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Elie Wiesel, écrivain qui transforme le désespoir en espoir

 

Elie Wiesel, écrivain qui transforme le désespoir en espoir

 

Rescapé de la Shoah, l'écrivain et prix Nobel de la paix Elie Wiesel a frôlé une seconde fois la mort lors d'une intervention à cœur ouvert. L'événement lui a inspiré un livre, "Cœur ouvert", sorti il y a cinq semaines. Michaël de Saint-Cheron, spécialiste de l’œuvre de Wiesel, décode cette introspection.

 

1956-2011. Cinquante-cinq ans d’écriture séparent les deux livres majeurs d’Elie Wiesel, "La Nuit" et "Cœur ouvert" : toute une vie d’écriture entre la mémoire de la mort de son peuple et la vie.

 

Depuis la matzéva - pierre tombale en hébreu - pour la mort agonique de ses parents, de sa petite sœur Tzipora, qu’il écrivit une première fois en yiddish en 1956 sous le titre "Un di velt hot geshvign" (Et le monde se taisait) jusqu’à ce dernier livre qui raconte sa dernière approche de la mort, dont il est sorti debout, vivant, avec cette bénédiction pour les médecins qui l’ont sauvé comme pour ses plus proches (pour Dieu aussi ?), c’est une œuvre hantée par la survie, par la célébration de la vie et de la mémoire, qui nous aura nourris.

 

Le 16 juin 2011, Elie Wiesel, alors âgé de 82 ans, doit subir de toute urgence une angioplastie car l’une de ses artères est bouchée. Il risque l’infarctus. A peine parvenu aux urgences, qu’il est pris en charge et opéré. Sans doute n’a-t-il jamais senti davantage la mort d’aussi près depuis sa première nuit à Birkenau, celle du 24 au 25 mai 1944.

 

Cette année 2011 a mal commencé pour l’écrivain car en janvier, une double pneumonie est diagnostiquée en Floride. Hôpital, convalescence longue, épuisement. Il nous livre ici son inquiétude pour ceux qu’il aime à commencer par Marion, sa femme. Ce livre nous plonge dans l’introspection d’un mystique autant que d’un écrivain. La pensée diffère encore considérablement lorsque la souffrance est là.

 

Devant "Cœur ouvert"* comment ne penserai-je pas à "Lazare"le livre du retour à la vie de Malraux, écrit au lendemain de son hospitalisation à la Salpêtrière en 1973 (paru en 1974). Peu d’écrivains ont ainsi consacré un livre aux menaces vitales qu’ils avaient subies par le fait de la maladie.

 

Je voudrais remarquer que Wiesel comme Malraux auront consacré une grande part de leur ouvrage respectif à la guerre, celle que l’on sait pour l’écrivain juif et pour Malraux, la première partie de son "Lazare" est la reprise du chapitre hallucinant de son dernier roman "Les Noyers de l’Altenburg", chapitre qu’il consacra à la première attaque de l’armée allemande au gaz moutarde sur le front de la Vistule, en 1916. Roman écrit en 1942 et qui stupéfia Jorge Semprún par "l’intuition, la prémonition, l’inspiration" de Malraux qui le poussa en pleine apocalypse et guerre contre les juifs, dont il ne pouvait imaginer l’ampleur, à parler des gaz de combat, alors que d’autres gaz au même moment assassinaient des millions d’êtres sans défense.

 

L’autre chose capitale de "Lazare" et qui ne cessa de fasciner Semprún mais aussi Paul Ricœur au cours de ses derniers mois de vie, c’est l’interrogation de Malraux : "Je cherche la part cruciale de l’âme où le Mal absolu s’oppose à la fraternité." Y a-t-il, à vrai dire, beaucoup de questions au monde qui vaillent plus que celle-ci ? Cette quête, Wiesel la reprend avec ses mots, sa sensibilité à vif, ses angoisses propres ?

 

Mais Elie Wiesel parle dans ses quatre-vingts pages de son fils Elisha, de Marion, mais aussi de ses petits-enfants Elijah et Shira - avec une tendresse rare. C’est à travers Elisha leur père, qu’il tisse son récit. Elisha, qui porte aussi le nom de son grand-père Shlomo, assassiné à Buchenwald sous les yeux d’Elie en 1945, c’est la vie qui continue et continuera au-delà d’Elie Wiesel bien sûr. C’est l’assurance d’une survie pas seulement physiologique naturellement mais surtout spirituelle, psychologique.  

 

Le regard que Wiesel porte sur sa seconde survie, autant que sur le jeune garçon de Sighet qu’il fut, le rescapé, l’écrivain, l’enseignant, le père et le grand-père, l’homme tout court, se fait plus proche qu’auparavant, plus proche encore que dans "La Nuit"Cette épure, nous en trouvons le sens secret, le sens profond, dans le chant qu’il évoque et invoque, au cœur de son texte, "Ani Maamin". Non pas le chant traditionnel, mais le nigoun qu’il reçut d’un miraculé d’un ghetto de Pologne en 1943 (mais ce miraculé d’un jour réchappa-t-il à la guerre ?), qu’il ne vit qu’une seule fois, "Shabbat Shira", à la cour du Rabbi de Wizsnitz. Je l’entendis chanter par Elie Wiesel deux fois, notamment lors de ce quasi "miraculeux" colloque de Cerisy que je lui avais consacré en juillet 1995 et qu’il bénit de ses nigounim au dîner de ce Shabbat Houquat, qu’il présida.

 

Ce chant d’espérance infinie du peuple juif prend dans ce nigoun des accents jamais atteints portés par le sentiment à la fois insignifiant et invulnérable d’appartenir au "petit reste d’Israël" - et ce que cela pouvait signifier au printemps 1943 !

 

"Tel est le miracle : une histoire sur le désespoir devenant une histoire contre le désespoir", écrit Wiesel à la fin de son livre. Et un chant sur le désespoir devenant un chant contre le désespoir.

 

Elie Wiesel nous revient de loin, de si loin, avec un chant terriblement pénétrant et que nous n’oublierons pas… Nous aimons ce livre comme nous aimons son auteur depuis le premier jour de notre rencontre bénie, il y a bientôt trente ans.

 

 

* "Cœur ouvert"Flammarion, 10 €.

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