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Entretien avec Sophie Bessis : « Tunisie : Des moyens avoués ou inavouables rendent plus compliquée la transition. »

 

Entretien avec Sophie Bessis : « Tunisie : Des moyens avoués ou inavouables rendent plus compliquée la transition. »

Sophie Bessis, chercheuse associée à l’IRIS, spécialiste de la Tunisie, revient pour le site Affaires Stratégiques sur la transition démocratique qui s’opère en Tunisie et les difficultés rencontrées.

Q : Quelles sont les formations politiques qui se dégagent depuis la chute de Ben Ali mi-janvier ?

On ne peut pas parler de formations, mais plutôt de rapports de force entre les différents protagonistes qui sont apparus dans la Tunisie de l’après 14 janvier.

Il y a évidemment l’appareil de l’ancien régime qui n’a pas disparu. Au contraire, il montre une capacité de nuisance, que je ne qualifierai pas d’intacte mais qui est encore très puissante. Les événements de la fin de la semaine et qui se poursuivaient encore hier, avec les manifestations extrêmement violentes, sont le fait des milices de l’ancien régime, tout le monde est d’accord là-dessus. L’ex Premier Ministre l’a dit très nettement dans son discours de démission de samedi. C’est donc malheureusement une force avec laquelle il convient de compter et qui essaie en quelque sorte de faire un coup d’Etat rampant, qui consisterait à déstabiliser totalement le processus de transition et créer un désordre qui autoriserait toutes les aventures. C’est l’une des forces les plus importantes.

D’autre part, il y a l’Union générale tunisienne du travail (UGTT). Ce syndicat puissant, qui est unique en Tunisie, est divisé par de très profondes contradictions. Son principal dirigeant, son secrétaire général, a été assimilé au régime de Ben Ali et joue depuis ces dernières semaines la surenchère pour retrouver une légitimité. Surenchère tout à fait dangereuse car elle peut également remettre en question le processus de transition, dans la mesure où l’instabilité économique peut nuire à la reprise. L’évolution du syndicat, fait partie des questions auxquelles il conviendrait de répondre.
Il y a ensuite le parti islamiste Ennahdha, remis en ordre de marche, qui reprend son maillage de la société tunisienne, et semble gagner en puissance et en capacité de mobilisation. Il semble qu’à l’intérieur de ce parti, il y ait beaucoup d’éléments qui ont tout à gagner d’une déstabilisation et d’une recomposition plus profonde de l’échiquier tunisien.
Il y a enfin des mouvements tout à fait marginaux mais qui contribuent un petit peu au désordre de l’extrême gauche. Ces groupuscules d’extrême gauche et ainsi que des petit partis nationalistes arabes sont également très opposés à tout gouvernement quel qu’il soit qui ne représenterait pas l’expression franche d’une rupture profonde avec l’ancien régime.

Aujourd’hui, on est dans une situation extrêmement confuse, violente, qui, si les choses ne se remettent pas rapidement en place, pourrait aboutir à une instabilité qui serait très dommageable à la transition démocratique.
 

Les Etats-Unis, l’Europe, la France se disent tous prêts à aider à la transition démocratique en Tunisie. Quelle a été pour le moment la réalité de leur aide ?

Jusqu’à présent, l’effort financier de la France est consternant tellement il est ridicule. L’effort financier de l’Union Européenne demeure encore modeste. Les institutions financières internationales semblent prêtes à aider davantage la Tunisie et les Etats-Unis ont montré une disponibilité très grande.

Pour l’instant, tous les discours officiels des puissances occidentales se disent prêts à aider la transition démocratique en Tunisie. On verra ce qui sera fait concrètement et pratiquement pour aider cette transition démocratique.

 

Certains pays ont intérêt à faire échouer la transition démocratique. Quels sont-ils et comment analyser leur rôle aujourd’hui ?

Tous les pays non-démocratiques ont intérêt à faire échouer la transition démocratique dans le monde arabe. Une réussite de la transition démocratique tunisienne serait très dangereuse pour l’ensemble des régimes autoritaires dans la région, d’autant que cette aspiration démocratique fait tache d’huile dans un certain nombre de pays arabes.
Evidemment, les démocrates tunisiens espèrent que Kadhafi ne va pas tarder à tomber, Kadhafi s’étant montré, dès le 14 janvier, un des ennemis les plus acharnés de la transition démocratique tunisienne. Mais il y a tout lieu de craindre que les monarchies du Golfe, ou d’autres voisins, par des moyens avoués ou inavouables, rendent plus compliquée cette transition.

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