argent de poche mensuel, femme de ménage aussi bien qu’ingénieur, soit souvent moins que les 200 salariés qui viennent travailler chaque jour des alentours. Bureaux aux États-Unis et en Chine, usine en Italie… On est loin ici desfermes collectives dont l’image reste trop souvent associée à la grande aventure kibboutzique.

On pourrait aussi bien pousser la porte de l’entreprise Ricor, créée par le kibboutz Ein Harod (à la frontière avec la Cisjordanie), spécialisée en caméras à infrarouge et composants pour les appareils de vision de nuit. En haute Galilée, Shamir Optical excelle dans la fabrication de verres de lunettes. 

Ne pas oublier non plus que c’est dans les kibboutz israéliens que l’on fabrique les meilleurs blindages pour véhicules (naguère conçus pour les chars) et qu’ont été mises au point les premières techniques d’arrosage de plantes au goutte-à-goutte.

CHAMBRES D’HÔTES, HÔTELS, PARCS DE LOISIRS…

Plasturgie, électronique… Et puis tourisme, même si les premiers kibboutzniks avaient décrété que « servir n’est pas socialiste » ! Certains villages avaient ouvert de simples chambres d’hôtes, puis ont élevé des hôtels (comme à Ginosar et Kfar Giladi), des villages de vacances (à Ein Gev), des parcs de loisirs (à Ein Shemer), des centres de conférences (à Ramat Rachel, aux portes de Jérusalem). 

À Ein Gedi, un kibboutz très vert en plein désert (sur la mer Morte), on élabore des produits cosmétiques pour les curistes amateurs de bains salés.

Pourquoi ces évolutions, souvent imprévues ? Parce que, depuis l’arrivée au pouvoir du Likoud (en 1977), les gouvernements successifs ont réduit les aides au mouvement kibboutzique pour privilégier les colonies de peuplement dans les Territoires occupés. 

Ainsi les conservateurs ont-ils toujours préféré la famille « nucléaire » à la vie communautaire. La crise économique et l’hyperinflation des années 1980 ont également ébranlé l’équilibre financier de nombreux kibboutz, au point qu’une trentaine d’entre eux (dont celui de Shimon Peres, en 1988) fermaient sous le poids de l’endettement.

SE RÉSOUDRE « À METTRE UN PRIX SUR CHAQUE CHOSE »

Pour se renflouer, comme on s’en souvient à Ein Gev et Ein Gedi, il a fallu se résoudre « à mettre un prix sur chaque chose ». Que valait un repas pris en libre-service à la cantine, ou encore l’accès d’un enfant à la crèche ?

Il s’agissait de « privatiser » les prestations proposées, du moins partiellement, aussi bien que les moyens de production. Comment permettre à l’occupant d’un logement d’en devenir propriétaire ? Comment supprimer la traditionnelle allocation versée à chacun, pour ses frais personnels, et instaurer à la place de vrais salaires – en les différenciant même selon les fonctions exercées au travail ? 

On devine les effets en cascade que cette « régression » provoqua, à commencer par la levée de l’interdiction pour les comptes bancaires individuels… Les « nouveaux kibboutz » devinrent peu à peu les plus nombreux (environ 220 aujourd’hui), dits en hébreu affrata (privatisés). Ce sont les plus riches – comme Baram – qui ont pu, paradoxalement, préserver l’essentiel de leur mode de vie collectif.

LES SERVICES OFFERTS ICI SONT DE QUALITÉ

On devine l’amertume chez certains membres : « Avoir autant travaillé pour aboutir à ça ! » Chez les aînés, des craintes sont apparues pour le maintien dans le logement ou les revenus des vieux jours. Du moins une solidarité minimale continue-t-elle souvent à s’exercer, pour l’éducation des enfants, le soutien aux plus fragiles, les soins aux personnes âgés. 

On le mesure par exemple dans cette maison de retraite médicalisée d’Ein Harod, où une femme de 88 ans ne veut plus entendre parler de nouveaux changements : « J’ai choisi les kibboutz pour vivre à la manière des kibboutz ! »

C’en serait-il fini de l’esprit des origines ? Non, pas tout à fait. À Ein Gedi, sur la mer Morte, une quarantaine de nouveaux membres ont apporté récemment du sang neuf à une communauté qui vieillissait. La vie est chère en Israël, les logements manquent et les services offerts ici sont de qualité. Les enfants, que ne guettent souvent ni la drogue ni la délinquance, y sont « comme au paradis ».

LA VIE À LA CAMPAGNE ATTIRE

À Ein Harod aussi, l’un des responsables témoigne de ce que la vie à la campagne attire et qu’une liste d’attente a été établie, tout comme à Baram. Il plaint sa fille qui mène une vie si stressée à Tel-Aviv, « en gagnant beaucoup d’argent mais en dépensant plus encore ».

Au kibboutz de Yiron, qui s’est lancé dans la production de vin en haute Galilée (sous l’appellation Galil), la salariée qui tient la caisse du magasin se souvient de sa vie communautaire passée : « J’avais parfois l’impression que la porte se refermait sur moi ! »

Assez travailleuse, elle s’exaspérait à la vue de certains profiteurs qui s’incrustaient au kibboutz « comme des passagers clandestins ». Vivant désormais à l’extérieur, elle se sent plus indépendante et pense qu’il lui sera plus facile de laisser un héritage à ses enfants, « de leur préparer un meilleur avenir ». Néanmoins elle vit seule et se souvient qu’elle ne souffrait jamais auparavant de la solitude…

UNE DISPARITION TANT DE FOIS ANNONCÉE 

Les premiers kibboutz israéliens ont juste 100 ans et leur disparition a été tant de fois annoncée ! Leur mission historique, qui consistait à fixer la population sur la terre d’Israël et à fournir des cadres au pays, s’est effectivement achevée. 

Environ 120 000 kibboutzniks pour un pays de huit millions d’habitants : c’est finalement assez peu. Nombre de ces militants ont vieilli et le danger pourrait être une dilution pure et simple de leur mode de vie dans le paysage environnant. 

Les kibboutz deviendraient de simples lotissements fermés pour personnes âgées ou privilégiées, des resorts à l’abri de la vie du dehors, et qui se garderaient certains services collectifs derrière leurs barrières.

L’EXPÉRIENCE DES NOUVEAUX « KIBBOUTZ URBAINS » PROMETTEUSE

La grande aventure collective évoluera-t-elle vers ce contre-modèle ? Peut-être pas. La fameuse « privatisation », dont le nom même semble annoncer la fin de tout, n’est jamais absolue au sein des communautés. La persistance d’une culture de la solidarité, le maintien de certaines prestations partagées (santé, achats, loisirs), l’attirance exercée auprès de familles plus jeunes semblent des gages d’avenir. 

Sans doute l’idéologie originelle n’a-t-elle pas fait naître « l’homme nouveau » escompté. Il a fallu s’adapter à l’individu, ses aspirations à l’autonomie, mais le repli du collectif s’effectue en bon ordre. L’expérience des nouveaux « kibboutz urbains » semble également prometteuse : une jeune génération de volontaires, partageant la même vie, y effectue un remarquable travail social auprès des milieux et quartiers défavorisés.

À Ein Gev, l’historien Muki Tsur suit de longue date l’évolution des kibboutz et il garde « beaucoup de foi pour l’avenir ». À la délégation du tourisme à Jérusalem, l’ancien militant Shmuel Savion se fait lui aussi optimiste. Ces deux riches personnalités, très lumineuses, veulent croire que l’utopie ne mourra pas et que, plus modeste qu’hier, elle est en train de se réinventer.

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Pour découvrir les kibboutz

Nombre de kibboutz israéliens se sont ouverts au tourisme : tant pour les familles que pour les hommes d’affaires (conventions, séminaires) et aussi pour les pèlerins qui se rendent en Terre sainte. De la modeste chambre d’hôtes à l’hôtel de qualité, on y trouve des hébergements à tous les prix, avec la possibilité de visiter parfois les installations communautaires et les unités de production (fermes modèles, petites entreprises). Un nouveau tourisme vert trouve là aussi, en pleine campagne, matière à se développer.

Une chaîne « des hôtels de kibboutz » propose une douzaine de ces établissements, ainsi que des villages de vacances et des gîtes d’étape au confort plus sommaire, dispersés à travers le pays, de la haute Galilée à la mer Rouge. Possibilité de circuits et de forfaits, avec vols compris. Tous renseignements sur www.kibbutz.co.il ou auprès de Kibbutz Hotels Chain à Tel-Aviv (khc–rsv@kibbutz.co.il). À Paris, Office de tourisme israélien au 01 42 61 85 84, www.otisrael.com
PIERRE-YVES LE PRIOL (à Ein Gedi)

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