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"Deux étrangers" : un fabuleux roman signé Emilie Frèche

 

"Deux étrangers" : un fabuleux roman signé Emilie Frèche

"Deux étrangers", le nouveau roman d'Emilie Frèche, se dévore plus avidement encore que le précédent ("Chouquette"). Aux côtés de la narratrice, le lecteur s'embarque pour un road-movie Paris-Marrakech, dans l'attente d'un rendez-vous avec un père haï, et peut-être adoré. Un pur délice qui mêle subtilement voyage, réminiscences d'enfance et interrogation sur la famille, la judaïté et l'altérité.

 

Familles, je vous hais ! Air connu et variation réussie.

Deux étrangers débute par le coup de fil d'un père demandant à sa fille de venir le voir d'urgence à Marrakech. Elise, qui a coupé les ponts depuis sept ans, déteste ce potentat domestique qui a tyrannisé sa mère, son frère, elle-même.

Elle a cru rompre les liens. Pourtant, alors qu'elle est séparée depuis un mois de son compagnon, elle va abandonner ses deux fils pour rejoindre le Maroc dans une vieille Renault 5, "seule chose qui lui reste de sa mère", en un improbable road-movie.

Aventures cocasses et réminiscences d'enfance

Les étapes de ce voyage initiatique permettent à la narratrice de remonter le fil de sa mémoire. A la première personne, elle livre un récit où s'entremêlent aventures parfois cocasses, réminiscences d'enfance, réflexion sur son couple au bord de la rupture, sur la souffrance familiale et sur une judaïté pas toujours bien vécue.

Ainsi son père, juif d'Afrique du Nord, a t-il décidé "de s'appeler Amour" au lieu de Benhamou et épousé une askhénaze dont il ne supportait "ni la culture ni la nourriture ni l'humour" yiddish.

  "L'envie folle de le finir au pic à glace"

Ce despote familial, se souvient-elle, faisait régner la terreur jusque dans son impeccable Safrane où il ordonnait à ses enfants un silence total, sous peine de "leur en coller une". Et sa fille, des années plus tard, de se rappeler du visage tremblant de sa mère, de "la voix obscène des animatrices radio et surtout" de son "envie folle de le finir au pic à glace".

Autobiographique, cette terreur ? Pas du tout, souligne la romancière. Et pour éviter toute confusion, réglons la question : il ne s'agit pas ici d'une autofiction scabreuse à la Christine Angot, mais d'une vraie construction romanesque qui se joue du lecteur, et le tient en haleine de bout en bout.

A travers ce personnage fictif, donc, Emilie Frèche s'interroge sur la transmission :  pourquoi le personnage du père, dans le livre, est-il si incapable de tenir coorectement son rôle ? "Parce que lui-même n'a pas fait le deuil de son propre père" , tué d'une balle perdue pendant la guerre d'Algérie (anecdote, pour le coup, empruntée à l'histoire personnelle de l'auteure).

Ce deuil qui n'a pas eu lieu le transforme pour toujours en fils orphelin. Et en héritier d'une "guerre qui n'en finit jamais". 

 " Comment on s'enracine sans terre ?"

Autre question taraudante du roman, autour de cet anti-héros juif et exilé : " Comment on s'enracine sans terre ? Quand on a une condition d'étranger, comment ne pas l'être à l'autre ?"

Des concepts lourds, que l'auteure, titulaire d'un DEA de philosophie politique, sait allèger d'une plume gourmande et sensuelle dans ce "page-turner" où les chapitres se dévorent, tant on brûle d'en connaître l'issue. 

Dans son sillage, le livre laisse bien plus que du plaisir : un questionnement subtil et l'attachement durable à son auteur.

Dans son prochain roman, Emilie Frèche mettra en scène un frère et une soeur. En filigrane et toile de fond : le thème de l'injustice. Injuste comme le talent de cette fabuleuse romancière.

Deux étrangers, Emilie Frèche
Actes Sud, 21 euros (en librairie le 9 janvier)

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